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Samedi 14 juillet. Quatrième jour des Rencontres Marc Robine 2018

16 Juil

                 

 

 

Une journée qui commence par un pique-nique républicain en chanté, à Volvic, dans la cour du Musée Marcel Sahut, avec la participation d’artistes, de la région Auvergne-Rhône-Alpes,  conteurs du Collectif Oralité de la région Auvergne-Rhône-Alpes, des chanteurs et musiciens du festival, avec pour capitaine Frédéric Bobin, qui s’entraîne pour la finale de la coupe du monde de la chanson, la poésie est au rendez-vous avec Fabrice Péronnaud, Lizzie  qui nous fait voguer dans son univers mélancolique et poétique de saudade, accompagnée de sa guitare folk ou de son accordéon. Et partageant la même passion que Lise Martin pour le folk américain, elle l’invite pour un duo de Jambalaya on the Bayou.

Lise Martin qui l’invitera à son tour en fin d’après midi à l’Arlequin à Mozac.

C’est vers 18 heures que Lise Martin nous invite à sa balade musicale. Courte robe à fleurs et bottines, cette jeune femme charmante au naturel  nous fait entrer dans son univers entre folk et chansons d’auteure, hors du temps, histoires de vie, questionnement sur la condition humaine, :

J’ai besoin de  comprendre. Le chaos en moi peut être très violent et l’écriture m’aide à mettre au monde l’étoile dont parle Nietzsche. Le chant adoucit tous les maux et le silence , 

confie t-elle dans Hexagone, l’amour ou la  révolte, de sa voix profonde et vibrante qui véhicule l’émotion, accompagnée de son ukulélé, de Simon Chouf  à la guitare, et Eugénie Hursch au violoncelle, nous raconte entre deux chansons, son enfance à Saint-Menoux, dans l’Allier, où elle a passé sa tête dans la fameuse débredinoire qui éclaircit les idées, la grande maison de ses parents, ses petits boulots à Paris, quand elle s’est retrouvée dans 16 m2, avec une douche au milieu, les 10 ans qu’elle a passé à s’occuper d’un vieux monsieur, leur amitié a inspiré une chanson émouvante à Lise : J’ai reçu, car elle a reçu autant qu’elle a donné pour cet homme, décédé il y a deux ans.

Chagrin d’amour ? Elle veut juste trouver Paris beau en été : Demain :

Ce soir je n’ai pas envie de rire ni de parler
Ce soir je n’ai pas envie de boire ni de fumer
Je n’veux pas m’enivrer pour rien, pour oublier
Je n’veux pas de mémoire ni d’alcool à pleurer 
Je veux juste trouver Paris beau en été…
Je veux juste marcher, ne pas penser à toi 
Si une larme coule, le vent la sèchera…

Elle voudrait : Elle voudrait s’en aller de l’hiver de son cœur
Ne pas rester prostrée à attendre son heure
S’enivrer de soleil  et retenir la nuit
Connaître ce bonheur qu’on lui a tant promis.

Elle voudrait Respirer : Je voudrais que tu me prennes dans tes bras

Je voudrais pleurer longtemps
Je voudrais que tu me serres contre toi, tendrement
Comme on berce un enfant
Je voudrais tout doucement
Que nous laissions passer le temps.
Je voudrais juste un instant
Que nous nous aimions longtemps.. .

 

Mais il y a le Matin froid, où elle noircit ses nuits blanches,

Et, quand vient l’Orage :

J’aimerais tant rire de nos bêtises
Et ne pas rester là assise
A me demander avec qui tu dors
Et j’invente des rêves fous
Des histoires à dormir debout
J’imagine n’importe quoi
Que tu arrives, que tu es là…

Alors, quelle est La conduite à suivre ?

Pour trouver la chaleur quand tu trembles de givre
Pour ne pas faire d’erreur sur la conduite à suivre…

Tant pis, on viendra pas me consoler
C’était hier que j’aurais dû pleurer
Aujourd’hui, je n’ai pas envie
Et puis demain, tout ira bien…

Où trouver La liberté ?

Et je rêve souvent d’une maison dans une clairière
Pour y poser le poids des ans
Avec une jolie rivière
Pour y déposer mes larmes de sang…

 

Mais chaque jour a sa douleur, et chaque jour connaît sa joie quand on est de toutes Les couleurs,

Chansons de vie, d’amour, et aussi de colère, Derrière le mur :

Son père a bâti une maison
Pour protéger sa fille sage
Pierre de colère, ciment de rage
Sa fille grandit en prison.

