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Musicalarue, édition 2016 : entretien avec Salvatore Adamo

5 Sep

Musicalarue

 

C’est une tradition du festival Musicalarue de programmer aussi des concerts d’artistes fédérateurs, dont les classiques appartiennent au patrimoine de la chanson francophone et sont connus de tous. Manière de proposer des spectacles à destination d’un public multi générationnel, auxquels on puisse assister en famille. L’an dernier, c’est Hugues Aufray qui avait enchanté enfants, parents et grands-parents, heureux de fredonner ensemble les mêmes chansons.

Dimanche 14 aout, c’est à 19h et en plein soleil que Salvatore Adamo débutait son récital sur la scène du Théâtre de Verdure, devant un public composé d’admirateurs et admiratrices fidèles, mais également de curieux se croyant de passage pour écouter quelques morceaux, et qui allaient rester en fait jusqu’à la fin, séduits par la chaleur et la classe du monsieur. Si un seul mot devait qualifier ce concert, « générosité » serait celui qui viendrait à l’esprit en premier. Le chanteur aurait pu se contenter d’enfiler ses succès discographiques passés comme des perles à un joli collier pour s’assurer l’adhésion facile du public. Il n’en fut rien. Preuve qu’à tout âge, un artiste sait se mettre en danger. Même s’il n’oublia pas de faire danser les spectateurs au son de ses standards, Salvatore Adamo était là aussi pour chanter et défendre les chansons de son dernier album « L’amour n’a jamais tort ». Et si on nous avait dit que nous verrions des punks pas même trentenaires en réciter les paroles par cœur, l’aurions-nous cru avant d’en être témoins ? Rien n’est moins sûr. Et pourtant…

Salvatore Adamo fait donc partie de ces artistes qui brisent les sectarismes et nous rappellent à chaque spectacle que la musique donne du plaisir et qu’il n’y a pas d’âge pour comprendre ce message quand il est offert avec tant de générosité et de sincérité. Après plus de deux heures de concert et ovationné par un public entièrement debout, le chanteur nous recevait dans ses loges pour un entretien.

Radio mdmCet entretien fut réalisé en collaboration avec une équipe de Radio Mdm [ http://www.radio-mdm.fr/ ] que nous remercions d’avoir bien voulu partager ce moment chaleureux.

 

– Bonsoir et merci de nous recevoir. Ce soir, beaucoup de gens présents au concert confiaient être très heureux d’avoir profité du festival pour vous écouter, car ils ne font pas parti de votre public habituel IMGP4779et, disaient-ils, ne seraient sans doute jamais allés voir un spectacle de Salvatore Amado de leur propre initiative, mais ont pourtant été ravis. Avez-vous eu le sentiment de vous adressez peut-être aussi à un public qui n’était pas traditionnellement le votre ?

– Cela me rassure, parce que c’est vrai que dans un festival, il y a quand même une remise en question. Comme vous dites, c’est confortable de chanter devant son propre public. Là, on se demande si les gens veulent écouter des chansons habituelles ou s’ils veulent qu’on les surprenne un peu. J’ai essayé de trouver le juste équilibre ; j’ai chanté des chansons qui ne sont pas vraiment connues, en essayant de m’appuyer toujours sur les connues. Je protège mes nouvelles chansons par des standards, si je puis dire. Enfin, je ne sais pas si mes chansons méritent ce mot. D’entrée je vois qu’il y a une partie de mon public, mais je vois qu’il y a aussi d’autres personnes. Mais ça se sent tout de suite, si le public adhère ou pas. Et on est rassuré, ou pas. Mais ce soir, cela ne s’est pas trop mal passé. Je suis là en connaissance de causes bien sûr, mais je ne peux pas analyser la réaction à ce point là, parce que la réaction était bonne et donc je ne peux pas savoir si elle vient de mon public ou pas. Dans la durée, je n’ai pas senti de désapprobation sur une chanson ou l’autre.

– Il est 23h15 ; il y a eu 2h15 de concert, plus des rappels. Vous comptez 50 ans de carrière ; il faisait 38°C ce soir, en plein soleil. Et des médias se succèdent pour recueillir vos sentiments. Comment faites-vous pour être encore aussi disponible ?

