
Le 19 novembre dernier, c’est une paire artistique fraichement formée qu’accueillait l’association Bordeaux Chanson au Théâtre l’Inox (ex Onyx) pour une soirée musicale délicieuse, qui allait happer le public présent. Permettons nous d’ailleurs un instant d’aparté au sujet de cette association culturelle, dont l’engagement auprès des auteurs compositeurs et interprètes a fait du théâtre un des rares lieux bordelais où la chanson est invitée à s’exprimer et rencontrer son public, dans l’intimité et la proximité d’une scène qui tient encore l’art et la culture pour nécessaires et vitaux. Revenons à nos gloutons… Gloutons de beauté, épris de poésie, avides de ces histoires qui se racontent avec le verbe subtil et l’accord harmonieux, la salle en était pleine pour écouter ce soir là deux concerts, ou plutôt trois, successifs de Guilhem Valayé et Valérian Renault, les deux artistes offrant au public, après leur concert respectif, un bonus de cinq chansons interprétées en duo.
C’est Guilhem Valayé qui ouvrait la soirée, accompagné de sa guitare folk. Profitant d’un temps mort dans le calendrier de son groupe, 3 Minutes sur Mer dont l’album sortira en 2017, pour s’offrir quelques dates de chanson acoustique en solitaire, le garçon venait interpréter ses compositions personnelles (ne disposant hélas pas encore d’enregistrement), au beau milieu desquelles s’étaient glissée une reprise toute en douceur de « Pendant que les champs brûlent » de Niagara. Le timbre mélodieux et l’émotion juste, cette voix possède une saveur envoutante qui a la magie de mettre en état second, jusqu’à presque faire perdre à la conscience le sens des paroles, envolées en une poésie libre, affranchie du conformisme esthétique. Si l’enchantement ne tourna pas à l’hypnose, c’est que l’artiste dose habilement ses échanges avec le public entre chaque chanson, pour le ramener au contact de l’instant avant de le rembarquer dans les voyages de ses histoires intimistes avec une grâce qui lui semble naturelle.
Après un entracte convivial -l’Inox tient à disposition un petit bar, dont les recettes soutiennent les activités de l’association-, sous les projecteurs, en voilà un autre qui dose habilement le jeu de sa mise en scène, intercalant du comique et convoquant des cascades de rires entre la gravité et les larmes intérieures vers lesquelles nous déportent les sujets amers, tristes et parfois lourds que la chanson aborde : la rupture amoureuse avec « Joueuse », le calvaire des enfants « différents » mis à l’écart avec « L’enfant », les aigreurs de l’amour inaccessible avec « T’es belle » précédée d’un poème déclamé, la complexité des rapports filiaux avec « Le lien », ou encore l’isolement psychiatrique avec « Sans Ma pilule » de Guilhem Valayé chantée en duo. Valérian Renault, un drôle de manque d’assurance théâtralisé, sait se faire comédien pour injecter légèreté et dérision au spectacle (on n’échappa pas à une récréative imitation furtive de J-J. Goldmann à l’occasion d’un « encore un matin » lâché au milieu d’une chanson). Et la terrible humanité des propos ainsi que l’exigence littéraire qui structure son écriture ne ressortent que plus poignantes de ce contraste. Devant ce clown qui jongle avec les émotions, le regard alternant d’une expression à l’autre, c’est une immense tendresse qui envahi le cœur, réceptacle empathique ne perdant aucune miette des histoires, n’occultant aucun relief des personnages et des sentiments auxquels les chansons prêtent la chair de leurs mots pour leur mettre bien plus qu’une peau sur les os. Concert succulent jusqu’au bout, et même par delà, Guilhem Valayé revenant sur scène rejoindre son ami pour interpréter cinq chansons en duo, dont une reprise de « La tendresse » de Bourvil, avec une complicité non feinte dont on peut apprécier la rareté, à une heure où le cabotinage de nombreux autres artistes la sur-joue, parfois de manière exaspérante. Si elle passe, si ils passent près de chez vous, fendez donc l’opercule et sortez de vos coquilles pour un beau spectacle.
Mais revenons quelques instants avant le concert… Les deux artistes, non sans humour, acceptaient de nous accorder un entretien.
– Messieurs bonsoir et merci d’accepter cet entretien. Vous tournez depuis peu ensemble, avec cette formule de plateau commun. Comment vous-êtes vous rencontrés et d’où est née l’idée de ce duo ?
