Le 7 mai dernier, des membres de la Coordination des Intermittents et Précaires de Gironde (C.I.P.G) accordaient à notre revue un entretien pour expliquer les raisons de la poursuite du mouvement de grève et d’occupation des théâtres, alors que la plupart des médias nationaux avait annoncé la signature d’un accord avantageux concernant le régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle, et largement propagé l’idée que ceux-ci, ayant obtenu gain de cause, n’avaient plus de raison d’être mobilisés [https://leblogdudoigtdansloeil.wordpress.com/2016/05/07/pourquoi-l-accord-du-28-avril-na-pas-mis-un-terme-aux-occupations-de-theatres-et-a-la-mobilisation-des-intermittents-entretien-avec-des-membres-de-la-coordination-de-intermittents-et-precair/]. Laisser la parole aux premiers concernés nous offrait l’occasion de démentir la désinformation régnante en clarifiant la réalité des faits, le soi-disant « accord » n’étant en fait qu’un projet d’accord établi entre syndicats d’employeurs et syndicats de travailleurs du milieu du spectacle, non encore validé et qui avait toutes les chances de ne pas l’être. Prévision confirmée par l’actualité récente, puisque le MEDEF et les partenaires de l’UNEDIC, qui devaient, en dernier ressort, approuver cet accord de branche l’ont rejeté. Rien n’est donc acquis.
Mais ceci ne constituait pas l’unique raison de la mobilisation des Coordinations d’Intermittents et Précaires (C.I.P), dont les membres ne sont pas tous des travailleurs du spectacle, loin de là. Cohérentes avec la logique de convergence des luttes, dans laquelle elles ont toujours inscrit leur démarche, les C.I.P étaient déterminées à rester solidaires des mouvements sociaux de contestation de la politique ultralibérale défendu par les dirigeants et qui vise à précariser encore plus les citoyens pour fournir au grand patronat une main d’œuvre vulnérable et corvéable. A Bordeaux, comme dans d’autres villes, les occupations de théâtres et de lieux de spectacle se sont donc poursuivies, cependant toujours avec le souci de ne pas entraver le déroulement des événements culturels et artistiques. Et l’implication des C.I.P aux côtés des Nuits Debout, de la grève des lycéens et des luttes syndicales contre la loi Travail ne s’est pas relâchée. Bien au contraire. Les C.I.P ont participé, avec d’autres, à des manifestations et des actions de blocage de sites industriels, organisé des débats et des événements festifs conviviaux ouverts au public, et mis en place des caisses de soutien, comme celle destiné à P. Claude, intermittent handicapé qui s’est immolé devant la caisse de retraite de Marseille le mois dernier [ https://payname.fr/c/Q6kALb/Dons-suite-a-limmolation-de-Patric-Claude ].
Après avoir, durant des semaines, traité par le mépris les mobilisations lycéennes et les Nuits Debout, en n’y voyant qu’une révolte adolescente passagère, le pouvoir politique et les médias relayant sa parole ont tenté de discréditer ces mouvements en les taxant de n’être qu’un agrégat d’utopistes « déconnectés de la réalité » et ne représentant qu’eux-mêmes. Au moins se représentent-ils eux-mêmes ! Puisque plus personne ne semble les représenter, à commencer par ces parlementaires, élus avec des taux d’abstention exorbitants et souvent pour des raisons bien différentes que celles qu’ils défendent une fois au pouvoir. Il faut donc croire que c’est être déconnecté de la réalité qu’exiger un droit aux soins et à une éducation de qualité, un accès pour tous à l’instruction, à la culture et aux arts, afin de permettre à nos enfants de s’enrichir intellectuellement et de s’épanouir spirituellement, pour devenir des citoyens respectueux et curieux des autres et capables d’exercer leur libre-arbitre, au lieu de tomber sous le joug du premier fanatisme de passage qui réussira où la société a échoué : leur donner une identité valorisante en leur faisant croire qu’ils sont utiles à quelque cause, aussi infâme soit-elle. Si le droit à la santé physique et mentale coûte, combien coûtera la reproduction de la criminalité engendrée par la pauvreté extrême et le désespoir ? Utopistes « déconnectés de la réalité », sans doute le sont-ils tout autant que les penseurs des Lumières, les défenseurs des droits des femmes et des hommes ou encore les militants pour l’abolition de l’esclavage et les résistants qui rêvaient hier la réalité d’aujourd’hui. Puisque c’est ainsi qu’on nomme les gens de convictions désormais.
