
Le 18 mai 2004 à Simféropol. Des Tatars de Crimée lors d’une cérémonie de célébration du souvenir de la déportation de leur communauté par Staline en 1944. © AFP – Files – Sergei Supinsky
Depuis samedi, ça barjaque à qui mieux mieux sur la chanson gagnante de l’Eurovision que nos amis russes considèrent comme une agression à leur endroit, à cause du caractère politique de cette chanson, ce qui est en principe interdit dans ce concours. Bon. N’ayant pas vu la retransmission, et ça ne me manque pas, j’ai écouté la chanson, qui m’a touché par son côté déchiré façon negro spiritual ou blues des origines. Sachant de plus que Jamala est aussi l’auteur de cette chanson, j’y ai vu un signe encourageant, comme une possibilité d’entendre autre chose que des guimauves industrielles, genre la chanson d’Amir. De plus, Jamala a alterné les couplets-refrains en tatar et en anglais, c’est dans l’air du temps, et convenons-en, c’est pas tous les jours qu’on entend la langue Tatare à la télé. Politique, dit Poutine, voyons ce qu’elle dit cette chanson.
«1944»
When strangers are coming
Quand des étrangers arrivent
They come to your house
Ils viennent dans votre maison
They kill you all
Ils vous tuent tous
And say
Et disent
We’re not guilty
Nous ne sommes pas coupables
Not guilty
Pas coupablesWhere is your mind?
Où avez-vous la tête?
Humanity cries
L’humanité pleure
You think you are gods
Vous pensez être des dieux
But everyone dies
Mais tout le monde meurt
Don’t swallow my soul
N’engloutissez pas mon âme
Our souls
Nos âmesYasligima toyalmadim (bis)
Je ne pourrais pas passer ma jeunesse là-bas*
Men bu yerde yasalmadim
Parce que vous m’avez enlevé la paix
Yasligima toyalmadim
Je ne pourrais pas passer ma jeunesse là-bas
Men bu yerde yasalmadim
Parce que vous m’avez enlevé la paixWe could build a future
Nous pourrions construire un futur
Where people are free
Où les peuples sont libres
To live and love
Pour vivre et aimer
The happiest time
Le plus heureux des tempsWhere is your heart?
Où est votre cœur?
Humanity rise
Plus d’humanité
You think you are gods
Vous pensez être des dieux
But everyone dies
Mais tout le monde meurt
Don’t swallow my soul
N’engloutissez pas mon âme
Our souls
Nos âmesYasligima toyalmadim
Je ne pourrais pas passer ma jeunesse là-bas*
Men bu yerde yasalmadim
Parce que vous m’avez enlevé la paix
Yasligima toyalmadim
Je ne pourrais pas passer ma jeunesse là-bas
Men bu yerde yasalmadim
Parce que vous m’avez enlevé la paix
Selon un meilleur tatarophone que moi, le sens serait plutôt
Je n’ai pas pu profiter de ma vieillesse
Je n’ai pas pu vieillir là bas car je n’en ai pas eu le droit.
Last but not least, the lyrics of the chorus — “Yasligima toyalmadim, men bu yerde yasalmadim” — is strikingly similar to the text in the traditional Crimean Tatar song “Ey, güzel Kirim”.
Et voici comment Jamala la chante,
On peut en effet considérer qu’une évocation d’un drame humain de 1944 est un acte politique… Ou un devoir de mémoire. Choisis ton camp camarade, et chante… Le chat de la voisine? Tiens demain étant un autre jour, ce sera Montand qui sera à l’honneur, grâce à Hélène Arden….
Norbert Gabriel