« Du Whisky autour des textes »

Le Rêve de Shadrak, qu’est-ce ? Certes, un groupe de Rock qui tire son nom d’une chanson composée lors de ses balbutiements. Certes, une musicalité sombre et introspective qui germe, sourd et se développe doucement jusqu’à envahir l’espace. Certes, un instant intemporel qui semble se dilater à perte d’ouïe au cœur des concerts, où se joue la rencontre d’instincts fauves et d’une quête spirituelle explorant les tréfonds d’une âme. Mais le rêve n’est pas que celui de Shadrak. C’est avant tout celui d’une aventure humaine amorcée par la créativité artistique et l’amour du jeu collectif, provoquée par le hasard –quoi que-, mise à l’épreuve par l’adversité, nouée par une philosophie commune et une amitié indéfectible, aventure tellement pleine de sens qu’on l’en croirait prédestinée. D’ailleurs, si la rencontre des quatre membres du groupe relève de la magie du hasard, qui a dit que le hasard était insensé ? Certainement pas les musiciens de la formation, ni leur public qui se laisse atteindre et pénétrer en profondeur, à chaque concert, par l’intensité de sa musique.
Après huit ans d’existence et d’expression scénique, le Rêve de Shadrak se trouve désormais plus uni que jamais, œuvrant à l’enfantement de son premier album. C’est à Bordeaux, dans l’antre qui lui sert de lieu de vie, de travail et de partage, que nous rencontrions il y a quelques jours Fred (chant, harmonica), Sam (batterie), Arnaud (guitare) et Thom (basse).
– Bonjour et merci de nous recevoir. Depuis huit années le public suit votre aventure au gré des concerts. Malgré l’absence de trace discographique professionnelle et l’adversité du temps qui menace et qui use la vie des groupes bien plus souvent qu’elle ne l’encourage, votre formation est restée debout et intacte. Comment vous êtes-vous connus et soudés ?
– Arnaud : Sam et moi avons fondé notre premier groupe à 13 ans. J’avais étudié la guitare classique 8 ans de conservatoire d’Antibes. Mais ça n’avait pas grand-chose à voir avec la guitare électrique, donc quand j’ai commencé à jouer avec Sam, j’ai dû apprendre les accords, car je ne jouais qu’en arpège jusque là, et surtout, j’ai dû apprendre à jouer avec d’autres, en groupe. Par la suite, nous nous sommes retrouvés au sein du groupe Maverik, dans lequel Thom nous a rejoints. Pour l’anecdote, ce groupe avait remporté le RTL2 Pop Rock Tour d’Aquitaine et cet événement nous a permis de nous rendre compte que nous n’avions pas du tout les mêmes attentes et les mêmes aspirations que le chanteur de l’époque, dont ce prix flattait l’ego. Nos chemins se sont alors séparés. Mais je ne voulais pas tout recommencer à zéro, car former un groupe demande beaucoup d’énergie et d’investissement humain : on s’attache à des personnes, on lie des amitiés et c’est toujours compliqué de rompre cela. Donc nous sommes restés ensemble tous les trois. Bien que l’idée ne nous plaise pas beaucoup, nous avions passé une annonce pour trouver un chanteur-parolier, sur laquelle Fred est tombé un peu par hasard. Le temps et le hasard ont fait les choses ; nous avons construit une amitié autour de la musique et le chemin s’est fait de façon naturelle. On a traversé pas mal de galères ensemble, vécu dans plein d’endroits d’où on s’est faits virer, jusqu’à trouver cet immeuble, dont on a fait notre petit sanctuaire. C’est un lieu retiré, en périphérie de Bordeaux, un peu caché au sens où on peut passer devant sans savoir qu’il héberge de l’expression musicale. Nous pouvons y répéter quand on veut et en prenant notre temps, puisqu’on y habite. On sait au fond de nous que ça aboutira, car Le rêve de Shadrak est plus qu’un groupe ; c’est un projet de vie. Nous avons vécu cette aventure comme une petite plantation que l’on fait pousser et qui grandit peu à peu. Et désormais, faire de la musique ensemble nous est vital : on a besoin de se retrouver pour exprimer quelque chose ensemble et de vivre cette amitié. Je trouve que c’est une belle histoire.
