Pourquoi l’ « accord » du 28 avril n’a pas mis un terme aux occupations de théâtres et à la mobilisation des intermittents: entretien avec des membres de la Coordination de Intermittents et Précaires de Gironde sur les raisons de la poursuite du mouvement

7 Mai

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 Depuis plusieurs jours, des lieux artistiques et culturels dans plusieurs villes de France sont occupés par les Coordinations d’Intermittents et Précaires (CIP), Nuitdeboutistes, salarié-e-s et chômeurs. Dans le même temps, des négociations ont abouti le 28 avril à un projet d’accord sur le régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle. On a pu alors entendre la ministre de la Culture demander aux militants de libérer les lieux de spectacles et de cesser d’empêcher les représentations. Ces propos témoignent d’un cruel manque de connaissance quant à la nature de cette mobilisation et des actions conduites, puisque s’il est vrai que des occupations perdurent dans une dizaine de villes, elles n’ont à aucun moment visé à entraver la tenue des spectacles et l’accès à ces lieux par le public. A moins qu’il ne s’agisse d’une maladroite tentative de discréditer le mouvement en l’accusant de nuire au fonctionnement des événements culturels… Certains médias nationaux prompts à relayer, sans en vérifier l’exactitude, une information partiellement ou intégralement erronée, annoncent aux concitoyens la signature d’un accord avantageux pour les salariés intermittents du secteur artistique et dévalorisent la poursuite de la mobilisation.

Or en dépit des assertions répandues, il n’y a pas d’accord dont l’application soit garantie, puisque ce qui a été obtenu n’est en fait qu’un projet d’accord non encore validé. Par ailleurs, le dit « accord » ne satisfait pas pleinement les CIP. En effet, depuis 13 ans, les combats qu’elles mènent portent non seulement sur le sort des travailleurs des métiers du spectacle, mais aussi, plus universellement, sur celui de tous les travailleurs concernés par la réforme de l’assurance chômage. Loin de ne défendre que la spécificité de leur régime, comme on les en taxe trop souvent, les membres des CIP –qui, rappelons le, ne sont pas tous intermittents du spectacle- s’investissent pour défendre les droits des travailleurs en général dans le cadre des négociations de l’UNEDIC. Simultanément, les CIP s’accordent avec les Nuits Debout et soutiennent d’autres mouvements, dans une logique de convergence des luttes. A Bordeaux, la CIPG – CIP de Gironde, qui organisait mercredi 04 mai une journée de rencontre avec le public autour de spectacles pour enfants, d’une collecte alimentaire pour des associations caritatives du quartier et d’un concert gratuit, a reconduit, à vote quasi unanime, l’occupation du Théâtre National de Bordeaux Aquitaine (TnBA) jusqu’au jeudi 12 mai. Quelques un-e-s militant-e-s s’expliquent.

 (Les liens signalés dans l’article s’ouvrent en cliquant sur les lignes ou mots en rouge)

– Bonjour et merci de nous recevoir. Votre mobilisation ne s’est pas arrêtée malgré un accord présenté comme  « historique », concernant votre régime, entre les représentants des employeurs et ceux des employés du spectacle. Pourquoi ?

Vincent : Suite à la mobilisation de 2014, la loi Rebsamen (juillet 2014) a inscrit la sanctuarisation dans la loi des annexes 8 et 10, leur caractère spécifique et la négociation spécifique à la profession dans le cadre des négociations UNEDIC. Ainsi, les négociations se sont terminées dans la nuit du 27 au 28 avril, en présence de la FESAC, qui est le syndicat représentant les employeurs du secteur artistique (spectacle vivant, cinéma et audio-visuel) et les syndicats de salariés : CGT spectacle, CFDT spectacle, CFTC spectacle, CG CFE spectacle et FO spectacle. Reste que, dans le cadre général de la nouvelle assurance chômage de l’UNEDIC qui se négocie pour tous les demandeurs d’emploi, ce projet d’accord concernant les annexes 8 et 10 relatives au régime des intermittents doit être validé par les partenaires sociaux au niveau national. En effet, l’UNEDIC négocie pour tout salarié devenu demandeur d’emploi, quelle que soit sa profession, quels droits sont ouverts, dans quelle condition d’accès et de versement d’allocation en montant et en durée et qui en bénéficie. Il faut savoir que dans ce régime général, il y a 10 régimes spécifiques, dont les annexes 8 (techniciens du spectacle) et 10 (artistes) font partie, de l’annexe 2 qui concerne les dockers à la 11 relative aux travailleurs français à l’étranger.