– La disponibilité a toujours fait partie de l’idée que je me faisais du métier. Je suis timide, mais j’aime bien le contact. C’est flatteur de savoir qu’on s’intéresse à mon travail. A mes débuts, c’était un miracle. Et puis, je suis content que les médias soient encore là dans la durée et me posent des questions. Le jour où on ne me reconnaitra plus dans la rue, je pense que je serai un peu triste. « Un peu » est un euphémisme ! Cela fait partie de l’échange que le fait d’être chanteur nécessite. Je ne dirais pas que c’est de la patience de ma part : c’est une gratification que vous me faites. Ca peut paraitre bizarre, mais je le prends comme ça. Par exemple en mai, j’ai été au Chili faire 7 concerts ; les médias étaient là, et j’étais content. Vous nous faites exister d’une certaine façon.

– Pour souvenir d’un de vos concerts à Mont-de-Marsan il y a quelques années, on voit toujours à la sortie du concert ces dames qui vous attendent. Les fans sont toujours là, même lors de vos descentes d’avion à l’aéroport. Qu’est-ce que cela vous fait ?

– Ça me touche à un point que vous imaginez. Ce qui m’embarrasse parfois, c’est qu’en plein hiver, même par -5 degrés, une heure après le concert, elles sont là. Aucun chanteur ne mérite que vous attrapiez une pneumonie. Ça me bouleverse d’une certaine façon ; et je leur ai dit plusieurs fois. Quand c’est possible, je les fais rentrer. C’est le moindre respect que je leur dois. Avant quand je chantais une heure, c’est vrai qu’il y avait pratiquement tous les soirs une séance de dédicaces. J’avoue qu’après avoir chanté deux heures et quart, c’est plus difficile. Mais je passe parmi eux ; je fais la bise à qui la veut. Je ne signe pas systématiquement, parce que debout c’est un peu moins confortable, mais ils comprennent.

IMGP4759– Musicalement, vous pourriez jouer la sécurité et n’interpréter que des chansons que les gens attendent. Mais vous êtes revenu avec un nouvel album, qui aborde des thèmes graves comme Charlie Hebdo et Bruxelles. Avez-vous toujours cette volonté de continuer et de faire passer des messages ?

– Oui. Cette volonté de faire comprendre aux gens que je vis avec eux et que je sais ce qui se passe sur la terre ; je ne suis pas sur un nuage. J’ai même des problèmes parfois avec mon empathie. On est tous bouleversés par ce qui se passe. Mais chez moi, il faut absolument que ça passe par une chanson. Et il faut qu’elle existe. Après je peux ne pas la sentir ; c’est possible. Mais il faut que je l’écrive. Parce que cette émotion et ce choc doivent passer par une chanson. Je pratique un peu l’art éphémère. Mais ça peut me prendre 15 ans après d’aller ressortir une chanson ; ça m’est arrivé des fois.

– Nous croyons savoir que vous étiez à Nice le 14 juillet.

– Oui. J’étais à Nice, et je l’ai fait savoir par mon facebook. Après un journal a un peu forcé le trait et prétendu que j’étais au cœur du massacre, ce que je ne me serais  jamais permis d’affirmer. Jamais je ne voudrais profiter d’un drame pareil. Ils l’ont fait ; ils ne m’ont pas demandé. En fait ils relataient ce qu’il y avait dans mon message sur facebook, mais le fait d’avoir été en première page avec ça et avec ce titre m’a fort embarrassé.

IMGP4765– Des choses plus gaies… Vous avez terminé ce soir par cette chanson qui a eu une deuxième vie et qui a été découverte par les rockeurs, celle qu’Arno vous a chipée. Ou que vous lui avez donnée ?

