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Festival Musicalarue 2018 : entretien avec Matmatah

14 Déc

 

Le public de Luxey fut cette année particulièrement joyeux de retrouver à l’affiche du festival Musicalarue le groupe Matmatah, contraint l’année précédente d’interrompre son concert, après avoir interprété six chansons, à cause d’une tempête cataclysmique déchirant le ciel landais d’orages et d’éclairs, qui donnaient pourtant au moment une merveilleuse saveur d’apocalypse météorologique digne de la Bretagne. Héroïques face aux éléments déchaînés jusqu’à la fin du morceau, les artistes avaient finalement dû se ranger à la décision des organisateurs d’annuler la soirée, promettant au public de revenir. Promesse tenue au bout d’une tournée de plus d’un an, au cours de laquelle les chansons du nouvel album du groupe reformé après 9 ans de séparation, « Plates Coutures », rencontrèrent, souvent en salle comble, un public composé bien sûr d’anciens adeptes, mais également de plus jeunes générations, et enjoué autant par la découverte des nouvelles compositions que par la reprises des anciens succès du groupe, dont les premières notes tintent à présent comme des amorces d’hymnes populaires. C’est le privilège des artistes ayant ancré au cœur des gens et dans l’histoire de la Chanson des titres qui désormais appartiennent plus à leur public qu’à eux-mêmes. Il n’en fut pas autrement cette année à Luxey. Le groupe, porteur de nouveaux morceaux aux propos incisifs et pertinents, agença habillement son concert avec intuition, intelligence et un sens très généreux de la complicité avec le public. Matmatah nous ayant auparavant déjà accordé deux entretiens, il nous semblait peu opportun de revenir plus qu’il ne fallait sur les sujets précédemment évoquées. Néanmoins c’est avec grand plaisir que nous retrouvions dans l’après-midi Manu Baroux (guitare), Benoît Fournier (batterie/percussions), et Tristan Nihouarn (dit Stan, chant et guitare) accompagnés du musicien additionnel Julien Carton (claviers/chœurs/harmonica) pour une nouvelle rencontre.

– Messieurs bonjour et merci de nous accorder cet entretien. La question porte sur la chanson « Nous y sommes » et s’adresse plus particulièrement à Stan, puisqu’en ton absence lors du premier entretien où elle avait été effleurée, Manu et Eric nous avaient répondu avec humour qu’il fallait te la poser, car ils n’étaient pas certains d’avoir compris ce que tu voulais y exprimer. Le titres accroche la question de la fin de la civilisation humaine et interpelle sur celle du transhumanisme. Qu’est-ce qui t’a porté à d’aborder ce sujet ?

– Stan : On m’a souvent parlé de chanson écolo ; ce n’est pas du tout une chanson écolo. Ou faussement. C’est même plutôt une chanson super-cynique qui dédouane l’humanité de ses méfaits. L’écologie finalement, c’est quoi ? C’est un concept humain inventé par les humains pour les humains. Il ne s’agit pas de sauver la planète ; la planète n’a pas besoin de nous : elle se sauvera d’elle même. Il ne s’agit que de sauver notre environnement, dans lequel on évolue. Sauver la planète, c’est prétentieux. Aujourd’hui j’écrirais peut-être cette chanson autrement. Je pense que l’humanité, c’est juste la planète qui a attrapé un rhume. Et ça passera. On est à un tournant de notre civilisation : on parle de plus en plus d’un point de non-retour.

– Manu : On en parle, parce que les gens en souffrent. On commence à sentir les effets climatiques ; ça devient du concret. Donc « finalement, c’est peut-être vrai en fait… »

– Stan : Cette chanson est donc cyniquement un constat. Et puis nous sommes des produits de la nature. C’est la nature qui nous a créés. Donc si on en est arrivés là, c’est que la nature a fait en sorte qu’on en arrive là. Je pense qu’il y aura une auto-régulation à un moment donné. Je ne sais pas comment ça va se passer, mais j’ai l’impression que ça va se passer plus tôt que prévu.

– Manu : Ben oui, regardez les dommages collatéraux : le pauvre homme (désignant Benoît resté stoïque), il n’a pas bougé depuis vingt minutes. Donc ça commence par les groupes de Rock, attention !

– Stan : Donc le transhumanisme est peut-être une évolution vers autre chose. La nature survivra à la destruction de l’humanité. Le problème c’est qu’on a tendance à un peu dégager toutes les autres espèces. Mais nous dégager nous mêmes, c’est naturel.

 

– Lors d’un des tous derniers concerts de votre tournée, à Rouillac (Charente), juste avant d’interpréter la chanson « Overcom » qui cisèle un constat acerbe sur la société de sur-communication et sur-médiatisation, tu avais ironiquement taquiné le public parmi lequel quelques personnes filmaient ou photographiaient le concert avec leur téléphone portable. Ces nouvelles mœurs consternent beaucoup d’artistes. Y vois-tu une dérive comportementale agaçante, inquiétante, ou simplement amusante ?

– Stan : J’en parle souvent, encore qu’on a la chance d’avoir un public qui ne pratique pas trop ça. Jack White a interdit les téléphones à ses concerts, et plein de gens commencent à y penser.

– Manu : On n’est pas les pires : certains artistes se voient filmés au portable durant tout le concert.

