Dimanche soir, 20H, page 13 du roman Entre toutes les femmes, de Erwan Larher, que j’embrasse avec toute la chaleur dont je suis capable :
« Au début ils n’y croyaient pas. Ils ricanaient ouvertement. Sur les écrans s’étalait le sentiment de supériorité que leur donnaient des décennies de domination ; les articles relayaient leur scepticisme goguenard. Bien que tout juste battu (…), le président de la République sortant n’en était pas moins braillard. (…) les Montagnards, l’autre parti politique du paysage, étaient tout aussi belliqueux. Parce qu’en définitive, ils défendent le même monde. Un monde qu’Arsène Nimale a commencé de chambouler.
Alors ils ont peur.
Montagnards et Feuillants (parti du président sortant) sont tenants d’une politique intérieure sécuritaire et répressive (« Quand une branche est pourrie, on la coupe »), défenseurs d’un capitalisme libéral plus ou moins ultra (« Vous avez mieux à proposer ? ») et partisans d’un État étique. Les dirigeants des deux partis se piquent de pragmatisme et ont géré en alternance le pays pendant de décennies sans que personne vît la différence – de toute façon, la Confédération européenne leur dictait les politiques budgétaires, monétaires et économiques.
Et voilà que, sorti de nulle part, porté par un immense enthousiasme populaire, avec des mots d’ordre aussi ingénus que « redevenir heureux », « prendre le temps » ou « valoriser l’humain », Arsène Nimale (…) les a balayés et a conquis l’Élysée. Ils n’ont rien vu venir, malgré les sondages, malgré l’évidence (…). »
Entre toutes les femmes, Erwan Larher, janvier 2015, Éditions Plon.
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Erwan Larher, « Lire à Limoges », avril 2017. Avec Aurélie Janssens, sur France Bleu Limousin.
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C’est l’histoire de n°2 (Autogenèse) et n°4 (Entre toutes les femmes). Pour découvrir les aventures d’Arsène Nimale, de La Voix, de Cybèle, celle qui, entre toutes les femmes, évolue entre deux mondes (celui des élites qui décident, tandis qu’Elle habite Freak Zone…), il faut se procurer les livres, dans toutes les bonnes librairies, et surtout indépendantes. On peut aussi lire l’un sans lire l’autre, même si, oui, « n°4 » s’appuie sur « n°2 » (Autogenèse, Michalon Éditions, 2012) et propose une anticipation : Que deviendra notre monde, après les politiques successives, si semblables des deux principaux partis ? Qu’amènerait un vent nouveau ? Et où en serions-nous des années plus tard ? Quelle place pour les anciens dominants ? Comment réagiraient-ils face à ce vent nouveau ?
De n°2 à n°4, le « Elle » à la place de « Il ». Ainsi, le lecteur plonge dans un univers qu’il connaît déjà.
C’est une œuvre clivante, car politique… Si bien que n’y résistant plus, à la centième page plus trois, j’envoyai un mail à Erwan : « Tu pouvais pas me le dire d’attaquer Autogénèse, rapido… ? (et plus vite que ça, encore !) ».
Dans la chronique intitulée « Le cas Lahrer -1- », j’écrivais qu’Erwan, avec ses romans n°1 et n°3 (Qu’avez-vous fait de moi ? et Mâle en milieu hostile) était d’emblée accepté/invité (comme il voudra) au sein de la tribu des « Salut les parano(e)s ! ». Ce roman, le n°2, ne vient pas décevoir les attentes du club des « lecteurs avertis en valent x2 ». Le n°4 itou.
« Le seul et triste plaisir du paranoïaque est de vérifier, un jour, qu’il avait malheureusement raison… » E.5131
En attendant d’être pleinement réalisées dans le réel, voici réalisées dans cette œuvre (roman, anticipation, sf ?) toutes les craintes d’une partie de la population (dont nous sommes) : les parano-e-s chers et chères au Medef-Cnpf-Cac40, les manifestant-e-s public-privé…
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Erwan Larher, « Lire à Limoges », avril 2017.
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Oui, il y a une histoire, mais aussi une vision… mais aussi la proposition d’une société autre. C’est en creux… pendant que tu goûtes l’histoire, les situations, l’humour caché sous chaque ligne, tu t’interroges : ça ressemble rudement à ce que l’orientation actuelle nous propose. On vivra ça dans combien de temps ? 5, 10, 15 ans ?
