Cette année encore le festival Musicalarue accueillait à Luxey une multitude d’artistes à plus ou moins large public, et une foule immense de festivaliers. Durant trois jours, comme de coutume depuis plus de 20 ans, alors que le petit village landais ouvrait ses rues et ses espaces publics aux gens, ses habitants leur ouvraient leur cœur et leur maison. Car, outre le fait de transformer un village entier en scène gigantesque, Musicalarue présente cette particularité d’impliquer dans la vie du festival, résidents et bénévoles venus parfois de plus de 100 kilomètres aux alentours : artistes et festivaliers se logent chez l‘habitant ou campent dans les jardins, et chacun s’investit avec une bienveillance attentionnée et un esprit d’altruisme devenus rares -« l’esprit de Luxey » dit-on-, si bien qu’on ne saurait déterminer qui de Musicalarue ou de Luxey
a fait la renommée et le caractère exceptionnel de l’autre. Si l’événement fréquenté à l’origine plutôt par un public et des artistes alternatifs est devenu populaire au point d’être considéré comme une date incontournable par des célébrités qui ne laissent pourtant pas l’impression d’adhérer aux valeurs véhiculées par le festival, il continue d’attirer majoritairement des « artisans » de la chanson, des artistes de rue et des spectacles indépendants, et également des interprètes
faisant partie du patrimoine de la Chanson Française, ravis de voir les auditeurs partager un moment familial et reprendre en chœurs des succès populaires connus par trois, voire quatre générations. C’est la politique de l’association, qui chaque année gère au mieux l’équilibre pour ravir tous les publics, toutes les générations, en évitant cependant à Musicalarue de devenir un
événement industriel comme les autres.
Cette année hélas, un incident météorologique d’envergure est venu écourter et annuler la troisième soirée musicale en plein concert du groupe Matmatah qui terminait l’interprétation de sa chanson « Au Conditionnel » sous un déluge de pluie et des rafales de vent, devant un ciel déchiré d’éclairs, mais un public décidé à rester sans peur ni lassitude sous l’orage. Par chance la tempête n’a pas blessé de personne ; néanmoins Musicalarue comptabilise de nombreux dégâts matériels, dont nous espérons qu’ils ne mettront cependant pas en péril l’existence des futures éditions. Profitons ici de l’occasion pour remercier les membres de l’association organisatrice, qui, chaque année, nous accueillent et s’occupent de nous avec professionnalisme, dévouement et gentillesse.
Parmi les artistes présents, quelques uns ont accepté de nous accorder un entretien, le premier d’entre eux étant le groupe La Maison Tellier, que nous avions rencontrés l’an passé à Bordeaux [https://leblogdudoigtdansloeil.wordpress.com/2016/05/23/entretien-avec-la-maison-tellier-en-tournee/]. Achevant ici la tournée nationale consécutive à la sortie de son dernier album « Avalanche », le groupe normand livrait samedi un concert généreux, vibrant et possédé, constellé de nombreux moments de transe collective partagée avec le public. Les musiciens semblaient heureux pour cette première participation du groupe à Musicalarue de jouer sur la même scène que Miossec, dont ils reprirent le titre « La Fidélité », et de profiter de cette occasion de croiser sa route. Quelques heures plutôt, des « cinq faux frères », Helmut et Raoul Tellier, respectivement chanteur et guitariste nous accordaient un peu de temps.
– Bonjour et merci de nous recevoir. Lors de l’entretien que vous nous aviez accordé l’an dernier, vous évoquiez le travail d’épurement du son amorcé avec l’album « Beauté Pour Tous » et qui devient très flagrant avec « Avalanche ». Votre volonté va-t-elle dans le sens de poursuivre ce travail ?
– Raoul : On parlait tout à l’heure des nouvelles chansons qu’on écrit ; on essaye de pousser la chose encore plus loin, car on voudrait faire un enregistrement le plus live possible, juste à nous 5, avec éventuellement un ou deux musicien. Du coup, ça conditionne un cadre supplémentaire dans l’écriture des chansons et des arrangements. Par exemple je vais essayer de faire des parties de guitare qui se tiennent toutes seules, à une seule guitare. C’est une contrainte supplémentaire. Une fois qu’on aura fait ça, je pense qu’on ne pourra pas faire tellement plus épuré. A moins de chanter sans chanter…
– Helmut : Ou de virer un musicien par disque.
