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Entretien avec Melissmell lors du concert au Haillan Chanté (33)

3 Juil

Les 5 et 6 juin dernier l’association Bordeaux Chanson, dont l’engagement assidu en faveur de la chanson d’auteur francophone permet régulièrement et depuis de nombreuses années aux artistes de rencontrer le public girondin dans des cadres dédiés à l’écoute et favorisant la proximité et la convivialité, invitait, en partenariat avec l’Entrepôt, pour la neuvième édition du Haillan Chanté à l’Entrepôt du Haillan (33), plusieurs artistes, parmi lesquels Loïc Lantoine, Barbara Carlotti, Michel Jonazs, et Melissmell, que nous avions rencontrée pour un premier entretien lors du festival Musicalarue à Luxey, (CLIC  ICIaprès son concert, qui fut et reste de mémoire un des moments de l’édition 2017 les plus intenses, éblouissants et contrastant. Contrastant, non pas du point de vue de la vigueur et de la générosité dans l’interprétation, mais de celui du bouleversement effervescent et brutal d’émotions violentes et persistantes qui semblaient s’arracher de sa voix, de son âme, pour basculer et graviter dans l’espace, percuter et ricocher dans les moindres recoins du coeur. Émotions violentes, âme insurgée, sentiments obscurs et lumineux, magie du contraste : c’est précisément de quoi il est question à travers les chansons de son dernier album « L’Ankou » dont Melissmell venait interpréter, parmi celles d’albums précédents, des versions acoustiques en duo piano-voix avec son complice François Matuszenski (dit Matu). La mélancolie, la noirceur, l’ombre du macabre même, y dansent dans des compositions musicales énergiques, parfois étrangement égayées aux faux-airs naïfs de comptine, charnellement comme instinctivement. L’instinct de vie sans doute qui surgit et s’affirme, s’exclame, face à la mort ; l’instinct de lumière qui inspire et respire dans l’obscurité, et évite à l’artiste d’enliser ses pas dans les sables mouvants du pathos morbide. A l’inverse, en même temps qu’à l’instar, d’artistes masculins sur qui l’influence, l’ascendance même, d’interprètes féminines s’impose comme une évidence -revendiquée ou pas-, Melissmell évoque irrésistiblement les noms de trois chanteurs du sexe opposé : Bertrand Cantat, Mano Solo, Damien Saez. Curieux paradoxe pas si paradoxal que ça d’une artiste qui est de celles et ceux qui nous font vivre la dimension androgyne et asexuée de la musique : celle d’un langage véhiculé par les âmes pour les âmes.

– Melissmell bonjour et merci de nous accorder ce second entretien.  Nous nous étions rencontrés lors du festival Musicalarue en aout dernier à Luxey. Lors tu nous confiais rencontrer des difficultés pour  être programmée en concert. Te voilà enfin dans la région de Bordeaux. Que s’est-il passé depuis et où en est ton actualité musicale ?

– On a été en tournée durant tout le printemps, et notre prochaine date sera le 6 juillet à Mons, au Festival au Carré. On a fait beaucoup de dates, une vingtaine, entre avril et juin ; et désormais c’est une tournée plus clairsemée, jusqu’à l’automne où on recommencera. Effectivement il n’est pas évident de trouver des dates, tant qu’on n’a pas fait un tube. C’est ce qu’on me dit : il faut que je fasse mon tube, comme Thiéfaine a réussi à le faire, comme Saez a réussi à le faire, comme Noir Désir, enfin comme tout le monde. Et un tube plus populaire que « Aux armes ! », parce que ce n’est pas suffisant. Ce soir nous allons jouer un concert en piano-voix, avec Matu, où on va reprendre les trois albums, durant une heure de show, avant de laisser la place à Loïc Lantoine pour son concert. Côté enregistrement, je fais appel à des auteurs pour les chansons du prochain album. Je suis en train de l’écrire. Et je pense l’enregistrer l’année prochaine. A l’heure actuelle, j’ai des compositions dans le placard, mais ça ne me suffit pas, donc je cherche encore des choses et j’ai sollicité des auteurs pour compléter ce que j’ai. Personnellement j’ai beaucoup de mal à écrire des textes, et j’ai tout fait jusqu’à présent pour convaincre des auteurs de m’en écrire, dont certains m’ont répondu positivement.

