Quelques premières nappes de clavier sobres moutonnant sur un jeu de batterie acéré et de guitare discrète, c’est face aux applaudissements du public que malgré l’absence imprévue d’un des deux guitaristes, l’artiste Melissmell et ses trois musiciens abordaient la scène du Théâtre de Verdure samedi 12 aout, pour y faire monter une crue d’émotions contraires, plus turbulentes les unes que les autres, propres à commotionner le cœur. Certes, Melissmell n’est pas de celles et ceux que l’on vient écouter par hasard, tant l’artiste a esquissé tôt les couleurs de son monde et profilé le sens de son chemin. Pourtant un festival comme Musicalarue reste un lieu privilégié offrant l’occasion de découvrir des artistes auxquels on ne prend pas toujours le temps de s’intéresser autrement. Au public des déjà conquis récitant les paroles de ses chansons par cœur s’agglomérait donc ce soir là une masse conséquente de gens accrochés par cette voix naturellement éraillée et enragée, jaillissant d’un cœur, avec trouble, colère et sincérité, pour en harponner d’autres. Si la gravité du ton et l’obscurité -mais pas l’obscurantisme- des propos restent réels et intenses, à l’image de ces chansons issues du dernier album « L’Ankou », baptisé du nom d’un personnage macabre des légendes bretonnes, c’est pourtant l’idée de l’espoir et une force lumineuse émanant de la chanteuse qui allait imprégner l’atmosphère et contaminer les esprits, brinquebalés d’un sentiment à l’autre, comme par une tempête océane où se seraient entrechoquées vagues à l’âme déferlantes et lames de fond, mais sous un ciel orageux transpercé de faisceau solaires. Sans doute les sourires radieux de l’artiste et ces étincelles poétiques scintillant de mille feux aux reflets merveilleux…
Quelques heures après le concert, Melissmell, apaisée, mais semblant toujours couver un bouillonnement intérieur perpétuel acceptait de répondre à quelques questions.
– Melissmell, bonjour et merci de nous accorder du temps. Pourquoi avoir choisi un personnage légendaire breton, l’Ankou, pour donner son nom à ton dernier album ?
– Parce que j’étais entourée de Bretons. J’avais Bruno Green de Detroit, qui est de Rennes ; j’avais deux de mes membres musiciens, Matu [François Matuszenski] et Yann Ferry qui sont bretons de naissance. J’ai choisi l’Ankou comme représentant du passage entre la vie et la mort, pour Charlie Hebdo : l’écriture de ce disque a été faite avant l’attentat contre Charlie, jusqu’à la chanson « Le Pendu », qui est née pendant, entre le 07 et le 11 janvier. J’ai choisi l’Ankou pour les victimes, surtout pour le père de Mano Solo, Cabu. Je voulais donner une sorte de personnage : quand on parle de l’Ankou, on voit tout de suite le personnage squelettique avec sa charrette.
– La thématique ou du moins l’ombre de la mort est assez présente sur cet album. On sent aussi beaucoup de gravité chez toi quand tu chantes, comme ce soir, et en même temps une lumière indéniable émane de toi. Que voudrais-tu dire à ceux qui ne retiendraient de ton disque que le pessimisme et le qualifient de sombre, voire « morbide » ?
– A ceux qui le trouveraient pessimiste, que moi j’ai toujours la lumière. J’ai toujours de la lumière dans ma grotte. J’ai ma lumière à moi et je sais allumer une grotte avec rien. C’est une façon figurée de le dire. C’est peut-être dans la dépression, dans le dépressif, dans le pessimisme, mais pas pour moi : c’est dans le réalisme ouvert à la question de savoir s’il y a un après tout ce bordel. C’est le ton grave de la société qui nous pèse. Mais il y a la lumière de l’espérance, de l’espoir.
– Tu as confié chanter depuis toujours, mais qu’apprendre que tu étais atteinte d’une maladie t’a fait prendre conscience de beaucoup de choses. L’idée de faire de la chanson ton métier a-t-elle germé progressivement comme une évidence ou s’est-elle imposée comme une nécessité à un moment particulier ?
– J’ai chanté bien avant d’être malade. Je crois que c’est venu de Brel, de Piaf, de Ferré : premières envies de monter sur scène, premières envies de « faire comme ». Et puis j’ai vu Noir Désir en concert quand j’avais 9 ans, et puis Mano Solo. Puis j’ai eu cette maladie. Et la maladie m’a fait encore plus écouter Mano Solo dans le sens du combat. C’est là où le déclic s’est produit, où je me suis dit « j’y vais, je vais le faire ». C’est aussi le moment où Bertrand Cantat est tombé dans un nuage de… je n’ai pas de mot tellement l’acte est terrible. C’est à ce moment là que j’ai décidé de m’appeler Melissmell et de monter sur scène. Quelque chose me disait « mais qui va monter sur scène et remplacer ça ? ». Je ne prétends pas que c’est moi qui vais le remplacer, mais j’y suis allée en me disant « s’il n’y a personne, j’y vais quand même », parce que je n’avais plus rien à quoi me raccrocher musicalement, qui me parlait poétiquement de la vérité de ce monde. Je me demandais qui allait écrire la suite en somme, continuer ce combat, et n’aurait pas d’aile brisée. Et j’ai pris cet envol.