– Raoul : A la mode Koh-Lanta !
– Du coup, 5 ne sera plus le numéro parfait…
– Raoul : Non. Mais du coup, ça permettra d’écrire « A 4, c’est mieux »
– Helmut : Ou « On est bien tout seul ».
– Yann Arnaud est intervenu pour réaliser « Avalanche », alors que vous aviez réalisé les albums précédents seuls. Que tirez-vous de cette expérience, du fait de bénéficier d’un regard extérieur ? Quels en sont les inconvénients et les avantages ?
– Helmut : Le regard extérieur nous permet de trancher quand nous arrivons dans une impasse en termes de composition. On lui remet ce rôle là, qui est chiant. Du coup on a juste à se concentrer sur notre rôle de musicien. On a toujours été dans des réseaux, mais on n’a jamais eu un succès tel que tout un tas de parasite viennent nous expliquer quoi faire, comme des directeurs artistiques ou je ne sais quoi. Nous, on est plutôt demandeurs de ça, sans en être obsédés. De mon point de vue, l’album de Noir Désir qui est le moins intéressant en termes de son est celui qu’ils ont réalisé eux-mêmes, parce qu’il n’y avait pas de personne extérieure. Dans ces cas là, tout le monde veut faire plaisir à tout le monde. On passe nos vies ensemble, donc on ne veut pas se fâcher. Du coup on est 5 à donner notre avis. Un intervenant extérieur, quand il est légitime et que ce qu’il dit est intelligent et bien amené polarise la chose et nous permet d’être bien. Il y a une chanson sur le dernier album qui cristallise ça, c’est « Garçon Manqué », que je trouve peut-être la meilleure chanson de l’album : on est arrivé chacun avec des bribes d’idées, Yann a mis tout ensemble et désigné une direction.
– Est-ce pour vous une expérience à réitérer ?
– Raoul : Ça me parait nécessaire. Mais on est en perpétuelle réflexion là-dessus, parce que certains d’entre nous préfèrent avoir l’opportunité de faire notre tambouille entre nous, sans forcément que quelqu’un vienne arbitrer ; ça peut prendre du temps.
– Helmut : Et puis on a aussi le fantasme de travailler avec des réalisateurs anglo-saxons parce que c’est la musique qu’on écoute le plus en ce moment. On se rend compte qu’en France, ça tourne sur un certain nombre de réalisateurs, mais qu’on compte sur les doigts d’une main ; donc tous les disques ont des sons relativement homogènes et c’est pas facile de se démarquer. Et nous, on est obligés de se démarquer, parce qu’on sait qu’il n’y aura pas la grosse cavalerie derrière qui va balancer notre morceaux sur la pub après le journal. Donc faut essayer d’être originaux. Et puis il y a le fantasme de travailler avec quelqu’un dont on admire le boulot ; ça pourrait être John Parrish ou un autre. Mais ça pourrait aussi être naze. Faut essayer. Le problème, c’est que nous, on a une économie limité. On ne peut pas se dire qu’on va mettre 20 000 euros pour se payer un réalisateur particulier et s’apercevoir que finalement ça ne va pas.
– N’est-ce pas aussi une motivation d’avoir l’oreille d’une personne non francophone pour votre chanson qui pose des textes français sur des musiques inspirées largement du monde américain?
– Helmut : C’est déjà le cas. Quand Seb (Raoul) écoute les chansons en maquettes, ce n’est pas forcément sur les paroles qu’il va se retourner. Moi, c’est ce que j’écoute en premier : des paroles nases peuvent me gâcher une chanson, même si j’écoute ce qui se passe dans la musique. Mais on pense peut-être à l’inverse.
– Raoul : Non, pas forcément. En Français, si les paroles sont nases, j’ai du mal. C’est plutôt que souvent, si les paroles ne le sont pas, je ne fais pas forcément de différence entre un très bon texte et un texte moyennement bien. Du moment que rien ne me perturbe l’écoute, comme quand j’écoute des chansons en anglais, je fais attention au texte après. C’est d’abord une mélodie, une ambiance, des arrangements qui me plaisent.