– Sonia : Cela signifie que ce projet d’accord qui a été produit là pour le régime des intermittents et qui comporte des avancées plutôt positives, en même temps que des zones d’ombre encore à éclairer, ne sera pas appliqué tant qu’il ne sera pas validé par le MEDEF et les autres partenaires des négociations de l’UNEDIC. Et on peut raisonnablement penser qu’il risque de ne pas l’être, puisque les avancées en question vont à l’encontre du document de cadrage posé par le MEDEF.

– Vincent : Dans ce document de cadrage, le MEDEF, la CFDT et la CFTC ont établi des directives et des objectifs à atteindre en termes d’économies et les pistes à explorer. De fait, le MEDEF, la CFDT et la CFTC peuvent décider de reprendre la main et négocier un accord tout autre.

– Sonia : C’est pour cette raison que nous refusons de cesser les mobilisations. Plus que jamais il faut maintenir la pression. Rien n’est réglé, même si les medias prétendent le contraire : depuis le 28 avril, on entend qu’un accord a été trouvé pour les intermittents, et simultanément Manuel Valls a annoncé l’octroi au secteur professionnel d’un montant d’entre 80 et 100 millions d’euros qui seraient donnés dans le cadre d’un fond particulier d’état aux métiers du secteur artistique –argent censé montrer l’accompagnement de l’état, mais qui n’abondera toutefois pas dans les caisses de l’UNEDIC-. La confusion de l’information fait que les gens ne comprennent pas pourquoi des intermittents occupent toujours des théâtres. Dans le calendrier à venir, ils ont 20 jours pour chiffrer cet accord, en voir les impacts, faire des études de comportement sur la manière dont les bénéficiaires pourraient réagir, au terme desquels probablement l’accord ne sera pas validé.

– Vincent : Ce qui est primordial à faire entendre, pour ce qui concerne les CIP, c’est que : d’une part nous défendons effectivement le cadre spécifique du régime des métiers du spectacle, car c’est à ce jour le seul cadre au sein de l’UNEDIC qui reconnait la réalité de l’exercice d’une activité discontinue (c’est-à-dire en succession de CDD) justifiant une continuité de droit. À ce titre sa suppression totale et définitive impliquerait que les travailleurs en CDD y compris hors du secteur du spectacle ne pourront plus jamais revendiquer quoi que ce soit en termes de protection juste, équitable et adaptée ; d’autre part, nous luttons pour que cette spécificité soit étendue à tous les travailleurs en CDD. C’est la position de la CIP depuis 13 ans. D’où notre proposition que nous appelons le« nouveau modèle » d’assurance chômage, qui ne comportera que deux annexes : une concernant les travailleurs en CDI, et l’autre dédiée aux travailleurs en CDD qui bénéficieraient, quel que soit leur secteur d’activité, des mêmes conditions d’obtention d’allocation. Il faut rappeler qu’aujourd’hui, 80% des contrats d’emploi signés sont des CDD ; cela concerne donc la majorité des travailleurs. Nous ne faisons que dire que puisque ce type de contrat devient la règle, autant étendre les spécificités du régime des intermittents à tous ces travailleurs. Il est vrai que nous portons ce projet depuis13 ans ; et pourtant lors de chacune de nos mobilisations les medias ne laissent seulement entendre aux gens que nous défendons notre régime d’indemnisation uniquement, évoquant ainsi la défense de privilèges. Ce ne sont pas des privilèges, mais des droits sociaux dont nous voulons que tous les travailleurs en CDD bénéficient. C’est pour cette raison que la vingtaine de CIP existant en France ne comporte pas que des artistes et des techniciens, et que nous sommes mobilisés dans la philosophie d’une convergence des luttes. Dans la CIP, il y a aussi des chômeurs, des gens dépendants du RSA, des travailleurs précaires : c’est ça, la vérité humaine de la CIP. Et les occupations qui ont lieu en ce moment au TnBA de Bordeaux ainsi que dans dix autres villes en France sont là pour faire entendre cette revendication.