On opère maintenant un changement de stratégie, en criminalisant le mouvement social, puis en tentant de le diviser pour en réduire l’ampleur, à coup de concessions et de garanties négociées pour certaines corporations. On discute avec les routiers, les cheminots, les intermittents… comme si la loi Travail et la réforme de l’assurance chômage n’allaient pas concerner tous les travailleurs. Le premier ministre promet à présent une intervention financière de l’état en faveur des intermittents. A supposer qu’une promesse de politicien soit encore crédible, est-ce aux fonds publics, donc à l’impôt des citoyens, de subventionner un budget relevant de la responsabilité du patronat ? Ce même état qui se désengage de l’aide portée aux communes et au fonctionnement des services publics voudrait payer à la place des employeurs. Dans le même temps les médias télévisuels nous abreuvent d’images de casseurs, de vandalismes, d’émeutes bestiales. Sans renier l’existence de ces actes condamnables, ce qu’on ne voit pas à la télé, mais qu’on voit dans la rue, ce sont ces citoyens marchant pacifiquement pour défendre leurs droits, leur dignité ou simplement leur rêve d’un autre monde plus humaniste être gazés de lacrymogène, matraqués ou frappés à terre.
Lorsqu’on assiste à certaines violences policières particulièrement brutales contre de simples manifestants et on constate une répression ciblée envers des militants non-violents, mais considérés comme des meneurs d’opinion, alors qu’ils n’en sont souvent que des porte-paroles, n’y a-t-il pas de quoi s’interroger sur la réalité de la démocratie dans notre pays, et le silence, voire le parti-pris, de certains médias ? A ce titre, il est assez scandaleux qu’un grand quotidien régional se permette de porter des accusations diffamatoires et infondées à l’encontre d’une organisation syndicale légale et historique comme la Confédération Nationale du Travail (C.N.T) en insinuant qu’elle serait à l’origine d’actes délictueux et criminels, et de lui refuser ensuite le moindre droit de réponse. Ceci semble d’ailleurs être une pratique courante de ce média, dont l’association Droit Au Logement de Bordeaux (D.A.L 33) avait déjà fait les frais l’an passé [voir l’article https://leblogdudoigtdansloeil.wordpress.com/2015/05/22/sale-temps-pour-les-artistes-militants-et-porte-voix-des-demunis-la-condamnation-des-membres-du-droit-au-logement-d-a-l33-ou-quand-la-republique-criminalise-lassistance-a-autrui/ ]. Le peu de professionnalisme dont témoignent ces méthodes journalistiques et les lacunes flagrantes dans la culture politique de ces polémistes qui prétendent nous informer prêteraient à rire, si le manque de déontologie du procédé n’était pas si grave, aux vues de l’opprobre jeté gratuitement sur des organisations syndicales ou associatives, un idéal politique et un courant de pesée, dont visiblement ils ignorent tout. On ne saurait que trop leur conseiller de se renseigner un minium sur l’histoire de la philosophie morale et politique anarchiste, avant de répandre des amalgames grotesques et des caricatures vulgaires.
L’heure où la presse et les milices fascistes vendaient leurs services à certains patrons pour démolir les ouvriers en grève –la « canaille » comme on désignait les travailleurs- qu’on croyait ensevelie dans les poubelles de l’Histoire ne semble plus si lointaine. Il y a de toute évidence un problème de démocratie réelle dans ce pays. Et le dénie dans lequel reste la classe dirigeante risque fort d’achever la lente agonie du système démocratique représentatif. Pour pire ?
Un autre monde, c’est bien de cela qu’il s’agit. Et non d’être simplement réfractaire au changement pour conserver le peu de bien-être qu’il nous reste. Il est plus que temps de prendre conscience des enjeux de la lutte actuelle, qui transcende de loin de simples revendications corporatistes. Les C.I.P, ont, depuis 12 ans, œuvré à l’élaboration d’une proposition de réforme de l’assurance chômage, appelé le Nouveau Modèle (consultable en ligne sur leurs sites). Ce système de répartition, plus juste, équitable et protecteur pour tous les travailleurs, a été chiffré pas plus coûteux que le fonctionnement actuel de l’UNEDIC. Pourtant cette dernière refuse d’en entendre parler. C’est pour le défendre, au cœur des négociations de la réforme de l’assurance chômage qui ont lieu actuellement, parallèlement à l’imposition de la loi Travail, que les C.I.P vont continuer les occupations et les actions, à Bordeaux comme ailleurs.
Ajoutons que jeudi 09 Juin à 9h aura lieu devant la CARSAT Sud-Est de Marseille un rassemblement de soutien à P. Claude, intermittent handicapé qui s’est retrouvé dans le coma après s’être immolé devant la caisse de retraite de Marseille dans un acte désespéré.