– Helmut : Mais il y a des mots qui accrochent l’oreille et des mots interdits dans les chansons. Et il y a des mecs qui les mettent quand même !
– Quels sont les mots interdits ?
– Helmut : Mitochondrie, tête de gondole. Tu vois le syndrome poussé à l’extrême : pour déconner, nous, on inventait des chansons de Thiéfaine. Mais Thiéfaine le fait très bien ; c’est juste qu’il emploie des mots, qui font que tu reconnais directement son écriture. Et c’est cool. Mais tout le monde ne peut pas le faire.
– Raoul : C’est un talent de pouvoir mettre n’importe quel mot dans une chanson.
– Parlons de votre écriture : elle prend souvent une forme narrative, comme des petits scenarii, des histoires racontées, même lorsqu’elle aborde des sujets polémiques ou un engagement comme la chanson « Un Bon Français ». Est-ce la qualité littéraire que vous voulez défendre ?
– Helmut : Ce n’est pas pour la qualité. C’est pour avoir une distance. J’aime bien faire des portraits ; c’est plus facile. La chanson vieillit mieux. Les chansons engagées, c’est compliqué. Pour le coup, je ne la verrais pas comme une chanson engagée, mais comme une chanson politique. Mendelson, qui vient de sortir un album que je recommande chaudement d’ailleurs, parle de ça : il dit qu’il fait de la chanson politique et non de la chanson engagée. La chanson engagée, en caricaturant, tu mets ton petit bonnet en pilou pour aller gueuler à la télé, et après tu vas sur ton i-phone en disant que t’es anar. « Un bon Français » est un portrait de salaud ordinaire. C’est comme ça que je la vois, même si la narration est un peu ambigüe et qu’après coup je me suis rendu compte qu’elle pouvait prêter à confusion. Mais si t’as deux sous de jugeote, tu ne te dis pas que c’est une chanson pro-front national. J’aimais bien l’idée de faire un portrait avec des trucs que tu entends au bistro parfois et qui piquent vraiment quand même.
– Raoul : Et je pense que tous dans le groupe, en tous cas moi je le suis, nous sommes sensibles à la petite histoire dans la grande Histoire. Les œuvres qui me touchent le plus, que ce soient des livres, des films ou des chansons, c’est quand au travers d’un portrait ou d’un événement, on est plongé au cœur d’une chose plus grande. Les chansons qui prennent par la main et qui disent ce qui est bien et ce qui ne l’est pas ne me parlent pas.
– Helmut : Et puis nous sommes un groupe : je ne vais pas engager les 4 autres gars dans mes opinions personnelles. C’est un peu compliqué ; je ne suis pas sur qu’on pense la même chose sur tout.
– Raoul : Ne serait-ce que politiquement, on n’est pas tous encartés dans le même syndicat.
– Helmut : Du coup, pour le prochain album, j’ai envie de revenir à des petits scénarii comme ça. Le dernier était plus une espèce de dissection autocentrée. J’ai envie de reprendre de la distance et de faire comme sur nos vieux albums où je racontais des petites histoires. Une chanson, ça s’épuise vite. Il faut laisser un peu de floue, un côté un peu impressionniste. On a connu une phase de chanson un peu drolatique avec des gens comme Renan Luce, Alexis HK, et c’était souvent bien trouvé. Mais je trouve qu’une chanson comme « La Lettre », une fois que l’histoire est comprise, on n’a plus envie d’y aller, même si l’effet de surprise est cool. Il faut choisir. J’aime bien que chacun se fasse sa propre histoire à partir de ce que je propose comme paroles.
– Une dernière question sur la participation au festival : est-ce une bonne occasion pour vous de croiser et rencontrer d’autres artistes ?
– Helmut : Oui ! On va voir si on arrive à convaincre Miossec de venir chanter cette reprise là avec nous. On va essayer !
Miren Funke
Photos : Carolyn C (5 ; 6 ; 7 ; 8 ; 9 ; 10), Miren (1 ; 2 ; 3 ; 4 ; 11)