 

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– Plus généralement les CIP restent mobilisées sur des questions relatives à la désagrégation des droits des travailleurs. Comment vous positionnez-vous vis-à-vis du vote de la loi travail El Khomri et des protestations en cours dans le pays depuis des mois ?

– Vincent : Le calendrier cette année fait que dans la même période où se déroulent nos négociations, est discuté au parlement le projet de loi Travail El Khomri. Nous constatons que tout va dans le sens : durcir les règles pour imposer l’employabilité aux demandeurs d’emploi et aux salarié-e-s. Il n’est plus question d’emploi, mais de flexibilité.

– Sonia : Pour aller plus loin dans l’idée, retrouver un emploi à tout prix signifie accepter toutes les conditions imposées, la sous-rémunération, la distance entre domicile et lieu de travail, le sacrifice de la vie privée et familiale, les exigences particulières de certains employeurs qui vont profiter du fait que le salarié est en position de faiblesse et ne peut plus faire valoir ses droits. Le système qu’on veut nous imposer ne protègera plus aucun salarié.

– Vincent : La longue expérience des militants de la CIP en terme lecture de textes de lois nous permet de savoir décrypter maintenant ce qui est inscrit et repérer sur quel point on essaye de faire passer des conditions de durcissement à l’encontre des travailleurs en demande d’emploi. Le projet de loi de 2016 a en vue de mettre les salariés qui ont un emploi dans les mêmes conditions de soumission à l’employeur que les travailleurs au chômage. Puisque s’ils n’acceptent pas les conditions « offertes », ils peuvent perdre leur emploi. Tout emploi peut se négocier à la baisse.

C’est la nouveauté de la mobilisation de 2016 : on prend en compte les deux poignées de la tenaille qui serre et les salariés et les demandeurs d’emploi, et qui en plus les isole. Et ce pour une raison simple : évidemment les gens isolés sont moins forts et moins prêts à se mobiliser. C’est ce à quoi vise clairement la logique du principe d’individualisation des droits, qui jusqu’à maintenant ont toujours été pensés comme solidaires et mutualisés. La loi va dans un sens assuranciel privé, par capitalisation individuelle, ce qui va à l’encontre du fondement même du droit du travail, qui est là avant tout pour protéger les salariés, et à l’encontre de l’objet de l’assurance chômage qui est une caisse solidaire de protection en cas de perte d’emploi. Sans rentrer trop dans les détails, il y a deux portes d’entrée dans le projet de loi El Khomri, par lesquelles la connaissance que nous avons du fonctionnement de l’assurance chômage et de Pôle Emploi a pu s’engouffrer : d’une part l’article 52, qui donne la possibilité à Pôle Emploi de revenir sur les « trop perçus » dans des conditions qui deviennent très répressives envers les demandeurs d’emploi, alors que c’est sur ce point précis que nous avions obtenu l’annulation de la dernière convention chômage auprès du Conseil d’État ; d’autre part l’article sur le compte personnel d’activité qui va exactement dans le même sens que le compte personnel de formation et de droits rechargeables et participe à la précarisation des travailleurs puisqu’on en singularise les droits, c’est-à-dire qu’un salarié ne pourra plus accéder à une formation selon ses besoins, mais selon le nombre de points qu’il aura capitalisé durant ses heures de travail. Nous disons qu’il faut rester dans une logique de protection mutualisée et solidaire des droits, et non glisser vers leur capitalisation individuelle. En outre un point très important de cette loi est l’inversion de la hiérarchie des normes : il s’agit de remettre en cause le fait que les salariés d’un secteur soient protégés par la convention collective signée dans la branche, les accords d’entreprise ne pouvant être validés que s’ils vont au-delà de la convention collective en termes de protection et droit des salariés, comme c’était le cas jusqu’à présent. La loi précise que des accords pourront être signés entre salarié et employeurs, même s’ils sont plus défavorables aux salariés que ce que prévoit la convention collective. En clair, avant la convention collective prévalait et les accords d’entreprise ne pouvaient pas se faire à moindre ; désormais quoi que dise la convention collective, les accords isolément signés prévaudront même s’ils revoient les conditions de travail à la baisse. Ça implique clairement de l’inégalité territoriale, ce qui serait anticonstitutionnel. D’ailleurs le Conseil Constitutionnel risque bien de retoquer ce point là. Mais le but d’un tel article est aussi de faire passer dans la tête des gens l’idée qu’on pourrait négocier de gré à gré dans chaque entreprise individuellement, ce qui avant était négocié de façon solidaire et couvrait égalitairement tous les salariés d’un même secteur. On va jusqu’à mettre en place un système inégalitaire et finalement discriminatoire. C’est pour ça que cette année, nous sommes solidaires des Nuits Debout et des luttes qui convergent.