Une reprise de Damia, aussi reprise par Edith Piaf : Tout fout le camp, une interprétation originale cajun de Travailler c’est trop dur, rappelons que les paroles et la musique sont de Zachary Richard.

Quelques chansons  en duo avec Lizzie, une reprise en français de Danse me to the end of love de Léonard Cohen, et Lise parle d’un projet commun avec Lizzie, autour de leur passion commune pour le folk américain.

Lise Martin a accroché son public, moi-même, tellement scotchée par ses chansons, par  sa voix, que j’en ai oublié de prendre des notes. (merci Lise d’être venue à mon secours et un bisou à Nola).

Puis vient le temps des goguettes, vieille tradition et nouveaux chansonniers, ce soir là, ce sont les goguettes de Patrice Mercier, qui a plusieurs vies, membre d’action discrète,  faiseur de sketches pour Canal+, et entre tout ça, il détourne les chansons françaises pour la bonne cause, j’ajouterai vrai comédien, et excellent chanteur. Il décortique la société sans être moraliste, avec humour,  finesse et pertinence, c’est bien tourné, et ça a du sens. Après avoir remercié ses hôtes mozacois, deux fois de suite, ça lui a permis une introduction à son tour de chant, en compagnie de Valérie Rogozinski au piano. Et tout y passe, Le FN, Star war, sur l’air de SOS pour un terrien, l’obsolescence programmée, Johnny  Hallyday : J’ai oublié David, les bouteilles en plastiques : Je suis une bouteille à la mer, les petits scandales du sport sur l’air de  à bicyclette,  de Pierre Barouh, Macron : Des fonds pour la piscine, sur l’air du Petit pull marine d’ Isabelle Adjani, Les carbonaras pour… Le régime, Ce Jambon là  pour les vegans : Lui qui finira cru ou bien complètement cuit chez Madrange ou Herta… Sur l’air de Chez ces gens là de Brel, ses premières amours qui finissent mal, avec Madame Danièle sur l’air de Blanche de Pierre Perret, la meilleure façon de mourir : La mort de Félix Faure

Je ne veux pas m’en aller vieux
Comme oublié des dieux
Au fond du musée Grévin
D’une maison de soin
Si je dois mourir épuisé
Que l’infirmière soit déguisée
Qu’elle agite à mon dernier souffle
Non pas ma ma paire de pantoufles…

Mais aussi une très tendre, drôle et émouvante chanson sur l’euthanasie : Je l’aide à mourir, sur l’air de Je l’aime à mourir de Francis Cabrel :

Elle veut partir, on lui propose
De s’faire la belle au bois dormant
Elle veut partir, on lui propose
Des calmants
Un lit, jusqu’à quand ?
J’ai lancé une fatwa, balancé sur le net,
Qu’elle faisait le chien wa-wa en disant v’la l’prophète
Je l’aide à mourir…

Encore un excellent moment avec Patrice Mercier que l’on a retrouvé au Tour de bal, et il a dansé, lui !

Des journées bien remplies ! On a à peine le temps de grignoter avec Martine qu’on y retourne, c’est toujours à l’Arlequin, et c’est le Tour de bal, et bien croyez-moi, on a retrouvé nos jambes, nous, les filles, parce que les garçons sont plutôt restés assis à écouter la musique et les chansons ! L’orchestre, Claude Lieggi au chant, Nicolas Frache, guitare et chant, Pauline Koutnouyan, accordéon et chant,  Michel Sanlaville à la contrebasse, auxquels est venu se joindre, à la guitare Frédéric Bobin, nous a entraînées , allez entraînés, il y en avait quand même quelques uns sur la piste, dans la ronde folle d’un répertoire de 80 chansons dansantes, ou bien de danses chantées, du cha-cha-cha au rock, de la valse au madison, du paso-doble au tango, ou au souk, mais un rock sur une chanson de Trenet, Que je t’aime de Johnny en twist, ou Requiem pour un fou en paso-doble, ect… ( je n’ai pas tout noté, je dansais !)  ce n’est quand même pas courant !

Et  les artistes, comme tous les autres jours, ont remercié Catherine Reverseau, la fée lumière, et Antoine Auber au son.