– Dans les thématiques de tes chansons, il est souvent question de la place de la femme dans la société, dans l’histoire et l’inconscient collectif ou l’imaginaire symbolique. Et dans le rock ?
– Il n’y en a pas beaucoup ! Elles ne sont pas beaucoup présentes ; il n’y a pas beaucoup d’exemples. Il y a Brigitte Fontaine : elle est rock dans son ensemble, même si sa musique n’est pas toujours forcément rock. Ceci dit, j’ai été peintre en bâtiment et j’ai vu plus de machisme et de misogynie chez les peintres en bâtiment que sur les scènes musicales. C’est beaucoup plus mixte. Il y a de plus en plus de femmes ingénieur du son, ingénieur lumières ou régisseur. Quand j’étais peintre en bâtiment, on était deux femmes sur mille peut-être. Ici, tu vois quand même quelques artistes féminines.
– Ton écriture engage souvent des clins d’œil au patrimoine poétique français, que ce soit à la littérature ou à la Chanson Française, comme François Villon, Arthur Rimbaud ou Léo Ferré. Cette culture a-t-elle beaucoup compté dans ta formation et est-ce vital pour toi de t’y référer?
– Oui. C’est un devoir, même. Je ne suis pas une personne qui aime lire. Je ne prends pas plaisir à lire, mais il faut que je lise pour évoluer, pour connaitre des choses et avoir envie d’évoluer. Je me force à lire. Ma voisine, la chanteuse Eskelina, me dit que je me mets des punitions, parce que je lis Marx, des philosophes, de la littérature un peu poussée, pointue, entre poésie, philosophie et politique ou scientifique. Donc ça nourrit mon écriture ; elle avance et évolue toujours.
– Sur le plan musical, on note l’introduction de sons électroniques sur ce dernier album. D’où cela vient-il ?
– De Matu. On a travaillé sur le premier album juste des versions au piano acoustique ; sur le second, on a poussé l’acoustique à son summum, c’est-à-dire qu’on a poussé le dépouillement avec des chansons interprétées juste avec une guitare et un piano. Et pour ce troisième album, j’avais envie de faire du rock français ; ça me démangeait. Donc je l’ai laissé se servir de ses sons. Matu a travaillé dix ans avec Indochine, donc comme il avait du matériel dont il ne s’était pas encore servi avec moi, je lui ai proposé d’essayer de s’en servir, pour pouvoir créer des sons et avancer dans l’électro et marier le rock à ça.
– Melissmell n’est donc pas qu’une chanteuse, mais aussi un groupe. Comment se passe la création collective entre toi et tes musiciens ?
– En général, j’arrive avec des chansons toute prêtes en 3 ou 4 accords, suivant mes envies. Je ne vais pas plus loin que 6 accords, parce que faire de la chanson compliquée n’est pas mon but. J’aime quand c’est simple. J’aime la simplicité de Nirvana.
– D’ailleurs le « Smell » de ton nom d’artiste ne vient-il pas de la chanson « Smells like Teen Spirit » de Nirvana ?
– Aussi, oui. Donc, j’aime travailler ça toute seule, et ensuite j’apporte ma chanson aux musiciens, enregistrée soit avec mon téléphone ou dictaphone, soit avec un logiciel qui me permet d’avancer un petit peu plus dans les arrangements ; elle est globalement terminée et je laisse la structure se refaire avec eux, éventuellement en ajoutant un pont là où il manque. Après je ne touche plus à l’instrument ; je reste à ma voix.
– Comment travailles-tu ta voix ?
– Je t’avoue que je ne la travaille plus depuis 5 ans. J’ai tellement chanté, que je ne travaille plus : les concerts me la font travailler. Pour être honnête, je l’ai travaillée depuis l’âge de 5 ans. J’ai toujours chanté. Ma mère et ma grand-mère me disaient « tu ne savais pas parler, tu chantais déjà ! ». Je faisais des mélodies en « mmm » ou « lalala » à 3 mois déjà, d’après ma famille. Il y en a qui s’expriment comme ça. J’étais un peu autiste : j’enregistrais les mélodies dans ma tête et je les cherchais au piano. Ma mère disait que j’étais « prédestinée ». Même un jour une voyante a dit que je ferais l’Olympia, et je vais le faire en Octobre ! Mais je ne le fais pas toute seule… On le fait en associatif avec l‘association Quart Monde, contre la pauvreté.
