
Décidément quelque chose de magique persiste et signe autour de la scène du Théâtre de Verdure à Luxey devant laquelle j’ai chaque année l’énorme coup de cœur du festival. Pierre Lapointe, Rue de la Muette, Melissmell, Salvatore Adamo, La Maison Tellier : c’est toujours ici qu’un moment extatique accroche la sensibilité, foudroie le palpitant, et happe l’âme, sur cette estrade à dimension idéalement humaine où on respire dans une proximité envoûtante et se laisse aspirer par l’univers d’artistes inspirés et généreux. Si Musicalarue fait vivre bien des moments merveilleux durant trois jours, le miracle aussi intense qu’inattendu m’ensorcela en ces lieux cette année encore, avec le concert de La Green Box, dont l’album
est sorti en mai dernier, et, qui depuis, lui fait rencontrer le public, de date en date. Emmenée par Florent Vintrigner, accordéoniste et chanteur de La Rue Ketanou, la formation au sein de laquelle il délaisse son instrument de prédilection pour se consacrer aux instruments à cordes, concrétise la lubie, semblant a priori un peu délirante et qui s’avère redoutablement savoureuse et magnétique, d’enchâsser des poèmes de Victor Hugo dans un écrin de compositions musicales nées d’un métissage follement harmonieux de folk acoustique, de transe et de musique indie utilisant des sons synthétiques. Alchimistes de la Chanson, Florent (chant, banjo, guitare, harmonica), Benoît (batteries/percussions, basses, claviers, clarinette), Arnaud (réalisation sonore, enregistrement, mixage) et Paolo (guitare slide) relèvent le défi insensé de faire chevaucher aux poèmes d’Hugo l’originalité d’une musique inédite qui s’expérimente, se cherche, s’enfante et croît avec grâce et subtilité.
Le genre de truc dont on ne sait pas trop ce que ça va donner et qui en fait donne énormément ? vous demanderez-vous. C’est exactement ça ! L’hypnose chamanique en plus. Du farfelu qui fait vibrer. Quelques heures avant son concert, le groupe qui allait jouer pour la première fois en quatuor et semble y avoir trouvé sa formule impeccable, acceptait de nous recevoir, en compagnie de Loïc Lantoine, auto-proclamé manager du groupe pour l’occasion, et qui, ayant fait irruption dans l’entretien, nous fit le plaisir de s’y inviter avec humour et (très) bonne humeur pour un moment délicieux.
– Bonjour La Green Box et merci de nous accorder cet entretien. Créer des compositions musicales autour des textes de Victor Hugo est une initiative plutôt originale. Comment est née cette aventure et quand a été fondé votre groupe?
– Benoît: En 1885, déjà avec Loïc comme manager. Il est arrivé en 1880, et cinq ans plus tard Victor Hugo est mort.
– Arnaud : Plaisanterie à part, l’idée de ce projet a démarrée en 2014. Florent jouait dans La Rue Ketanou, et à l’époque j’étais sonorisateur. Sur une balance, il s’est mis à jouer des morceaux de Victor Hugo, parce qu’il travaillait en parallèle sur un autre spectacle. C’était une improvisation, comme ça… j’ai commencé à bidouiller des trucs sur son improvisation, et à la sortie de cette balance, on s’est dit que c’était pas mal. Je lui ai dit que s’il voulait faire quelque chose avec ça, je voulais bien le suivre et essayer de bidouiller des sons. C’est resté ainsi en suspens, jusqu’en 2015 où on a commencé à se mettre au travail, avec une première partie d’Eskelina qui nous a un peu mis le pied à l’étrier et boostés. On était contents, mais on savait qu’il y avait énormément de travail à faire encore. Donc on a pris le temps nécessaire pour faire aboutir ce projet. On a d’abord cherché la formule idéale à deux avec Florent, et puis comme on s’est trouvés assez rapidement limités, on a demandé à Benoît de nous rejoindre fin 2015.

– L’alliance d’instruments acoustiques et de programmations sonores synthétiques enfante un fruit original et étonnant. Quels instruments utilisez-vous respectivement chacun ?
– Florent : Très peu l’accordéon. Il est sur l’album, mais de manière très discrète ; on pourrait presque ne pas s’en apercevoir. Je joue plutôt de la guitare et du banjo.
– Arnaud : Donc je m’occupe du son. Benoît est venu pour tout ce qui est rythmique, parce qu’on avait besoin d’un soutien rythmique. Et Paolo est venu assez récemment.
– Florent : Et ce soir, on va faire notre premier concert à quatre On est toujours en train de travailler quelque chose ; on ne fait jamais marche arrière. On est toujours en quête d’avancer.
– Arnaud : Ça évolue toujours, mais on considère que là, on a trouver une bonne formule pour démarrer. Jusque là, le projet était encore un peu en chantier. On se cherchait en profondeur, mais désormais on a une bonne base, qu’on va enrober de date en date. Ça nous a pris deux ans pour trouver la bonne formule.
– Florent : Rien que pour la musique ! Heureusement on n’avait pas les textes à écrire.