– Valérian : La formule est toute récente ; on a créé ça cette semaine, à Toulouse, au Bijou. Nous y avons joué jeudi et vendredi, et nous faisons ce soir notre troisième date ensemble. On s’est rencontrés, il y a une dizaine d’années maintenant, au Printemps de Bourges. J’y ai vu par hasard un concert de 3 Minutes sur Mer, que j’ai beaucoup aimé et je suis allé féliciter Guilhem dans les loges. Nous nous sommes bien entendus et sommes devenus de « vieux copains ». L’idée du plateau en duo est venue d’Emma Chauvet, de la salle de spectacle toulousaine Le Bijou, qui avait très envie de programmer Guilhem, ainsi que de me reprogrammer, mais j’y été passé peu avant. Donc elle a eu cette idée d’un co-plateau, un petit peu amélioré, qui consiste en un concert de Guilhem, suivi d’un concert de moi, le petit plus étant une troisième partie de concert où nous revenons tous les deux sur scène faire une petite demi-heure de chansons en duo, certaines de Guilhem et certaines de moi qu’on a mises en deux voix et deux guitares, et terminer par une reprise ensemble.
– Guilhem : En fait il est déjà arrivé que l’on s’invite sur des concerts l’un de l’autre, donc il y a déjà quelques vidéos qui circulent sur youtube. Et c’est justement suite à ces participations ponctuelles que Valerian m’a embarqué en tournée sur un plateau en me proposant de partager des chansons. Après, il y a de fortes chances que ça évolue au fil des dates, car plus nous passons du temps ensemble, plus nous avons envie de faire des chansons. Donc je pense qu’on est partis pour un spectacle de quatre heures d’ici la fin de l’année…
– Et une éventuelle collaboration dans la création ?
– Guilhem : Mettez nous plus longtemps sur la route, et il y a de fortes chances que naissent des collaborations.
– Valérian : Cela pourrait tout à fait arriver. Il y a en ce moment une dynamique de cet ordre, en tous cas pour ma part. Cela fait quelques années que je tourne tout seul sur scène avec ma guitare, et j’ai l’envie de rencontrer sur scène d’autres artistes. Cette aventure rentre dans cette dynamique là. Et puis nous avons joué en octobre dernier un autre projet qui s’appelle « Cinq », pour lequel nous avons réuni Nicolas Jules, Imbert Imbert, Chloé Lacan, Guilhem et moi, sur un même principe : nous mélangeons tous les cinq ensembles sur scène nos répertoires tout au long du concert. Je pense qu’il y aura encore d’autres idées de ce genre…faire des solos à plusieurs.
– Comment avez-vous ressenti l’accueil du public ?
– Valérian : Très enthousiaste. Ce sont deux soirées magnifiques qui ont eu lieu à Toulouse. Déjà les gens ont profité de nos deux concerts solos à chacun, parce que c’est avant tout un co-plateau. Et puis de cette troisième partie en duo les a laissés très enthousiastes ; ils auraient voulu qu’on joue une heure de plus.
– Guilhem : Surtout qu’on ne s’entend pas du tout sur scène !
– Valérian : Oui… C’est vrai qu’on est des vieux copains, donc c’est beaucoup plus facile sur scène : nous n’avons pas besoin de singer la complicité. On sait bien que dès qu’il y a un duo à la télé, il faut se regarder dans les yeux, s’embrasser à la fin, comme si on vivait un grand moment de complicité. Ça ne sonne pas toujours vrai. Nous ne cherchons pas à le faire, mais ça donne quand même finalement cet effet là, parce que pour le coup, c’est une réalité.
– A l’heure actuelle où les budgets, tant individuels que publics, consacrés à la culture et l’art, sont considérablement restreints, cette alternative ne peut-elle pas aussi présenter une stratégie permettant de palier un peu aux circonstances économiques ?