– Tu aurais dit en entretien journalistique un jour que ce n’est pas le morceau qui fait l’artiste. Mais est-ce l’artiste qui fait le morceau ou les autres au moment où sa chanson lui échappe et part vivre sa vie auprès des gens, un peu comme un enfant qui quitte son parent pour vivre par lui même?
– Les journalistes transforment généralement ce que je dis, parce que l’humain transforme toujours un peu. Ce que je voulais probablement dire c’est que ce n’est pas le tube qui fait un artiste, mais il le fait financièrement. Personnellement je laisse vivre ma chanson; je l’ai même apportée sur un plateau à Mélenchon et son mouvement politique ! Je lui ai dit que s’il la voulait, je lui donnais, enfin symboliquement, que je viendrais la chanter pour eux, parce qu’ils portent un élan intéressant : ils cherchent les failles dans le système, ils ont beaucoup de questions et se cherchent encore eux-mêmes et défendent le peuple comme ils peuvent. Donc c’est touchant que ma chanson parte vivre avec d’autres. Elle est partie voir Jérôme Kerviel par exemple. Il a parcouru tous ces kilomètres avec « Aux Armes ! » dans les oreilles. Il m’a invitée, avant son emprisonnement, à chanter la chanson devant toutes les caméras d’Europe. Donc j’ai chanté en direct sur BFM deux fois, puisque j’ai chanté pour son soutien et sa libération, parce que c’est un vrai scandale ; c’est incroyable de se faire duper pareillement. Cette chanson, je l’avais faite, parce j’étais énervée le jour où on a fait lire la lettre de Guy Môquet sous Sarkozy. Ça a tué mon positivisme ; j’étais écœurée. Voler Jaurès pour faire une politique de droite, c’est quand même fou : il faut être malade pour oser un truc pareil. C’est une des premières chansons que j’ai écrite, vers mes 25 ans. Je la date de 2008, parce que ça me semblait être le cadeau d’anniversaire de Mai 68 ; c’est important pour la libération de la femme. Je me suis dit « tiens, et si on allait embêter la Marseillaise sur son terrain ? »: je prends les symboles, je les vise, et je les arrache, les détruit ou les transforme. De même je suis allée chercher Villon et La Ballade des Pendus pour en faire quelque chose pour Charlie Hebdo avec « Le Pendu ».
– Une dernière question sur Musicalarue : comment s’est décidée cette première participation au festival pour toi ?
– Je suis venue l’an dernier, en tant que bénévole pendant trois jours. J’ai déposé ma maquette et je leur ai dit « l’année prochaine, c’est mon programme ! ». C’est comme ça qu’on a eu la date. Quand ça ne veut pas, il faut mettre les mains dans le cambouis. Je ne comprenais pas pourquoi on ne me programmait pas ici. Bourges, Belfort, je comprends qu’ils ne veulent pas de Melissmell pour X raison, et c’est vrai qu’ils ont cassé du sucre sur le bout de carrière que j’ai pu faire. Ce n’est pas de la paranoïa ; au début je croyais que personne ne voulait de moi dans les tremplins musicaux. J’avais fait deux fois le Printemps de Bourges, enfin en Alsace, je suis passée, mais ils ne m’ont jamais programmé à Paris ni Bourges. Ils préfèrent être tendance avec Olivia Ruiz. Ils font la pluie et le beau temps pour les autres. Musicalarue, j’en entendais parler comme d’un « putain de festival » de chanson française et de rock français, alternatif, et je ne comprenais pas pourquoi ils ne me programmaient pas : n’étais-je pas dans la mouvance ? J’ai du mal à me produire en Gironde et dans l’Ouest plus généralement ; je n’y suis pas encore reconnue. Donc je suis venue faire la bénévole l’an dernier ; j’avais tout un tas de copains qui jouaient, comme HK et les Saltimbanks, Fredo des Ogres de Barback, Les Hurlements d’Léo, qui m’avaient invitée à chanter avec eux sur scène l’an passé. D’ailleurs je chanterais probablement un morceau demain avec les copains, lors du concert du groupe Telegram.
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Et aussi, facebook : https://www.facebook.com/melissmell/
Miren Funke et Emma Pham Van Cang
Photos : Carolyn C (1 ; 2 ; 4), Miren (3 ; 5 ; 6 ; 7 ; 8)
Merci les filles pour cette rencontre avec Melissmell, non, elle n’est pas morbide, elle tient juste le flambeau d’un rêve, d’une juste révolte, d’une lueur d’espoir, pour mieux éclairer la réalité.
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