Samedi 2 décembre dans la salle Le Krakatoa de Mérignac, près de Bordeaux, c’est le groupe The Melomaniacs, embarqué en tournée par les Stranglers pour assurer leurs premières parties, qui ouvrait la soirée, dans un registre quelque peu à contre-ambiance de leurs ainés, tout en douceur. Se saisir du court espace de quelques chansons pour installer une atmosphère et planter un décor n’est certes pas un exercice facile et requiert d’investir la musique de présence et de profondeur dès les premières notes, pour que celle-ci n’ait pas à finir de s’exprimer avant d’avoir commencé. Ce fut pourtant le pari assumé par le trio qui plongeait instantanément le public dans la volupté de compositions planantes, et loin d’être décharnées malgré une interprétation épurée. Timbre grave
aux intonations suaves où se miroitait par moment comme un fantôme de Leonard Cohen, mélodies originales, jeu subtil, et calme de surface sous lequel on devine bouillonner un volcan prêt à cracher sa lave, semblable à l’onde bromoforme d’un océan avant tempête imminente, la musique des Melomaniacs frôlait le rêve à demi-éveillé, dont il n’est possible ni de s’en arracher brutalement, ni de s’y assoupir totalement. Une belle découverte, dont on apprécie d’autant plus la valeur du fait qu’elle joue sur un terrain complètement différent de celui des Stranglers, le contraste entre les univers de deux groupes apportant une saveur toute particulière à la soirée.
Un verre, deux cigarettes et quelques minutes plus tard, la douce évanescence dans laquelle la musique des Melomaniacs m’avait laissée volait en éclat sous l’assaut des premiers riffs de guitare de Baz Warne et des notes de basse de JJ Burnel. Le quatuor mythique The Stranglers surgit sur scène, ne tardait pas à bousculer les énergies, attaquant le concert par plusieurs morceaux musclés. Il y avait là de quoi prendre toute la mesure de l’alchimie et de la malice dont des musiciens aussi chevronnés sont capables, pour retenir de leur immense expérience autre chose qu’un savoir-faire spectaculairement rodé, et réinventer à n’importe quel moment la fougue, faire de chaque instant un instant inédit et non une répétition du précédant. Devant nos yeux la légitimité des anciens, mais dans nos oreilles la fraicheur et le dynamisme d’un jeune groupe de Rock : les Stranglers ne sont décidément pas les vétérans d’une guerre obsolète. La formation balayait pourtant, devant un public multi-générationnel comptant autant de jeunes que de quinquagénaires ou plus, plus de 40 ans d’histoire, alternant morceaux de l’album en cours d’enregistrement et de précédents, du dernier en date « Giants » (chanson « 15 Steps ») à de bien moins récents comme « Rattus Norvegicus » (« Hanging Around », « Peaches », « Sometimes »), « Feline » (« Midnight Summer
Dream », « Don’t Bring Harry », chantée en Français par JJ Burnel) ou encore « Black and White » (« Nice’n’Sleazy » et la reprise de « Walk On By »), anciens titres inédits ou pas (« G.m.b.H – Bear Cage », « 5 Minutes » et leur toute première chanson « Go Buddy Go » jouée lors du rappel), et succès populaires que le public accompagnait en chœur et que le groupe, loi
n de s’astreindre à jouer à l’identique, revisitait avec jouissance (« Always The Sun », « Golden Brown », « No more Heroes »).
Certains ont pu noter un léger déséquilibre du son en début de concert, le volume du clavier de Dave Greenfield couvrant quelque peu celui des autres instruments ; néanmoins la bonne balance fut rapidement rétablie pour nous faire retrouver l’osmose si typique de ce groupe, dont chaque musicien peut se permettre de jouer en solo sans que cela altère la cohérence de l’unité. Si les fans de la première heure avaient pu craindre il y a 27 ans, suite au départ de Hugh Cornwell, qu’il serait quasiment impossible à quiconque d’assurer la succession d’un chanteur aussi emblématique au sein du groupe -et le rôle ne fut pas évident à tenir pour le second chanteur Paul Roberts-, 17 ans après son intégration, il reste incontestable que Baz Warne investit le groupe avec un charisme authentique et une complicité évidente qui savent séduire. L’homme joue à merveille d’un timbre de voix propre, en même temps que proche de celui de Cornwell, qui lui permet d’interpréter avec un naturel et une loyauté surprenante les classiques des Stranglers, autant que d’assumer singulièrement les morceaux que le groupe lui doit. Le spectacle d’un JJ Burnel qui semble s’éclater toujours et de l’amusement des ces musiciens qui savent ce qu’ils font et prennent pourtant visiblement autant de plaisir à le faire que s’ils n’en avaient pas la moindre idée reste en mémoire comme une idée du Rock qui ne vieillit pas. Et pour s’en réjouir encore, la France devrait avoir le plaisir d’accueillir à nouveau les Stranglers l’été prochain dans plusieurs festivals (Aix Les Bains, Argelès sur Mer).
Site The Melomaniacs : https://www.themelomaniacsmusic.com/
Site The Stranglers : http://www.thestranglers.net/
Miren Funke
Photos (The Stranglers) : Carolyn C
Nous remercions l’équipe du Krakatoa pour son accueil et Alice Duboé pour son aide.