– Valérian : Bien sur ! C’est une manière aussi de proposer des solutions. Il y a un problème de remplissage des salles, par un public qui se fait de plus en plus casanier, ou frileux, ou pauvre. Alors c’est superbe, parce que quand des gens viennent voir Guilhem, ils ne me connaissent pas forcément et c’est pour eux l’occasion de me découvrir, et inversement. Tout le monde a à gagner à cela. Et puis plutôt que d’attendre que ce soit des programmateurs qui opèrent des regroupements avec deux parties de soirée qu’eux ont choisies, pourquoi ne pas proposer nous-mêmes, en tant qu’artistes, quelque chose de logique et cohérent, en quelque sortes une soirée « clés en main » ? On peut choisir nous-mêmes notre partenaire. Comme ça on est sûrs de pouvoir aller lui dire à la fin du concert « j’ai beaucoup aimé ce que tu fais ».
– Chacun de vous a ou a eu une expérience de groupe assez intense. Comment est survenue l’envie, le besoin peut-être, de se frotter à une forme d’expression de plus solitaire ?
– Valérian : J’ai passé douze ans avec les Vendeurs d’Enclumes. Et puis j’ai eu une envie d’aller voir ailleurs. Je compare un peu cela à des histoires de couples : parfois ça se termine, sans forcément qu’il y ait de raison. Douze ans, c’était bien ; ça ne m’a pas paru long. Mais justement je n’aurais pas aimé que ça me paraisse long. Je travaillais avec des musiciens, qui avant de s’investir dans les Vendeurs d’Enclumes, étaient tous dans le Jazz ou des projets improvisés où ils avaient une grosse part d’expression. Depuis des années, avec les Vendeurs, on ne faisait plus que ça : on tournait beaucoup, et on n’avait plus le temps de faire autre chose. Et je pense que ça leur manquait. Et de mon côté, il me manquait de revenir dans de toutes petites salles, de retrouver un rapport très brut à la chanson, avec juste trois accords de guitare et une voix. J’avais besoin de mettre plus mes textes en avant. Donc quand on s’est rendu compte qu’on avait tous un peu envie d’aller voir ailleurs, on s’est dit « pourquoi pas y aller ? », tout simplement. Je ne regrette pas ; c’est une carrière totalement différente, dans des salles différentes et devant un public différent. Et je m’éclate là dedans. Je suis content d’avoir connu les deux. Je suis passé du maximalisme du groupe au minimalisme total du solo, et désormais je prépare une troisième formule : le mois prochain, je commence un nouveau spectacle en duo avec un guitariste, Pascal Maupeu, et je pense que ça va être un peu la tournée « de la maturité », un juste milieu entre l’excès de musique et l’excès de dénuement.
– Guilhem : Pour ma part, je suis toujours en groupe, avec 3 Minutes sur Mer. Nous avons sorti un EP en mars dernier, et le prochain album studio arrive en 2017, ce qui fait qu’il y a eu des décalages dans les dates de sortie qui m’ont permis d’aller faire des dates tout seul. J’avais besoin de jouer et d’explorer une chanson plus folk, là où avec le groupe nous avons un répertoire plutôt de rock lancinant. J’aime bien me balader avec cette guitare acoustique et retrouver cette musique que j’ai découverte avec Valerian en allant au Québec. C’est donc pour moi une voie parallèle, plus légère et facile à déplacer, qui me permet de jouer dans d’autres salles, où on ne peut pas débarquer à 5, avec batterie, clavier, etc…
– Valérian : Cela permet de raconter autre chose aussi, de véhiculer d’autres émotions.
– Guilhem : C’est ça ! J’avais besoin de cette chanson dans ma langue maternelle pour raconter autre chose. S’il n’y a pas de solo de guitare, ce n’est pas grave ; je peux me balader plus autour de ma voix. C’est un autre chemin. Et puis je vais retrouver mon groupe pour faire la première partie de Zazie au Bataclan bientôt, le 15 décembre, avant de repartir faire quelques dates avec Valérian. Je suis donc sur deux rails parallèles, qui ne vont sans doute pas tout le temps dans la même direction.
– Pouvez-vous nous raconter vos parcours respectifs avec la musique?