Alors, se pose la question de ce qu’il est – encore – possible de faire pour éviter ça…
Et si je me pose la question, c’est que le livre est efficace : il rejoint en cela le formidable film-interview de Thomas Lacoste… J’avais intitulé la chronique : « faire de la politique autrement ». Oui, c’est ce que fait Erwan. Bravo, mon pote !
Il s’agit d’échapper à la parabole de la grenouille qui se laisse ébouillanter. Je m’explique :
Une grenouille jetée dans l’eau bouillante, réagit et saute hors de la casserole. Une grenouille qui prend son bain dans une eau tiède se laissera prendre au piège de la température qui monte peu à peu et finit par l’ébouillanter, sans qu’elle ait « pensé » à réagir.
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Pour réussir ce tour de force, Erwan choisit un personnage neuf et c’est au travers de son regard neuf que le lecteur prend connaissance de ce monde dans lequel le narrateur le plonge. Ce monde, il vit déjà dedans et souvent ne réagit pas… La projection à 15 ans et le choix d’un personnage amnésique permet de fabriquer le choc, la prise de conscience… une réaction ? Le lecteur sautera-t-il hors de la casserole qui l’ébouillante ?
C’est aussi le terrain de jeu d’un narrateur qui, comme dans n°1 et n°3, s’amuse avec les possibilités qu’offre le roman : apparitions, disparitions, ellipses, humour, jeux de mots, etc.
C’est aussi une réflexion sur le souvenir, le passé, l’existence « poulet sans tête », le rapport aux autres, le réel, le fantasmé, la vérité de ce qui est vécu, de ce qui est tout court…
On t’expliquera ce que représentent les différents partis politiques, sur quoi ils se fondent, quel système favorise la loi du plus fort, à quoi sert « l’apparente alternance »… Oh, j’en dis trop, là, je crois…
Tu sauras à quoi servent les musées dans les C.U.
Léger, le Erwan, léger…
Légère cette vision du monde… tu crois ça ?
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Je songe aux deux journées passées chez l’auteur : à détruire, défaire, cogner, en vue de rénovation, la soirée à boire et jouer, la nuit à boire et refaire le monde.
Et cet instant de grâce : alors qu’Erwan donne son point de vue enivrant sur l’argent, son existence, son empreinte abusive, Thomas (un autre Thomas) qui s’étrangle, me regarde, le regarde et s’exclame : « Tu ne peux pas dire ça, Erwan ! ». Si, il peut le dire… J’adore. « Tu ne peux pas penser ça, Erwan ». Aussi… Oh, si. Et il l’a écrit.
Ce soir-là, ce que je ne savais pas c’est qu’Erwan avait déjà écrit/proposé un programme politique : dans Autogenèse !
« Tu pouvais pas me le dire d’attaquer Autogénèse, rapido… ? (et plus vite que ça, encore!) ».
Conte pour enfant ? Récit apologue et réaliste, d’anticipation ?
« Et voilà que, sorti de nulle part, porté par un immense enthousiasme populaire, avec des mots d’ordre aussi ingénus que « redevenir heureux », « prendre le temps » ou « valoriser l’humain », Arsène Nimale (…) les a balayés et a conquis l’Élysée. Ils n’ont rien vu venir, malgré les sondages, malgré l’évidence (…). »
Entre toutes les femmes, Erwan Larher, janvier 2015, Éditions Plon.
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Autogenèse, Erwan Larher, 2012 :
http://www.erwanlarher.com/?page_id=30
Entre toutes les femmes, Erwan Larher, 2015 :
http://www.erwanlarher.com/?page_id=15
Chroniques romans n°1 et 3 de Erwan :
https://leblogdudoigtdansloeil.wordpress.com/2013/07/02/le-cas-erwan-larher-auteur/
Chronique romans n°5 de Erwan :
https://leblogdudoigtdansloeil.wordpress.com/2016/05/08/marguerite-naime-pas-ses-fesses/
Le site d’Erwan Larher : http://www.erwanlarher.com/
Le Logis du Musicien : https://www.facebook.com/logisdumusicien/
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Hum Toks / E.5131 / Eric SABA (texte, photos)
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Erwan Larher, « Lire à Limoges », avril 2017.
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