 

– Quels sont les liens concrets entre vos mouvements ?

Sonia : Nous tissons des liens entre nous tous. Entre les actions de la CIP et Nuits Debout par exemple ; on essaye d’être présents là bas et des gens de Nuits Debout viennent nous voir pour organiser des prises de parole. Il existe actuellement à Bordeaux 3 lieux occupés, entre la place de la République (NuitsDebout), le TnBA (CIP) et La Chaufferie – le bâtiment de la mairie de Bordeaux rue du Cloitre qui était dévoué à des associations destinées à l’accompagnement des familles et qui a été investi.

 

-Durant les occupations, de quelle nature sont les relations entre occupants lieux et personnel des lieux occupés, direction comprise ?

Vincent : A Bordeaux, l’occupation est tolérée. Bien sur rien n’est confortable, mais la direction n’est pas hostile à notre mobilisation, et elle en comprend les raisons. Une confiance réciproque s’est instaurée entre nous, et nous dialoguons parfois avec plus ou moins de sérénité, mais nous parlons. Le seul point qui dérange beaucoup la direction est l’occupation de nuit, car elle engage la sécurité du lieu, des gens qui y restent. Mais nous avons mis en place un service avec des membres de la CIP pour assurer la sécurité. Nous invitons par ailleurs les personnels du lieu à se joindre à nos débats, ou même juste venir prendre un café et discuter.

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-Le Nouveau Modèle proposé parles CIP est-il réaliste ?

Vincent : Le Nouveau Modèle, proposé par les CIP a été validé déjà par des parlementaires, des économistes, des sociologues et estimé pas plus coûteux que l’actuel fonctionnement de l’UNEDIC, et présente une réelle réforme équitable et redistributive, ce qui est pour nous le fondement de la solidarité nationale. Et ça, c’est une proposition qui a enfin été entendue et prise en compte. Par exemple, les« Maternittentes », collectif de femmes luttant pour la modification de la prise en charge des congés maternités au niveau de l’assurance chômage, ont réussi à faire entendre leurs revendications. Nous nous sommes aussi mobilisés sur le point des droits rechargeables, qui est assez technique et complexe ; en mai 2015, et les CIP ont réussi à faire admettre à Pôle Emploi qu’ils présentaient un caractère discriminatoire et à le faire modifier par la mise en place d’un droit d’option. Sinon, des travailleurs se retrouvaient avec des droits dérisoires (par exemple, une allocation à 0,87 euro/par jour) sans pouvoir demander un réexamen de leurs droits et prétendre à rien d’autre tant que ceux-ci n’étaient pas épuisés. On a réussi à obtenir l’annulation de la dernière convention chômage auprès du Conseil d’Etat. Ce n’est pas rien; on est crédibles. Et c’est aussi pour ça qu’il faut tenir bon sur les occupations et la mobilisation. Se mobiliser a du sens ; ce n’est pas vain.