– Guilhem : Personnellement je suis passé par le conservatoire plus pour convaincre ma famille que j’allais devenir musicien. Je suis jardinier de formation ; je possédais donc déjà un métier qui m’avait fait entrer dans la vie active. Mais j’avais la passion de la musique, et le seul moyen dont je disposais pour pouvoir prendre des cours de chant, du moins le moins cher, c’était le conservatoire. J’ai donc passé le concours d’entrée, et on m’y a accepté. Je me suis alors retrouvé à faire de l’opéra et à travailler entre Aix en Provence et Paris. J’ai arrêté à regret, car j’aurais aimé continuer ; mais faire le conservatoire était initialement plus un prétexte pour pouvoir aller jouer mes chansons dans les cafés. Donc au moment où mes chansons avec 3 Minutes sur Mer étaient prêtes, j’ai lâché le conservatoire pour commencer à tourner. Et puis j’ai recommencé il y a à peu près deux ans, parce que j’ai redécouvert le gout du travail sur la voix par les professeurs de chant qu’il y avait sur l’émission « The Voice » à laquelle j’ai participé. Avec l’âge, retravailler la technique m’a permis de comprendre qu’il n’existe pas deux mondes distincts, à savoir d’un côté celui de la voix lyrique et de l’autre celui de la chanson, mais qu’on peut prendre les techniques qui marchent dans le lyrique pour les injecter dans la chanson.
– Valérian : C’est drôle, je me rends compte qu’il y a chez moi quelques similitudes. C’est vrai que faire le conservatoire a rassuré les parents, quand je leur ai dit que je voulais devenir artiste. J’ai commencé par le conservatoire de théâtre, juste après mon bac. Et une fois arrivé là bas, ma vie a commencé : se retrouver avec des gens de son âge qui sont tous un petit peu bizarres, parce qu’artistes, et d’un coup ne plus être le seul type bizarre au fond de la cours d’école, était super ; d’un coup, la cour était remplie de gens bizarres et je me sentais vraiment chez moi ! Et comme pour le même prix, on pouvait facilement accéder à toutes les disciplines que proposait le conservatoire d’Orléans, je me suis mis au chant lyrique, au solfège, à la danse, et un peu à tout en dilettante, comme j’avais fait le reste de mes études. J’étais déjà passionné de chanson, et ça s’est rapidement éclairci dans ma tête que je voulais écrire et chanter des chansons ; pour moi c’est une discipline qui regroupe plein de disciplines artistiques, sans qu’il y ait forcément besoin d’être spécialiste dans aucune d’entre elles. Pour monter sur scène, il faut de l’écriture, de la composition musicale, du chant et du théâtre pour interpréter. Tout a donc rapidement pris sens, en ayant un peu de formation théâtrale, un peu de musicale, un peu de littéraire et un peu de danse. Je ne pense pas que j’aurais pu devenir spécialiste d’aucune de ces disciplines ; mais en les regroupant toutes, j’avais un superbe bagage pour réaliser mon rêve qui était de devenir chanteur de chansons.
– Valérian, tes textes présentent une qualité littéraire animée par les soucis d’un certain esthétisme. Comment, et peut-être par quel(s) auteur(s) t’est venu le gout de cette écriture ?
– Valérian : L’envie d’écrire m’est venue très tôt ; ça a été mon premier mode d’expression. J’étais bien plus à l’aise sur une feuille de papier qu’à l’oral. Mon rapport aux autres n’était pas forcément évident au début ; je n’étais pas très communicatif. J’ai donc commencé à écrire très jeune, sans savoir pourquoi au début ; c’était comme un besoin. Et un jour j’ai réalisé que ce besoin pouvait aussi devenir un métier. Mon écriture a toujours été tournée vers la poésie, et une poésie assez classique, qui ne m’a jamais vraiment lâché. J’essaye pourtant parfois de me forcer à plus de modernité, de me tourner vers la prose, le vers libre.
– Poésie classique. Quelles lectures en particulier t’ont frappé et pourquoi ?
– Valérian : Je crois que la première poésie qui m’a touchée a été celle de Brel et Brassens, donc via la chanson. Plus tard je me suis intéressé à des poètes, mais sans jamais avoir été un grand lecteur. Je suis sensible à des poètes très variés ; ça peut aller de Paul Valéry à Gherasim Luca. J’essaye de chercher la cohérence qu’il y a chez ces différents poètes, et je crois que le point commun entre les poètes que j’aime est qu’ils sont ce que j’appellerais des formalistes. C’est-à-dire qu’ils élèvent la forme au rang d’universelle : peu importe ce qu’on raconte, si c’est parfaitement bien raconté. Si la forme est harmonieuse et belle, on touche à l’absolu. Pour exemple ce poème de Paul Valéry que j’adore, Les Grenades : il parle d’une grenade trop mûre qui commence à s’éclater et décrit la lumière qui jailli de cette faille dans le fruit ainsi :
« Et que l’or sec de l’écorce
A la demande d’une force
Crève en gemmes rouges de jus
Cette lumineuse rupture
Fait rêver une âme que j’eue
De sa secrète architecture ».
