D’ancêtres gaulois ou pas -la précision ethnique a-t-elle sérieusement la moindre importance?- aux six coins de notre république, des petits villages d’irréductibles citoyens font entendre la voix de causes qui leur semblent justes et nobles. Causes bien souvent vaines et dérisoires, perdues d’avance, pense-t-on. C’est faire un peu vite le deuil de la démocratie réelle qui ne vit -l’aurait-on oublié ?- que par l’existence de contre-pouvoirs, quand les dirigeants politiques se plaisent à sculpter, parfois à coup de masse ou de hache, le visage d’une ville, d’un pays, sans tenir le moindre compte de l’avis de ses habitants.
Hier à Bordeaux, c’est en musique que des citoyens, multipliant les actions pacifiques depuis plusieurs mois pour alerter les gens, décidaient de résister, lors d’un rassemblement auquel participaient plusieurs artistes, parmi lesquels Agnès et Joseph Doherty et le chanteur David Carroll, pour
sauver 17 marronniers de la place Gambetta, de l’abattage décidé par le maire. Pour raison sanitaire ? Non. Pour raison de sécurité publique ? Non plus. C’est simplement pour donner plus de visibilité à la place, et, semble-t-il, aux vitrines des boutiques que la présence des marronniers cache à l’œil du consommateur, que ces arbres en parfaite santé et ne représentant aucun danger vont disparaître. Soutenu par le timbre de la contrebasse d’Agnès Doherty, un chant s’élevait contre le non-sens, hier à 17h, entre les branches du gigantesque magnolia de la place : la chorale de
quartier Yakachanter entonnait « Le Petit Jardin » de Jacques Dutronc, avant d’interpréter plusieurs autres chansons, dont « Comme un arbre dans la ville » de Maxime Le Forestier et « Auprès de mon arbre » de Georges Brassens. Un répertoire de circonstance pour exprimer l’attachement des Bordelais à l’existence et la protection d’un des derniers espaces verts publics, au cœur d’une ville de plus en plus minérale et à l’urbanisation galopante, dont les loyers grimpent vertigineusement hors d’atteinte des
budgets modestes des classes populaires. A la suite de la représentation de la chorale, Agnès et Joseph Doherty étaient venus interpréter des extraits de leur spectacle musical « Au pied de l’arbre », qui se consacre précisément à faire découvrir aux jeunes et aux moins jeunes, en chansons, récits mythiques et connaissances scientifiques, la vie, l’histoire et le fonctionnement des espèces sylvestres, et à partager le merveilleux du monde des arbres. Devaient s’en suivre pique-nique et concert improvisés et inter-actifs.
Alors qu’est-ce donc que la vie de 17 marronniers? Une anecdote, un symbole tout au plus ? Certes, mais pas que. La mobilisation qui perdure autour de cette cause témoigne avant tout du croissant degré de conscience citoyenne, et de la sensibilisation des gens à l’impératif de préservation du monde végétal, dont on commence à peine à découvrir, explorer et comprendre l’intelligence et la nécessité, ce monde que nos civilisations modernes n’ont que trop longtemps considéré comme un vulgaire objet n’ayant de valeur que par le profit matériel que son exploitation pouvait apporter à l’humain.
Et lorsque c’est à travers l’expression artistique que s’impliquent les citoyens, c’est toujours l’occasion de partager un moment convivial et festif. Si l’événement eu le mérite de regonfler le moral les troupes, il sût aussi attirer l’attention des passants et les informer sur le triste sort qui attend les marronniers de la place Gambetta. L’humain étant ainsi fait qu’il se renforce moralement de moments chaleureux, de beauté et d’espoir, la mobilisation persiste et enfle, attirant l’attention des médias. Et tant que les arbres sont debout, les rêveurs continuent d’espérer…
Une pétition est en ligne ici pour soutenir leur résistance :
https://www.change.org/p/fdd-ne-laissez-pas-couper-les-marronniers-de-la-place-gambetta
Miren Funke
Liens : facebook LesMarronniers de Gambetta :
Au pied de l’arbre d’Agnès et Joseph Doherty :
https://www.facebook.com/pg/Au-pied-de-larbre-586197235050243/posts/
Comment ne pas être solidaire avec les bordelais et les arbres, moi qui habite allée des marronniers, et ceux de ma rue sont magnifiques…Et pas en danger pour le moment ! J’ai signé, je partage, et il me revient, à cette occasion, un poème qui m’avait touchée, il y a…Quelques années, à l’école primaire de mon village :
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Elégies, XXIV
« Contre les bûcherons de la forêt de Gastine »
Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas;
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?
Forêt, haute maison des oiseaux bocagers !
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du soleil d’été ne rompra la lumière.
Plus l’amoureux pasteur sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l’ardeur de sa belle Janette.
Tout deviendra muet, Echo sera sans voix ;
Tu deviendras campagne, et, en lieu de tes bois,
Dont l’ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue ;
Tu perdras le silence, et haletants d’effroi
Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi.
Adieu, vieille forêt, le jouet de Zéphire,
Où premier j’accordai les langues de ma lyre,
Où premier j’entendis les flèches résonner
D’Apollon, qui me vint tout le coeur étonner,
Où premier, admirant ma belle Calliope,
Je devins amoureux de sa neuvaine trope,
Quand sa main sur le front cent roses me jeta.
Et de son propre lait Euterpe m’allaita.
Adieu, vieille forêt, adieu têtes sacrées,
De tableaux et de fleurs autrefois honorées.
Maintenant le dédain des passants altérés,
Qui, brûlés en l’été des rayons éthérés,
Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,
Accusent tes meurtriers et leur disent injures.
Adieu, chênes, couronne aux vaillants citoyens.
Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,
Qui premiers aux humains donnâtes à repaître ;
Peuples vraiment ingrats, qui n’ont su reconnaître
Les biens reçus de vous, peuples vraiment grossiers
De massacrer ainsi leurs pères nourriciers !
Que l’homme est malheureux qui au monde se fie !
Ô dieux, que véritable est la philosophie,
Qui dit que toute chose à la fin périra,
Et qu’en changeant de forme une autre vêtira !
De Tempé la vallée un jour sera montagne,
Et la cime d’Athos une large campagne ;
Neptune quelquefois de blé sera couvert :
La matière demeure et la forme se perd.
Pierre de Ronsard.
J’aimeJ’aime