– Sonia : Et nous sommes d’autant plus solides qu’il y a chez nous des gens qui possèdent cette capacité à lire, éplucher et décrypter des textes de lois illisibles et les rendre intelligibles. Il faut quand même comprendre que si les textes de lois sont illisibles par le commun des citoyens, c’est aussi pour qu’il n’en comprenne pas la perversité. Après on dit toujours que nul n’est censé ignorer la loi. D’accord. Mais encore faudrait-il que la loi soit exprimée de façon à être accessible à tous. Notre action compte, ainsi que tout ce qui se passe avec l’expression de mouvements comme Nuits Debout, et on ne peut pas l’ignorer. Aujourd’hui il existe un mouvement général de la rue, quelle que soit la forme qu’il prend, qui s’empare de la citoyenneté et de la politique et surveille nos élus pour dire « on n’est pas dupes ; on vous a à l’œil, ce que vous ne faites pas, on le fera nous-mêmes ». On apprend à connaitre leur langage, à se former, se renseigner, informer les autres. Il ne faut pas attendre que ça se décide en haut et de voir plus tard. Pour ce qui concerne les gens participants à Nuits Debout ou d’autres types de mouvements citoyens, il s’agit de personnes prêtes à « mettre les mains dans le cambouis ». Bien sur ce n’est pas tout le monde; mais nous sommes de plus en plus nombreux ; on ne peut pas faire comme si ça n’existait pas. Probablement que le gouvernement croyait à un effet de mode qui n’allait pas tenir aussi longtemps, perdurer et essaimer. Il devait espérer que tout rentre dans l’ordre au bout d’un moment. Mais la réalité humaine de ces mouvements est qu’ils naissent aussi de quelque chose de plus profond philosophiquement, d’une envie d’un autre monde fonctionnant selon d’autres valeurs que celles du profit, de l’exploitation et du matérialisme. Les gens ont besoin d’humanité et de rapports sains. Tout cela est en train de s’affirmer et de s’organiser.

– Vincent : D’une part il y a cet héritage d’une société solidaire qui est en train d’être détruit, et d’autre part l’émergence de nouvelles aspirations. Alors bien sur, tout le monde n’y participe pas, et ça peut s’écrouler demain. Mais nous disons aux gens : « voyez, tout ce qui se passe et qui vous échappe, va changer concrètement votre vie. Et peut-être que dans 10 ans, on dira que la France va mieux, que les taux de chômage ont baissé, que le PIB aura monté, mais comment iront les Français ? Ils iront plus mal ». Ils ne pourront plus se défendre, se soigner, s’éduquer. C’est le « monde merveilleux » du MEDEF d’une société encore plus fragmentée, fracturée. Et une société qui va plus mal, c’est une société qui devient plus dure, plus violente, voire plus haineuse. Le MEDEF a un projet de société pour 2020 qui s’appelle « France2020 »  qui pose clairement les bases d’une société où l’état devra accepter que le privé gère la société. Et le gouvernement accompagne ce projet de société. Mais est-ce ce dont on a envie ? Ce n’est pas de la parano, ni du gauchisme primaire ; c’est un constat pur et simple de ce qui est mis en place et préconisé pour demain.

 

-On sent de toute manière, ne serait-ce qu’à travers la multiplication des fêtes de quartiers et des événements artistiques de rue, que les citoyens ont besoin de lien social et de rapports humains.

Sonia : Exactement. Les gens se disent que le monde va mal et ça touche leur quotidien. Et comment améliorer son quotidien ? En connaissant l’autre, le voisin, en instaurant un maillage de porte en porte, en recréant du lien social et de la vie de quartier. Le climat actuel incite les gens à avoir peur des autres et se renfermer sur eux-mêmes ou dans un communautarisme restreint, tout ce qui fait le pain bénit du Front National et des idéologues réactionnaires. Mais on ne peut pas vivre ainsi. Il faut se parler, se rencontrer, se connaître. Ça a l’air très naïf à dire, mais c’est pourtant primordial.