C’est une nature morte en poésie ; il parle d’un fruit, donc ça devrait être ennuyant à mourir. Or en parlant de ce fruit, il arrive à parler de l’architecture du monde, tout comme le poète anglais William Blake qui disait qu’on pouvait voir tout l’univers dans un grain de sable. L’harmonie, la perfection, la beauté -qui est une notion floue mais que pourtant nous avons tous- parlent au sens universel. Quand on touche au beau, peu importe par quel biais, on touche à une forme de vérité ; je pense qu’il y a des formes de beauté universelle : les abeilles et les hommes seront tous d’accord pour dire qu’une fleur, c’est beau. Donc pour revenir au sujet, peu importe ce qu’on raconte, rechercher l’harmonie et la justesse dans la forme, la façon de dire, suffit à être utile et faire du bien.
– Jusqu’à être plus importante que le message ? Ou est-ce justement ça le message ?
– Valérian : Oui, c’est ça le message. Ce poème de Paul Valéry a changé ma vie. Alors qu’honnêtement, les grenades, je m’en fous ; je ne suis même pas sûr d’en avoir un jour mangé. Le message qui ‘il y avait à passer dans ce poème, si ce n’est de dire qu’un fruit trop mûr éclate, est que peu importe qu’on parle d’une table, d’une chaise ou une crotte de chien, du moment que ça débouche sur cette espèce de vérité universelle. C’est ça qui me bouleverse. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai tendance dans mes chansons à parler de choses assez vilaines, à saisir la laideur qu’il y a en chacun de nous, la regarder en face, et essayer de voir en quoi on peut quand même en faire quelque chose de beau et comment on peut s’aimer quand même.
– Guilhem : C’est marrant, en t’écoutant je réalise qu’on s’entend bien à travailler ensemble parce que je dois faire tout l’inverse. On a passé un mois et demi à écrire ensemble. Valérian est très attachée à la forme ; il a un gout et une formation assez classiques pour l’esthétique. Je peux parfois faire le contraire exact ; je peux faire sauter une rime, ou rajouter ou enlever un pied, peu importe, parce que ma priorité va être la syllabe pour chanter. Une fois que tu es conscient de ta structure de texte, ce n’est pas la même chose de savoir qu’il manque un pied et de décider de l’enlever par choix esthétique, que d’être complètement ignorant des règles.
– Valérian : Il faut connaitre les règles avant de pouvoir les violer ; c’est la moindre des politesses.
– Guilhem : Voilà ! Tu vois, quand il met en forme un truc dégueulasse… Alors quand je l’écoute l’expliquer, je me dis qu’on est complémentaires.
– Valérian : C’est sûr ! Et c’est vraiment ce qu’on a envie de proposer avec un spectacle comme celui de ce soir : deux concerts qui n’ont rien à voir, à part le fait que tous les deux, on chante et joue de la guitare, mais qui se complètent, parce qu’on cherche la même chose, c’est-à-dire, émouvoir les gens, leur faire du bien, parfois en leur faisant du mal d’ailleurs. Je leur fais du mal pour leur faire du bien, parce que je pense que c’est cathartique. C’est joli de voir tous les chemins qu’on peut prendre pour arriver à satisfaire à la même ambition de servir à quelque chose et faire du bien aux gens. Nous prenons deux chemins totalement différents et complémentaires, et c’est joli de le faire ensemble.
– Valérian, tu nous as parlé de Brel et Brassens déjà. Y a-t-il d’autres artistes qui ont pu vous toucher au point de vous transmettre le virus et vous inciter à choisir cette voie ?
– Guilhem : Moi, c’est Bono de U2. Quand j’étais môme, à la découverte de la bande FM, il y a eu plein de choses que j’ai adorées. Mais c’était la radio ; je n’avais aucune idée de ce qu’était un disque. Mes parents écoutaient la Chanson Française et du Blues, mais, ma découverte, c’était la radio. Et un jour j’ai vu une pub pour l’album « Zooropa » de U2, et écoutant défiler les titres, je me suis rendu compte que la majorité des chansons que j’aime sont chantées par le même type, qui porte un cuir et des lunettes de soleil et qui joue devant des centaines de milliers de personnes. Et là, tu te dis « je veux faire ça !». J’étais fasciné ; Dieu était debout.