– Et pourtant tu as, d’une part une plume puisque tu as tout de même écrit les chansons du dernier album et certaines précédentes, et d’autre part surtout une personnalité artistique très singulière avec un univers intime propre. Confier l’écriture à d’autres n’implique-t-il pas le risque de dépersonnaliser un peu Melissmell ?

– Mais on me reconnaitra, parce que je choisis les textes déjà, et parce qu’on travaille ensemble avec les auteurs : je cherche des sujets que je leur propose. Pour l’album « Droit dans la gueule du loup » dont les textes ont été écrits par Guillaume Favray, on avait beaucoup discuté au préalable, et il avait écrit certaines chansons après nos discussions et tout ce qu’on s’était dit. Ça a donné des chansons comme « Madame », « Les Souvenirs » ou « Les Enfants de la Crise » qui ont été construites à partir de notre travail commun. Parfois, lorsque quelque chose ne me va pas, il m’arrive de modifier des textes après lecture.

– Pour ta part, quand as-tu commencé à écrire ?

– Je me suis mise à écrire pour le premier album, en 2003-2004. Mais la musique me venait bien plus tôt que ça. Toute petite déjà j’inventais des mélodies, alors que je n’ai jamais bien su écrire des textes. Je me suis toujours basée sur des livres ou des poèmes que j’avais lus. Par exemple je piquais une phrase et la détournais ; je trouvais des exercices à faire par rapport à ce qui avait déjà été écrit par d’autres. Ça, je sais le faire. Bien sûr on transforme toujours, parce que tout a plus ou moins été dit ; ensuite c’est à toi de mettre ta patte et ta façon de transformer. Mais inventer un nouveau texte à partir de rien m’est très difficile. Il y a des auteurs qui savent écrire, les doigts dans le nez.

– Tu as déclaré que la motivation principale qui te pousse à interpréter une chanson réside dans le fait que la chanson soit «nécessaire ». Qu’entends-tu par là ?

– C’est mon avis. Certains écrivent des chansons qui ne sont pas nécessaires, pour moi, des chansons dont on peut se passer. Mais personnellement j’ai besoin que les chansons soient nécessaires pour la société, qu’elles fassent avancer la pensée de la société, les mœurs de la société ou les conflits dans la société.    

– A propos de l’engagement de l’expression artistique, qui est un fil conducteur de ton œuvre, serait-il indélicat de revenir sur les derniers vers de la chanson « La crapule » de l’album « Droit dans la gueule du loup », dont l’une des interprétations possibles -mais peut-être n’est-ce pas le sens que tu lui donnais-pourrait paradoxalement être d’être entendu comme une critique de la chanson militante ?

 

« Et lui vient me dire il faut monter au front

La musique est une arme, les mots ses munitions

Laisse moi mon refuge, laisse la qu’elle respire

La musique était vierge, ne va pas la salir… »

– Ce n’est pas dans ce sens là que je la vois ; c’est dans le pornographique. Les chansons porno qui ne veulent rien dire et sont juste là pour choquer ou faire du fric, pour moi, sont salies. C’était le discours d’une personne, dont avec Guillaume Favray, on avait entendu que la musique ne doit pas dire les choses, n’est pas faite pour dire les choses. Donc je commence mes concerts par cette chanson, parce qu’elle porte la question principale de la musique, à savoir : qu’est-ce qu’on en fait et qu’est-ce qu’on en fait pas ? « La musique était vierge, ne vas pas la salir » est une vérité absolue, je trouve. La musique est propre en elle-même, mais l’humain la salie, suivant les textes qu’il pose dessus. Parler de politique, de révolution, d’anarchie ou de liberté dans mes textes n’est pas la salir, mais l’élever. Pour moi on salit la musique avec des textes qui parlent de cul, de sexe pornographique, de violence verbale ou physique envers les femmes, de choses qui n’ont aucune espèce d’importance dans la pensée. Je préfère que la musque soit vierge plutôt que de porter des textes de merde. Donc le sujet de la chanson est de savoir ce qui salie la musique ; et pour moi ce sont les chansons sexuelles, voire certaines chansons d’amour qui n’ont pas lieu d’être, des chansons antiféministes ou misogynes.  