– Je ne le dirai jamais assez : je dois beaucoup à Arno dans la nouvelle écoute qu’il y a eue de mes chansons. C’est lui, grâce à sa reprise des « Filles du bord de mer » qui l’a faite écouter à un public jeune. Et petit à petit j’ai vu des jeunes se présenter à mes concerts ; j’étais ravi bien sûr. Je me suis demandé s’ils venaient au second degré. Peut-être certains au départ venaient au second degré. Mais après j’ai compris qu’ils adhéraient aux messages, y compris de mes nouvelles chansons. Et depuis il y a pas mal de jeunes qui viennent me voir. Au tout début, il y avait cette vague de revival des années 60, où ils écoutaient sans doute des chansons que les parents ont transmises, et je pense que les jeunes venaient pour s’amuser. Et après, je suppose, mais c’est peut-être prétentieux de ma part, qu’ils ont été surpris par le contenu de certaines chansons qui n’était pas aussi innocent et léger qu’ils l’attendaient.

 

IMGP4766– Dans les chansons des années 60 justement, nous avons découvert « Stand by me » chanté par Adamo pour Dominique Blanc-Francard. Pouvez-vous nous parler de cette curiosité ?

– Oui, j’ai fait ça ! C’est ma culture. C’est un dilemme pour moi terrible : d’un côté j’aimais Brassens, j’aimais la chanson italienne, et d’un autre j’écoutais Gene Vincent, les Everly Brothers, tout la Tamla Motown. Et c’est resté en moi. Quand je chante en anglais pour m’amuser, j’ai l’accent des chanteurs de ces années là. Dominique Blanc-Francard m’a demandé si je voulais participer à l’aventure et j’ai dit « avec grand plaisir ». On a beaucoup fait des disques concepts ; on est sortis du répertoire. Moi, j’ai fait un hommage à Bécaud. Je l’ai fait vraiment sincèrement, car c’est quelqu’un qui m’a marqué beaucoup. Mais j’aimerais bien reprendre des chansons des années 60 en Anglais ; j’adorerais le faire, dans quelques années. Que ça ne devienne pas un fond de commerce.

– Un des messages de votre dernier album est l’importance de transmettre la poésie aux jeunes générations, une certaine façon de voir le monde et le réel. Pensez-vous que le monde risque d’en manquer ?

– Je fréquente pas mal de jeunes, parce que j’ai des enfants. Il est possible que la tendresse, la poésie ait changé d’expression et de forme. Elle s’est peut-être un peu enrobée d’humour. Mais elle est toujours là. C’est fou à quel point, justement contrairement à ce qu’on croit, les jeunes ont besoin de tendresse. Mais elle s’exprime avec prudence, avec pudeur. On essaye de se défendre aussi. J’ai joué au football pendant longtemps, et la maxime était « la meilleure défense, c’est l’attaque » ; il y a un peu de ça. Mais j’écoute pas mal de jeunes ; mine de rien, Frero Delavega, c’est poétique. C’est d’une fraicheur, et en même temps il y a un petit côté chanson des années 50 dans la couleur. Elle est là, la poésie.

musicalarueIMG_0320-2– Peut-être un duo à venir ? N’avez-vous pas déjà chanté avec Olivia Ruiz et Oxmo Puccino ?

– Oui. Je suis content d’avoir des chanteurs qui appartiennent à la famille dont je me demandais si elle m’acceptait en son sein. Et ils sont là. Vraiment, ça m’a redonné la pêche !

– Votre nouvel album intègre des influences musicales et des sonorités plus modernes. D’où vous est venu ce choix artistique ?

– C’est un producteur flamand qui s’appelle Jo Francken, qui a produit notamment Milow, qui l’a fait. A la vérité, c’est mon directeur artistique qui a eu l’idée de nous faire collaborer. Et puis tout de suite Jo Francken m’a un peu rassuré, parce que tout en étant d’une jeune génération, il m’a raconté que ses parents écoutaient mes chansons et qu’il en connaissait certaines. Et quand il m’a parlé de collaborer avec Andrew Powell qui est un des arrangeurs de Kate Bush, et de « The year of the cat » d’Al Stewart, c’était une collaboration qui me plaisait. Donc je me suis laissé porter. Et je suis content, parce que c’est vrai qu’il y a une énergie que j’ai essayé d’avoir dans d’autres albums et que je n’avais pas encore eue. Sur scène, l’énergie, je l’ai depuis quelques années, même si ça c’est moins senti dans les albums.  

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Miren Funke

Photos : Carolyn C (5) et Miren Funke (1,2,3,4,6)

Lien : site : http://www.adamosalvatore.com/

 

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