– Valérian : Mais la différence entre Dieu et Bono, c’est que Dieu ne se prend pas pour Bono.
– Guilhem : Mais voilà, j’avais 14 ans à l’époque, et je me disais que ce n’était pas possible qu’un seul type soit responsable d’autant de tubes. Je me suis pris une baffe monumentale avec le son de l’album « The Joshua Tree », ce côté rock épique, et le chant de Bono. Après en vieillissant, je n’ai pas adhéré à tout bien sûr. Mais ce premier émoi de la bande FM m’a beaucoup marqué. Et ensuite il y a eu Nirvana. Mais Nirvana, c’était plus de l’identité générationnelle. Et puis quand je me suis retrouvé à découvrir Noir Désir, Brel et Radiohead, pour être dans les plus classiques de ma génération, est venu l’envie de creuser d’autres choses, le gout de la musique et du texte.
– Valérian : On n’écoutait pas vraiment de musique chez moi, mais je crois que la première fois que j’ai eu vraiment une cassette à moi que j’écoutais en boucle, c’était un album de Renaud. Sans doute parmi les gens qui ont été enfants dans les années 80, est-on plein dans ce cas là. Ceci dit, j’adore « feu » Renaud -c’est par amour pour le chanteur que j’ai aimé que je préfère parler comme ça-, mais ce n’est pas lui qui m’a donné envie d’écrire. Plus tard, vers 14-15 ans, j’ai découvert Brel, et c’est ce qui m’a donné le virus. C’était mon meilleur ami ; tous les soirs, je l’écoutais dans ma chambre : c’était le gars qui me réconfortait, qui partageait ma vie, sur l’épaule duquel je pouvais pleurer. C’était le meilleur confident du monde. Je me suis dit que c’était dingue que ça puisse aller jusque là : le gars était mort et je me faisais réconforter par un fantôme. C’est vraiment ça qui m’a donné envie d’en faire autant. Enfin, « autant », ce serait trop beau, mais du moins d’essayer d’être un jour un réconfort pour quelqu’un. La chanson peut être aussi juste un message à faire passer, un éclat de rire à partager, mais comprendre que la chanson peut être profondément utile, ne serait-ce qu’à une seule personne, a été la motivation principale. Je pense que l’art dépasse largement les artistes, et que l’œuvre peut être bien plus grande que celui qui l’a faite. Quand de temps en temps on est touchés par la grâce, ce n’est pas l’humain de chair et de sang qui est gracieux, c’est l’artiste, par un coup de chance, de hasard, d’inspiration peut-être… ça serait presque un peu mystique de dire ça, mais pourquoi pas ? Certains artistes m’ont bouleversé, et pourtant je n’aurais aucune envie de rencontrer les humains qu’ils sont, et qui seront sans doute décevants. Ça ne m’intéresse pas ; ce qui m’intéresse, ce sont les chansons qu’ils ont faites et qui ont changé ma vie. Il y a des artistes avec qui je n’aimerais pas du tout partir en vacance, mais ça ne m’empêche pas d’aimer leur œuvre. Et inversement je connais des artistes hyper sympathiques, mais dont je n’écouterais jamais les chansons. Bon, nous deux, c’est différent : on est à la fois très sympas et excellents, mais c’est hyper rare. C’est pour ça que dès qu’on arrive à Bordeaux d’ailleurs, c’est l’émeute ; y a déjà 29 réservations…

Miren Funke
Nous remercions l’équipe de Bordeaux Chanson pour son accueil chaleureux.
Liens :
Valérian Renault : https://www.facebook.com/valerian.renault/?fref=ts
https://www.facebook.com/fansdevendeursdenclumes/
Guilhem Valayé : https://www.facebook.com/guilhemvalayepublic/?fref=ts
http://www.3minutessurmer.com/
Projet « Cinq » :
https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=1712262415761324&id=1685442348443331&hc_location=ufi
Bordeaux Chanson :http://www.bordeaux-chanson.org/
https://www.facebook.com/bordeauxchanson/about/
WordPress:
J’aime chargement…
Étiquettes : Guilhem Valayé, Valérian Renault