– Le féminisme justement est une des thématiques qui ressurgit souvent dans tes albums. Tu nous avais dit à Luxey, tenir ton pseudonyme de la chanson de Nirvana « Smells like teen spirit », mais également de la mélisse, plante qui soigne les femmes, car tu voulais chanter pour soigner les femmes. Y a-t-il une raison particulière ?

– La chanson « Khmar » porte un discours de misandrie, c’est-à-dire de misogynie inversée, tournée contre les hommes. Je l’ai faite exprès pour montrer comme un misogyne nous blesse, en démontrant qu’il est possible d’entendre le pire dans la bouche d’une femme aussi. Le texte est violent. Mais j’ai entendu ces choses là de la bouche de ma mère, et même de ma grand-mère, qui était misanthrope ; je ne les invente pas. Les femmes de ma famille étaient très féministes, car elles ont connu et vu beaucoup d’hommes se décharger de leurs responsabilités envers leurs propres enfants.  

– L’autre thématique importante qui s’exprime dans l’album, par ailleurs marqué d’un esprit endeuillé par les attentats de 2015, est l’athéisme. Est-ce pour toi une conception nécessaire ?

– Surtout depuis les attentats contre Charlie. Je me suis dit qu’il était important de rappeler qu’on a tué le roi et séparé l’église de l’état, et que ce n’est pas pour recommencer à mettre une église au dessus de tout. Le titre « Le pendu » s’inspire à la fois de « La ballade des pendus » de François Villon et du « Bal des pendus » d’Arthur Rimbaud ; j’ai étudié ces textes et voulu faire un acrostiche : « Dieu nait du diable et il faudra bien le pendre ». L’homme prétend que la femme est née du diable ; mais il n’empêche que c’est la femme qui met les hommes au monde, et donc Dieu. De ce fait, Dieu nait du diable, car sans le diable, Dieu n’existe pas.

– Ton univers, par certaines de ses thématiques et le choix du vocabulaire, parfois résonnent comme en communauté avec celui de Damien Saez, impression renforcée par l’esthétique sonore de « L’Ankou », notamment au niveau du traitement de ta voix.  Cela relève-t-il du hasard, d’une proximité spirituelle inconsciente ou d’un parti-pris délibéré ? Et plus généralement interviens-tu dans les décisions concernant les esthétiques sonores au cours du traitement et du mix ?

– En fait j’interviens, mais on travaille trop rapidement pour moi. C’est-à-dire qu’on fait dix sept jours d’enregistrement et après une semaine de mix. Et c’est trop rapide pour avoir le recul suffisant pour moi. Mais on n’a pas les moyens, quand on est un petit artiste pas reconnu qui n’a pas fait de tube radio ayant ramené de l’argent dans les caisses. On n’a pas vraiment le temps pour faire les choses bien en dix sept jours. Mais on fait au mieux pour que ça sonne. Après si ça ressemble à un Damien Saez, c’est peut-être parce qu’on a écouté les mêmes choses, qu’on a aimé les mêmes choses, qu’on a lu les mêmes livres. Avec Damien, on s’est rencontrés et on s’est dit les choses : j’avais l’impression que c’était mon jumeau masculin. Pourtant en 2008, je ne connaissais pas encore Saez, et j’avais déjà écrit tous mes textes. Je l’ai rencontré avant de le connaitre, alors que j’enregistrais « Ecoute s’il pleut » au même studio où il enregistrait « J’accuse », et du coup après je me suis mise à l’écouter pour savoir ce qu’il faisait. La ressemblance n’est pas volontaire. Reste qu’on est de la même génération, qu’on est sensibles aux mêmes choses,  et qu’on a en commun des influences et des gouts, que ce soit en musique anglo-saxonne avec The Clash, Radiohead, Nirvana, ou en Chanson Française avec Jacques Brel, Léo Ferré, Georges Brassens. 

– L’effet de paradoxe rendu sur par le choix de compositions musicales énergiques pour porter des textes plutôt sombres sur cet album était-il un équilibre nécessaire ?