– Stan : J’ai arrêté de faire de la photo quand je pars en voyage. Parce que quand tu passes ton voyage l’oeil dans l’objectif, t’as été en voyage dans ton Canon en fait. Mais c’est bien de ne pas faire de photo, et de vivre le moment présent.

– Manu (prenant un « selfie » de lui et Stan avec son portable) : Mais on n’est un peu victimes de la société aussi…

 

 

– L’album « Plates Coutures » par lequel vous êtes revenus au devant du public sur les scènes et les ondes s’empare de thématiques sociétales très actuelles par un angle de vue concerné sinon engagé, et laisse par delà la beauté de sa poésie et la finesse de sa réalisation, le sentiment d’un groupe revenu avec beaucoup de choses à dire. Il comporte néanmoins un titre un peu « ovniesque », quasiment instrumental, « Margipop », semblant tellement en décalage avec l’esprit de chansons à propos qu’on se demande bien quel est le sien. Son sens serait-il de rappeler justement qu’une chanson n’a peut-être pas besoin de porter un message autre que celui de sa propre existence pour être utile ?

– Stan : Cette chanson, pour le coup c’est du bricolage : elle a été terminée le jour du mix. Il n’y avait pas du tout de voix dessus, et on s’est dit qu’il manquait quand même quelques voix. Du coup pendant que le gars était en train de mixer à côté, on lui envoyait des pistes en lui disant de rajouter. Mais c’est vraiment du bricolage ; on ne savait pas trop où on allait. On ne le sait toujours pas d’ailleurs…

– Manu : C’était vraiment pour s’amuser. C’est un défouloir un peu.

– Stan : On ne l’avait pas fait depuis longtemps, ça, d’avoir un morceaux instrumental sur un disque. Mais on en a fait, sur le premier album.

 

– Même si l’album n’aborde pas à proprement parler un sujet urgent qui interpelle nos sociétés européennes, le sauvetage et l’accueil de personnes réfugiées politiques, économiques, climatiques, sanitaires, qui arrivent sur nos côtes pour demander asile, on vous sent, par exemple à travers la chanson « Peshmerga » concernés aussi par les luttes et les drames qui se jouent loin de nos frontières. Un peu partout en France cette année des mobilisations citoyennes et des programmations événementielles ont eu lieu avec le soutien d’acteurs des scènes artistique et culturelle pour affirmer l’attachement de nos concitoyens au principe d’accueil et d’assistance de personnes en danger et leur refus du cynisme des politiques migratoires pratiquées ici à l’heure actuelle. Est-ce une cause que vous envisageriez de soutenir ?

– Stan : On pourrait écrire là dessus, mais si c’est pour enfoncer des portes ouvertes, ce n’est pas vraiment utile. On est tous des migrants. Déjà on vient tous d’Éthiopie ; l’humanité s’est construite comme ça. C’est quoi la différence entre nous ? C’est ça l’humanité. Nous sommes des nomades à la base. La sédentarité ne concerne finalement qu’une petite partie de l’humanité et de son histoire.

– Manu : C’est quand même le genre de sujet qui est délicat, car c’est bien beau de dire « il faut » prendre des gens, mais moi, personnellement je n’ai pris personne chez moi. Bien sûr on a des autorités politiques qui sont sensées nous représenter et prendre des décisions pour nous. Je ne dis pas qu’il ne faut rien faire, très loin de là. Mais je me méfie du côté « donneur de leçon », parce que sur le papier, c’est facile à dire. Personnellement je n’ai rien fait en ce sens. Maintenant je pense que si on nous demande notre soutien pour quelque chose, on le fera.

 

– Au cours de cette tournée, le public est massivement venu au rendez-vous des retrouvailles et vous a témoigné un accueil chaleureux et enthousiaste. Est-ce là une motivation supplémentaire qui vous propulse vers une seconde jeunesse -Eric nous parlait l’an dernier d’un « Matmatah deuxième période »- et l’envie de poursuivre et d’écrire un bout de route ensemble ?

– Stan : Oui, ça démange. On est un peu tristes de finir la tournée, parce que c’est un chapitre qui se tourne, mais on a hâte de la terminer quand même, parce que ça démange d’écrire de nouvelles chansons. On n’écrit pas trop en tournée ; on n’a plus de conneries à dire.

 

– Mais on accumule de la matière peut-être ?

– Stan : Oui, on engrange.

 

– A propos de continuation de route, une dernière question au sujet de Julien, le musicien additionnel qui vous accompagne désormais partout et semble se faire de plus en plus indispensable à vos côtés : comment envisagez-vous la suite ?

– Benoît (s’adressant à Julien) : Eh oui, tu commences à pousser maintenant un petit peu.

– Stan : Tu commences à ressembler à un homme… Mais il est quand même en piteux état. On l’avait pas récupéré dans cet état là ; il était tout neuf. Il a quand même pris une sacrée claque. Mais je crois que c’est à lui qu’il faut poser la question.

– Julien : Qu’est-ce que je t’avais répondu à Rouillac?

– Que tu n’avais pas de boule de cristal…

– Stan : En tous cas, ça fonctionne. On n’a eu que de bons échos.

– Manu : Et en plus le fait qu’il n’ait pas encore la puberté permet de défalquer les impôts. C’est un bon plan !

 

 

 

Miren Funke

photos : Carolyn C, Océane Agoutborde, Miren.

Nous remercions Julien Banes pour sa gentillesse.

 

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