Et même pas mal aux genoux le lendemain, dimanche, jour de la coupe du monde de la chanson, l’Auvergne contre le reste du monde, un match difficile, faut dire que le Brésil a bien joué, mais Frédéric Bobin a fait la différence, je vous raconterai ça demain…

 

Danièle Sala

Photos de Martine Fargeix

NDLR:  Un petit salut à Nola, qui se nourrit au biberon amélioré de la scène vivante, et en bienvenue dans le monde ce haïku de maman Lise …  

Un matin de mai,
J’ai vu fleurir ton regard
Et grandir mon cœur

(Haïku pour ma fille Nola, née le 2 mai 2018)

Vendredi 13 juillet Troisième jour des Rencontres Marc Robine 2018

16 Juil

                     

C’est dans la salle des mariages de la mairie, à Volvic, anciennement mon école primaire, que commence cette troisième journée, avec une rencontre-débat autour du livre d’Alain Borer : De quel amour blessée. Réflexion sur la langue française. Participent au débat Alain Borer,  romancier, écrivain-voyageur, André Velter, poète, Jacques Bertin, Jean-Yves Lenoir, écrivain, comédien,  Bernard Dumoulin, philosophe et le public. C’est André Velter qui ouvre le débat, par cette phrase de Camus :

On me pardonnera ce coup d’aile, je vais vous parler d’un ami.

Sans objectivité donc, mais avec sincérité.  André Velter, pour qui Alain Borer est la réincarnation de Rimbaud à 80% et d’Alphonse Allais à 20%, le seul qui est capable d’écrire sur la langue française avec autant de précision, en osant le scrupule et l’ironie. Astrophysicien de la langue et pataphysicien de la liberté. Il évoque leur amitié, leur complicité, les voyages en commun, le jour où, gravement malade, Alain Borer avait eu l’élégance suprême de faire rire ses amis. Alain Borer, très touché par les témoignages de son ami, s’adresse ensuite à Alain Vannaire, pour le remercier de son action en faveur de la chanson, soulignant l’importance de la chanson, le rythme et la rime, depuis les grecs, rappelant ces mots de Marc Robine :

La chanson est le miroir du peuple et de son histoire, nous rappelant la mise en danger de la langue française en chanson, savez-vous qu’il il y a pas moins de quatre millions de chansons en français ? Nous ne mesurons pas ce trésor de notre langue.

Puis Alain Borer nous parle longuement de son livre, exprimant les regrets, les soucis qu’il a réveillé en lui : La linguistique ne pense pas, la langue nous traverse comme l’eau entre nos mains, mais pas de l’eau gelée. Précisant le respect qu’il a pour toutes les langues, il en subsiste environ 2000 actuellement, et pour les professeurs qui les enseignent. Qu’est ce qui différencie les langues ? Ce sont des projets dans chaque gestes qui les constituent.

Et de noter la différence entre  toutes les langues qui prononcent tout ce qu’elles disent, et le français qui ne prononce que ce qu est écrit : La langue française ne peut pas être séparée de l’écriture, elle procède de l’écrit, et fait entendre sa grammaire.

Alors comment écrit on la phrase suivante : Le peu d’eau que j’ai bu(e) m’a désaltéré, avec ou sans e à bu ?  

Il fut question de l’esthétique de notre langue, beaucoup d’écrivains étrangers l’ont choisie, une langue à la palatalité universalisante, avec toutes les particularités des accents, d’une région à l’autre.

Illustrer, inventer, résister à l’anglobal, le globish, l’angolais qui nous colonisent en douceur, avec notre consentement inconscient.

Pour en savoir plus sur ce livre, je renvoie à l’article déjà fait sur ce même blog collectif:  c’est là –>

Le débat avec les autres interlocuteurs fut bref, Alain Borer étant très bavard, et justement motivé par la défense de son livre. Alors, il fut question de l’accent tonique, la langue française est elle accentuée ou non, les avis divergent,

Le philosophe, Bernard Dumoulin pense qu’Alain Borer a fait un travail philosophique , et le fameux e muet, qui, pour Jacques Bertin n’existe pas.

Pourtant, moi, je le sens bien dans cette phrase qui résume l’esprit du livre :

  Ariane ma sœur de quel amour blesséE

     Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laisséE…

                                                 Racine, Phèdre, 1677

Une dernière question fuse dans la salle : La langue française est-elle immortelle ?

Enfin,  je remercie chaleureusement Alain Borer, pour sa dédicace, sa petite fleur,  qui restera entre les pages de son livre et me rappellera la beauté des fleurs et  de ma langue maternelle, et ses baisers.