-Vincent : Et si nous, à la CIP, nous réunissons au niveau national en commissions de délégués pour décrypter les textes de loi et en comprendre le sens et la portée, c’est parce qu’il ne suffit pas de dire que le projet de loi El Khomri menace et détériore le lien social, même si c’est vrai : il faut argumenter en dépiautant les articles et envisageant ce qu’ils impliquent nécessairement. La permanence de la CIP a mise en place une possibilité d’accompagnement, d’aide, d’information pour tous les demandeurs d’emploi en difficulté. On reçoit des mails de gens exposant leurs soucis avec Pôle Emploi, et nous sommes quelques uns à pouvoir répondre et dépatouiller leur dossier si nécessaire, en adressant les courriers et réalisant les recours utiles, ce que les gens ne savent pas forcément faire. Car les gens ne sont pas informés sur leurs droits et la manière de les faire respecter. C’est de la solidarité active. Nous avons un document de près de 400 pages « Pôle Emploi Zone de non droit » (CIP IDF / Recours Radiation / Matternittentes / Sud Culture), car il y a un devoir d’information que n’assure pas Pôle Emploi.

 

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-Une des principales objections qu’on entend concerne la représentativité populaire des mouvements sociaux actuels. Quelle légitimité pensez-vous avoir à exprimer des revendications ?

Vincent : Le MEDEF s’impose bien dans les négociations de l’UNEDIC, alors qu’il ne représente pour le coup que lui même. C’est d’ailleurs pourquoi nous réclamons son exclusion de ces négociations. A ceux qui disent que les Nuits Debout ne représentent qu’elles mêmes, nous rétorquons que le MEDEF ne représente que les 40 et quelques plus grosses entreprises du pays. Que penser des députés élus avec des taux d’abstention frôlant les 50% ? Pour parler des occupations des CIP entre autres, nous ne sommes peut-être que quelques uns ici, mais il y en a d’autres à Caen, à Lille, à Paris, Montpellier, Valence, Lyon, Nantes, Rennes, Toulouse, Strasbourg…  Et même si nous sommes éclatés géographiquement, on communique entre nous, et cette union fait la force. On ne se sent pas seuls, car on sait qu’on participe d’un mouvement bien plus large. Et ça, les dirigeants le voient.

-Sonia : D’ailleurs le changement de ton dans la communication des hommes politiques à ce titre est démonstratif. Ils ont quelques temps ignoré le mouvement. Mais aujourd’hui, ils ne peuvent pas ne pas en parler, même si c’est pour exprimer de la désinformation en le faisant passer pour un mouvement violent. Signe que ça leur fait peur. Quand on tente de discréditer un mouvement, ça montre que d’une part on ne peut pas en taire l’existence, d’autre part on le craint. Parce que ce type de mouvement sort du cadre classique de la politique menée en démocratie représentative pour inciter les citoyens à une démocratie plus participative.

-Vincent : On croyait avoir tout mis en place pour que les citoyens ne se rendent compte de rien et ferment leur gueule, et on s’aperçoit qu’ils ne sont pas si soumis que ça.

 

-Une vidéo a été mise en ligne justement, où on voit des comédiens de la CIP endossant le rôle d’une délégation du MEDEF qui rend une visite de courtoisie à la députée Michèle Delaunay, que l’on peut entendre rassurer la prétendue délégation en garantissant que « ce ne sont pas les étudiants et les lycéens qui font la loi » [ https://www.youtube.com/watch?v=ZO_pMYQW_uk ]. L’occasion de s’interroger sur le sens du contrat social en démocratie représentative et la légitimité de règles que des générations imposent de subir à des générations futures sans qu’elles puissent en décider. Thomas Paine nommait cela « le sépulcre des précédents » (Les Droits de l’Homme). Pouvez-vous en dire un mot ?

Jean : Sur le moment, nous avons vraiment eu l’impression que Madame Delaunay ne semblait pas prendre conscience qu’elle avait à faire à des comédiens et non à des membres du MEDEF, malgré la caricature de l’employeur à bouteille de champagne et cigare. Elle seule serait en capacité de répondre à cette question. Mais des choses importantes ont été dites à cette occasion.