– Les textes, parlons en justement. La raison d’être du projet est-elle de faire vivre les textes de Victor Hugo autrement ou vous servent-ils en quelque sorte de beau prétexte pour vous amusez dans l’expérimentation musicale ?
– Arnaud : L’idée c’était de ne travailler que des textes de Victor Hugo. Florent a lâché l’accordéon pour apprendre le banjo. Benoît et moi avons tâtonné et cherché les arrangements. Donc ça a pris le temps nécessaire pour que le projet naisse.
– Benoît : Au début on avait des restrictions forcément. Maintenant on a envie de plus s’amuser sur scène. L’arrivée d’un guitariste comme Paolo, qui en plus joue de la guitare slide, avec un son bien particulier, rajoute à une esthétique sonore originale. C’est ce qu’on cherchait. Être hors des sentiers battus, c’est ce qui nous plaît.
– Florent : Nous avons déjà fait pas mal de dates. C’est soir, c’est la première avec Paolo. Mais sinon, nous avons pas mal tourné avant son intégration. Chaque fois, ça a été des moments de création où on découvrait des choses. Et petit à petit, on s’est stabilisés autour de cette formule là qui nous fait sentir que c’est vivant et on commence vraiment à s’amuser beaucoup : prendre plaisir à jouer et ne plus être uniquement dans l’exécution d’un truc qu’on a appris.
– Comment naît en vous la composition sonore à partir d’un poème classique : sentez-vous ou entendez-vous un air découler naturellement de la musique des mots d’Hugo ou est-ce purement de la recherche ?
– Florent : Chez Victor Hugo, il y a une vraie musicalité. Son écriture est très fluide. Il y a un vrai rythme et une saveur des mots, qui sont très plaisants à dire et à chanter. Après, comment ça se fait ? Je ne sais pas ! Il se produit toujours une espèce de rencontre un peu étonnante. Souvent je lisais avec une guitare, un banjo ou même l’accordéon avec moi pour fredonner. Quelque fois la mélodie est venue très rapidement ; parfois ça a été plus long. Le squelette apparaissait comme ça, très brut, mais avec déjà des accords et une mélodie et surtout une envie de chanter. Je m’accaparais la chose. Et ensuite, c’était tout le travail de Benoît et Arnaud de réaliser les arrangements, l’habillage. A ma grande surprise parfois, car je ne m’attendais pas toujours au genre de costume qu’ils avaient taillé. C’est une heureuse surprise, où on s’est beaucoup surpris les uns les autres. Je ne sais jamais à l’avance quelle va être la musique qui porte le poème : c’est toujours un espèce d’accident à chaque fois.

– Peut-être est-il un peu tôt pour envisager l’avenir, mais pensez-vous consacrer le projet à d’autres textes de Victor Hugo ou le pérenniser en l’élargissant à l’univers d’autres auteurs ?
– Florent : Le démarrage, c’était pour Victor Hugo. Il reste encore quelques chansons qu’on joue sur scène et qui ne sont pas enregistrées sur album. Il y aura donc certainement un deuxième album avec des poèmes de lui, mais aussi, pourquoi pas, d’autres auteurs ou même des textes que j’écrirai. Il y a un poème d’Aragon qui me donne envie d’aller creuser plus loin.
– Quel est votre lien avec Loïc ?
– Florent : C’est un copain depuis au moins 20 ans ! Notre lien date de très longtemps. On a fait plein de choses ensemble ; on est même partis jouer à New York ensemble. Il était également venu jouer en théâtre de rue avec La Rue Ketanou. On a joué sur ses disques ; il a joué sur les nôtres…
– Loïc Lantoine : Moi, je voulais vous demander : quel est la rapport entre Victor Hugo et la tectonique des plaques ?
-Florent : C’est juste un rapport musical. C’est une vibration rythmique intemporelle qui traverse le temps, et quelle que que soit la situation dans laquelle on se trouve, on peut y trouver son compte. C’est joué en Fa dièse la plupart du temps.
– Arnaud : En modulation de fréquence méga Hertz.
– Loïc Lantoine : Autre question : Victor Hugo, qui a dit « jamais une note le long de mes vers », l’avez-vous trahi ? Brassens s’était permis cette audace.
– Florent : En fait il n’a jamais dit ça. Il a dit qu’il accepterait de la musique, mais qu’il voulait que ses droits d’auteur soient reversés à des associations en faveur des pauvres. J’ai oublié la phrase précise, mais le « jamais une note le long de mes vers » est un mythe. En plus il aimait la musique. Ce qu’il voulait, c’était que si ses textes devaient être utilisés pour être mis en musique, les compositeurs prennent leurs droits de compositeurs, mais que ses droits d’auteurs reviennent aux démunis.
– Loïc Lantoine : C’est votre millième concert à Musicalarue. Que pensez-vous du festival, de l’humeur des bénévoles et des techniciens ?
– Florent : Je trouve qu’ils ne vieillissent pas. Je ne comprends pas : chaque fois qu’on vient, ce sont toujours des jeunes.
– Loïc Lantoine : J’ai demandé à mon tourneur d’organiser des concerts avec La Green Box. Mais on ne peut pas siffler à la fois l’apéro et l’opéra et payer content quand on n’est pas content. On peut peut-être poser une question sur le style vestimentaire du groupe qui est un peu disparate…
– Paolo : On a des capes.
– Arnaud : Paolo va commencer avec un poncho mexicain.
– Loïc Lantoine : N’oublions pas que monsieur Arnaud fait de la musique caché derrière la scène. C’est pas des métiers facile, mais ça lui permet à la fois de faire de la musique et de ne pas être obligé de baiser après les concerts.
– Benoît : Amis de la poésie, bonsoir…

Nous remercions Marjolaine de Musicalarue qui nous a permis cette belle découverte et Loïc Lantoine pour sa présence et ses interventions.
Miren Funke
Photos : Carolyn C (1, 3,4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 13), Océane Agoutborde (2, 12)
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