Après une courte pause, c’est Claire Elzière que nous avons le bonheur de retrouver pour certains, de découvrir sur scène pour d’autres, comme moi-même, en compagnie de ses musiciens, Dominique Cravic à la guitare,  des Primitifs du futur, dont Claire est la chanteuse attitrée, Christophe Lampidecchia à l’accordéon. C’est Sous le ciel de Paris qu’elle nous embarque pour un voyage musical, avec son joli timbre de voix qui accroche immédiatement, sans en faire trop, laissant couler les mélodies, avec une justesse et une diction impeccables, un charme naturel, en toute simplicité. Puis d’autres chansons de sa compilation  15 Faces de Paris, c’est ainsi qu’on se retrouve Sur les quais du vieux Paris, avec Un petit air de rien du tout, extrait de son album Mon cœur est un accordéon ou à Saint-Germain-des-prés.

Claire, entre deux chansons nous raconte ses voyages, le Japon où elle vient de passer tout le mois de juin, ses amitiés, les rencontres essentielles de sa vie, avec Pierre Barouh, Saravah  a produit plusieurs de ses albums, et elle chante en duo avec lui dans l’album Pierre Barouh Daltonien. ( 2006), Pierre Louki  dont elle a porté les textes depuis des années, et qui lui a confié des chansons inédites qu’elle a fait siennes,  deux albums qui rendent au mieux l’univers tendrement loufoque de ce comédien parolier et chanteur lui-même. Elle interprète plusieurs chansons de Louki,

La vie va si vite, Est-ce plus que l’adolescence ? Est-ce déjà maturité ? Suis-je retombée en enfance ? Ou ne l’ai-je jamais quittée ? Est-ce à la veillée qu’on invite Le soleil à peine levé ?

La main du masseur, Mes copains, Les sardines, Grand-Père :

Y avait comme un défaut
Dans la pendule de grand-père
Un tout petit défaut
Les aiguilles tournaient à l’envers
Plus grand-père vieillissait
Plus il retombait en enfance
On le trouvait plus jeune
Chaque fois qu’on allait en vacances…

Elle interprète aussi des chansons d’Allain Leprest dont elle a souvent fait les premières parties, et elle a réuni dans un album 14 de ces chansons, dont 10 inédites.  De la poésie brute dit-elle , faite de mots qui jouent ensemble, et parlent de la vie qui avance, de celle qui s’arrête, ou de l’amour et du passage du temps, avec tendresse ou rudesse, humour ou sensualité. Mon souhait est que ses chansons entrent dans les cœurs, que la poésie d’Allain soit connue par le plus de monde possible, que ses chansons vivent. Entre autres,  une magistrale interprétation de Quand auront fondu les banquises de Leprest, musique de Romain Didier. Ce voyage musical fait aussi escale chez Mouloudji : Si tu m’aimais, chez Nougaro, Rimes, chez Le bel Hubert, chanteur-garagiste Suisse, qui parle à l’oreille des Deux ch’vaux, comme dit Sarcloret , On revient à Pierre Barouh avec Le courage d’aimer, et à bicyclette. Et bien d’autres escales et surprises dans ce voyage musical, qui nous a transportés, à tel point que lorsque un spectateur demande à Martine Fargeix si elle a aimé, elle éclate en sanglots, trop chargée d’émotion. Claire Elzière, c’est vraiment mon coup de cœur « découverte-sur-scène » de ces rencontres.

Et on enchaîne presque aussitôt avec Jean-François Kahn, journaliste, écrivain, historien de formation, homme de radio, Avec tambour et trompette et Chantez le moi sur France Inter, entre autre, il nous parle de sa passion pour la chanson, et de la difficulté de programmer des chansons engagées à la radio, par exemple, quand il faisait le journal du matin sur France Inter, il avait insisté pour choisir la chanson qui suivait le journal, et passait du Louki, du Ferrat, du Leprest, Béranger, etc… Il a été viré au bout de six mois, pas assez consensuel.   

Et on enchaîne encore avec la lecture théâtralisée de Jean-Claude Drouot Jean Jaurès : Une voix, une parole, une conscience. Si beaucoup ne savent  pas ce qu’est devenu Jean-Claude Drouot, les plus âgés se souviennent de Thierry la fronde au début des années soixante. Mais il a su gérer son succès d’alors en faisant bien d’autres choses, pensionnaire de la comédie française, de 1999 à 2001, metteur en scène de nombreuses pièces de théâtre, écrivain, ses mémoires ont été publiées en 2015 sous le titre : Le cerisier du pirate. Comédien au théâtre, acteur au cinéma et pour la télévision, une carrière et  une vie bien remplies.