– Vincent : Lors de cet « échange », Michèle Delaunay a affirmé et mis en avant l’exercice de la démocratie représentative de pleins droits. Son point de vue est que la politique et les choix qui s’en suivent, sont le travail des députés, des sénateurs et des élus exclusivement. Ce qui en l’état est vrai et incontestable. Mais en échange, les citoyens sont en droit d’attendre d’eux qu’ils fassent au moins leur « boulot », qu’ils défendent ce pourquoi ils ont été élus. Mais ils ne le font pas, ou qu’en partie. Madame Delaunay n’est visiblement pas intégralement informée sur une loi qu’elle va pourtant défendre. Et quand des citoyens estiment qu’ils ne sont plus représentés et doivent donc eux-mêmes se faire entendre, on leur refuse le droit de s’exprimer.

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– Pouvez-vous parler des autres actions menées?

Jean : Outre cette action auprès de M. Delaunay, nous nous sommes rendus à une réunion du comité d’établissement de la direction régionale de Pôle Emploi. Dans le cadre d’une action nationale proposant un audit citoyen sur les conditions de vente des bâtiments de l’UNEDIC, nous avons imposé un entretien d’une heure. Cette question précise, comme d’autres, a été immédiatement esquivée par la direction. Mais nous reviendrons dans le but d’obtenir des réponses. Nous avons pu parler de la sous-traitance par Pôle Emploi de la formation de chômeurs longue durée via des boites privées qui engrangent les subventions publiques et remplissent mal cette mission. La question plus générale de la dématérialisation des services, c’est-à-dire le fait de ne plus avoir affaire directement aux agents de Pôle Emploi, a été également soulevée. Une autre action s’est faite à la librairie Mollat, dont le propriétaire, Denis Mollat, est le trésorier du MEDEF en Gironde, ce que peu de gens savent. Lors du défilé du 1er mai, nous avons accroché une banderole à la flèche de la Basilique St Michel. Par ailleurs nous organisons ici même des conférences d’information et des débats comme avec le Collectif contre Les Abus Policiers [] qui est venu parler des problèmes de répression et violences policières. Nous tenons une assemblée générale chaque semaine pour faire un point sur la mobilisation, des actions futures à conduire, et soumettre à débat puis au vote la reconduite ou non de l’occupation.

 

Ajoutons qu’une caisse solidaire participative a été mise en place pour soutenir les proches de Patrice Claude, intermittent et handicapé, qui se trouve dans le coma depuis mercredi dernier après s’être immolé devant la caisse de retraite à Marseille,  dans un geste désespéré, ne parvenant pas à faire entendre sa situation dramatique. On peut y contribuer en cliquant ICI. 

 

 

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Miren Funke

 

Nous remercions les membres de la CIP-G pour leur accueil et leur disponibilité et particulièrement Sonia, Vincent, Jean et Bernie.

Liens :

http://cipgironde.wix.com/cip-aquitaine

https://www.facebook.com/cipgirondeaquitaine/?fref=ts

https://www.facebook.com/events/1718735538342193/

https://twitter.com/cipgironde

 

NDLR:  un tableau utile pour rappeler quel est le « prix » du spectacle vivant dans le paysage fiscal, en rappelant que le PIB de la culture en général est bien supérieur à celui de l’industrie automobile.

 

le prix de la culture

 

 

 

 

 

 

Une Réponse vers “Pourquoi l’ « accord » du 28 avril n’a pas mis un terme aux occupations de théâtres et à la mobilisation des intermittents: entretien avec des membres de la Coordination de Intermittents et Précaires de Gironde sur les raisons de la poursuite du mouvement”

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  1. Rien n’est acquis : les Coordinations d’Intermittents et de Précaires restent mobilisées | leblogdudoigtdansloeil - juin 5, 2016

    […] l’idée que ceux-ci, ayant obtenu gain de cause, n’avaient plus de raison d’être mobilisés [https://leblogdudoigtdansloeil.wordpress.com/2016/05/07/pourquoi-l-accord-du-28-avril-na-pas-mis-un-…]. Laisser la parole aux premiers concernés nous offrait l’occasion de démentir la […]

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