– Matu a aidé à composer sur « Les rivières », et a participé aux arrangements ; donc on entend sa patte, qu’on peut retrouver chez Indochine. Mais je voulais faire cet album ainsi. J’ai appelé Bruno Green du groupe Detroit, dont j’aimais le son, et je lui ai demandé de me réaliser ça. Ce que j’aime est sombre, mélancolique ; c’est la réflexion dans la noirceur des choses.

– Éprouves-tu le besoin de faire vivre tes chansons scéniquement avant de les enregistrer ?

– Oui bien sur ; il y en a plein que j’ai testé sur scène, et qui ne sont d’ailleurs jamais parues sur un disque. Parce que sur scène, je me suis rendu compte que ça ne fonctionnait qu’à moitié ; j’ai donc préféré les laisser au placard. Par exemple « Ma petite étoile noire » a été jouée sur scène depuis 2012, avant d’être enregistrée et de sortir en 2016. Je l’ai faite tourner avant ; elle fonctionnait sur scène, et ça a été la première chanson écrite de « L’Ankou ». Quand j’ai un doute, je teste les chansons, et je vois si je peux les porter de manière efficace ou s’il faut les modifier ou les abandonner. Mais quand je sais que les chansons vont fonctionner, je ne les joue pas nécessairement sur scène. J’ai assez le sens de la mélodie pour ne pas me tromper quand je sens que ça marche. Ma mère, de  même que ma grand-mère, m’a dit que je répétais les comptines qu’elle me chantait à deux mois, avant de savoir parler. Je n’en revenais pas quand elle m’a dit que je chantais juste à trois mois ! A cinq ans je m’exprimais en chantant aussi ; je ne savais faire que ça. Et j’inventais des mélodies ; je ne copiais pas.

– Ce qui explique que tu peines moins à composer qu’à écrire. La musique est-elle ton langage ?

– Le texte ne vient jamais ; il faut que je le cherche ! Il ne vient jamais tout seul. En revanche j’ai cinq musiques qui me traversent la tête par jour. Au minimum ! J’ai juste à noter les mélodies ; j’ai même l’impression que je ne les choisies pas, mais que je les entends. J’ai l’impression d’être folle parfois : quand j’entends le vent souffler, j’entends une mélodie. Donc je ne cherche pas les mélodies ; elles viennent toutes seules. En revanche je cherche les textes, je fouine, et parfois je ne trouve pas. Quand je demande à des auteurs d’écrire pour moi, je ne leur envoie pas de musique. J’ai essayé mille fois de faire la mélodie d’abord et de l’envoyer à un auteur, mais je n’aime pas ça. Il ne trouvait pas les mots ; ça ne sonnait pas, ça ne fonctionnait pas. Donc je demande des textes, parfois je corrige, parce qu’en lisant les textes j’entends une mélodie, et donc je vais corriger le texte en fonction de la mélodie que j’entends ou du nombre de pieds. Je préfère faire ainsi : je couds la mélodie sur le texte déjà écrit. Le contraire est très compliqué avec la langue française, moins avec l’Anglais. Personnellement je fais du yaourt phonétique anglophone, mais j’appelle une copine qui maitrise l’anglais, et lui demande de m’aider à écrire le texte à partir de ce que je voudrais dire. Ce fut le cas pour la chanson « Les restes », écrite avec Joy Pryor : j’avais l’amorce « Ici, c’est les restes » », mais je n’arrivais pas à écrire la suite en français, car ça ne sonnait pas, et je lui ai donc donné la description de ce que je voulais dire pour qu’elle écrive le texte en anglais puis nous avons corrigé pour exprimer dans le refrain ce que je voulais, à savoir « je casse mes chaines comme je devrais le faire ». Pour cette chanson effectivement, j’ai pris la mélodie d’abord et le texte est arrivé ensuite dessus et ça a fonctionné. Mais ça ne fonctionne pas en français ; c’est phonétique : en français, c’est la consonne qui est importante, alors qu’en anglais c’est la voyelle. Donc je retravaillerais certainement avec Joy.

Miren Funke

Photos : Carolyn C (toutes sauf 5), Miren Funke (5)

Liens :

Melissmell : https://www.melissmellmusic.com/

https://www.facebook.com/melissmell/

Bordeaux chanson : https://www.facebook.com/melissmell/

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