Décor simple sur fond noir,  un piano, une tribune, et un homme arrive, costume gris, redingote grise, montre à gousset dans la pochette du gilet, chapeau melon, il est Jaurès, l’homme qui a été assassiné parce qu’il prêchait la paix, la justice sociale, l’épanouissement de l’âme humaine, la liberté : Quel que soit l’être de chair et de sang qui vient à la vie, s’il a figure d’homme, il porte en lui le droit humain. Jean-Claude Drouot nous retrace le parcours de Jaurès, du brillant élève de l’école normale supérieure, son agrégation de philosophie, professeur à Albi, puis maître de conférence à la faculté des lettres de Toulouse, sa carrière politique, il devient le plus jeune député de France en 1885, ses premiers pas vers le socialisme, son soutien pour le peuple, pour les ouvriers, il est l’un des créateur de la SFIO, et sa carrière de journaliste, fondateur et directeur de l’Humanité, et aussi collaborateur de la dépêche, éditorialiste du Matin et de la Lanterne.

JC Drouot 5.JPGPar un choix de lettres, d’articles, Jean-Claude Drouot nous livre son approche personnelle de Jean Jaurès. Il n’avait pas d’ambitions, pas d’orgueil, pas de besoins, il était plus juste avec ses adversaires, en particulier le nationaliste Maurice Barrès, ennemi politique, mais il y avait un mutuel respect entre les deux hommes, qu’envers ses amis. Lui, Jaurès, issu d’un milieu paysan, devenu normalien, orateur de génie, un homme dont tous les partis politiques se réclament aujourd’hui, à tort ou à raison, une espèce de saint laïc, qui commençait ses discours lentement, d’un ton monocorde, mais la pensée venait, et c’était alors une voix de cuivre qui vibrait comme le tonnerre. Une voix jamais enregistrée. Il n’avait pas d’ambition littéraire, son combat, c’est le socialisme, le sens de l’avenir, il fonde une sorte de religion du socialisme. Il avait cette confiance en la marche du temps, cet espoir en l’humanité.  Jean-Claude Drouot nous lit une lettre très émouvante de Jaurès à son compagnon de Khâgnes Charles Salomon, pour se aller à des confidences intimes, suite au décès de son père le 11 juin 1882, se libérant ainsi des détails sordides qui ont suivi ce décès, la mort est bien cruelle, qui n’attend pas que l’on soit sous terre pour entamer sa pourriture.

Jean-Claude Drouot a aussi retransmis intégralement le discours de Jaurès, revenu dans son lycée d’Albi pour parler aux étudiants, Jaurès qui a insisté toute sa vie sur l’importance de savoir lire pour les écoliers, de faire lire les écoliers  pour les professeurs : Vous tenez dans vos mains l’âme et l’intelligence des enfants. Faites-en des citoyens libres, qu’ils aillent vers une démocratie libre, qu’ils aient une idée de l’homme qui va de la fierté à la tendresse, n’en faites pas des machines à compter.

La République est un acte de conscience, il faut concilier la liberté et la loi.

Et il affirme la haute espérance socialiste qui est la lumière de sa vie et qu’une paix durable, définitive est possible. Il faut vaincre le cercle infernal de la haine.

Un grand silence et une grande attention dans la salle pour ce message d’espoir que nous a laissé Jaurès, incarné par Jean-Claude Drouot. Espoir assassiné ? La lumière s’éteint soudain, deux coups de feu éclatent dans le noir,  l’homme droit sous son chapeau melon reste impassible : Ils ont tué Jaurès crie l’écho. Et le rideau tombe avec la chanson de Brel : Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?

C’est un public grave, silencieux, et pensif qui est sorti de la salle. Et chapeau bas et respect pour Jean-Claude Drouot, le Jean Jaurès d’un soir.

 

Danièle Sala

Photos Martine Fargeix

 

NDLR:  Il y a eu pas mal d’albums hommages après la disparition de Leprest, certains faisant un peu redondance dans le pathos,  mais celui de Claire Elzière (et Dominique Cravic,  Grégory  Veux et sa quadrilla fidèle) , est un des plus réussis, à mon avis, car il est témoin d’un Leprest vivant  envers et contre tout..  On ne peut pas passer son temps à s’foutre à l’eau, aurait dit Mouloudji.. (NGabriel)

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