– Fred : On a fait notre premier concert en mars 2008, à l’occasion de la Journée de la Femme, aux galeries Tatry. Ce qui est un peu magique dans notre rencontre, c’est que Sam, Arnaud et Thom avaient quitté un groupe où ils ne se retrouvaient plus, et que moi, de mon côté, je sentais que mon groupe, Lola se Noie, mûrissait l’idée de former autre chose, et répétait en cachette sans moi. Pressentant que quelque chose se tramait, je me suis posé la question d’arrêter la musique, après avoir poursuivi ce rêve pendant 5-6 ans et vécu ce que c’était que de faire des scènes et jouer en groupe. Et puis mon écriture avait besoin d’explorer d’autres côtés de la vie, plus obscurs et invisibles, et je voulais évoquer d’autres sujets que celui des femmes, l’essentiel de mes textes pour Lola se Noie y étant consacré. Mes rencontres avec les filles m’avaient inspiré par leur histoire, leurs douleurs, leurs expériences parfois tristes et injustes, qui avaient matière à mettre en colère et donner l’énergie pour écrire. Mais mon univers intérieur changeait. En parallèle, ma vie sociale s’effondrait un peu, et je n’avais plus la force de m’investir dans un nouveau groupe en repartant de zéro, réexpliquer ma philosophie, attendre de voir si ça colle. J’ai donc été visiter un site de rencontre internet de musiciens, sans illusion, avec en tête qu’il fallait tomber sur un groupe déjà composé et ayant pour base une histoire d’amitié sincère, d’influence blues-rock et qui répète à Talence, histoire d’ajouter une contrainte supplémentaire. Leur annonce correspondait en tous points ! J’ai donc poussé la curiosité jusqu’au bout et je suis allé leur présenter un texte que je venais d’écrire « Rien à jouir ». C’était exactement ce qu’ils cherchaient. Nous avons un peu répété ensemble, mais je les ai prévenus que j’avais déjà un groupe qui était prioritaire. 15 jours après, le concert à Tatry pour la Journée de la Femme, où mon groupe devait jouer, avait lieu, avec 110 personnes dans la salle, tous les organisateurs et les associations présents. Au dernier moment, mes musiciens ont refusé de jouer et sont partis, me plantant là. Autant dire que j’avais envie de me pendre ou de m’enterrer… J’ai appelé Thom, Sam et Arnaud et joué deux chansons en acoustique en attendant qu’ils arrivent. 30 minutes après, ils étaient là ! Qu’un groupe remplace le mien au pied levé était inespéré dans ces circonstances, et pourtant ils l’ont fait ! Le concert s’est très bien passé et a satisfait tout le monde. Ma décision était prise. Et de fil en aiguille, de répets en concerts, nous nous sommes soudés. On s’est choisis, mais quelque part je crois qu’une autre force nous a fait nous rencontrer, parce que depuis très jeune, chacun de nous cherche à faire vivre le meilleur de son âme. La preuve en est que depuis 8 ans, il en a fallu des miracles pour que l’on soit encore ensemble, de notre rencontre, aux galères qu’on a traversées, sans parler des changements de copines, de travail, de vie, pour finir dans ce lieu collectif : on a surmonté ensemble tout ce qui tue souvent les groupes.
– Thom : En fait le jour du concert, nous avions déjà fait deux répétitions ensemble, alors que Fred jouait encore avec son groupe, qu’il sentait néanmoins se disloquer. Il nous a appelés pour savoir si on pouvait le rejoindre dans ces circonstances et assurer un concert, et nous y sommes allés. On a joué deux-trois morceaux à nous, puis du Blues ; ça a été un peu le point de départ de notre histoire collective.

– Diriez-vous que votre union repose plus sur une philosophie de vie et une démarche que sur un seul intérêt artistique ?
-Fred : Le groupe a suivi tout un chemin depuis le début, passant d’un endroit à un autre jusqu’à trouver ce lieu que nous louons ensemble, et qui, outre le fait de servir de salle de répétition et de studio d’enregistrement, est surtout un lieu de vie collective. Les expériences, les obstacles et aussi une certaine idée de l’intégrité nous ont fait acquérir notre énergie. S’obstiner à prendre du temps était un pari risqué, en termes de vie de groupe. D’autant qu’au vue des compétences musicales de mes amis, il y avait de quoi arriver vite à un résultat en deux ans de travail ; mais ce n’était pas ce à quoi on aspirait. On voulait créer la musique qui nous correspond et être vrais. C’est notre unique prétention.
– Arnaud : C’est vrai qu’on a traversé tellement de tempêtes ensemble, en prenant tous les risques parfois, qu’on se dit qu’il y a quelque chose de plus fort que nous qui nous tient. Dans les moments les plus sombres, on a toujours eu l’impression que des signes nous étaient envoyés pour dire qu’on ne devait pas lâcher prise et qu’il fallait s’accrocher, que ce soit un texte ou un riff qui sorte au moment où on n’y croit plus, un coup de main ou un soutien qui arrive soudainement, comme celui de gens comme David qui est venu nous voir un jour et qui depuis s’investit auprès de nous, en nous prêtant son van ou en nous aidant à lier des contacts dans le milieu musical.
– Fred : Le groupe est un investissement à long terme. Le but n’est pas de réaliser un album, d’exploser et après d’arrêter. Le but est d’en faire notre vie et que ça dure le reste de notre existence. Y a-t-il plus beau rêve que de pouvoir vivre de son art et ne se consacrer qu’à ça ? Je n’ai pas besoin de gagner des fortunes ; j’ai des besoins modestes et me contente de peu. Quand on a trouvé ce local, après 7 ans passés à vivre dans mon van, je me suis rendu compte que la simplicité est un endroit où tu n’as pas besoin de beaucoup d’argent pour vivre, où tu as besoin de café, de clopes et d’amis surtout, et de bonnes lectures pour te retirer du monde et ne plus faire partie de la chaîne qui s’entre-dévore. C’est tirer le frein à main sur une société qui va trop vite, qui veut toujours tout et exalte l’individualisme. Nous discutons beaucoup pour savoir si on regarde toujours dans le même sens et si on a la même intégrité ; c’est ce qui nous permet de rester en accord. Parfois on se trouve à un carrefour sans plus savoir dans quel sens aller, et c’est là qu’une route s’ouvre soudain. Pour ma part, ce sont des sentiments que je qualifierais de religieux. On avance avec nos idées, nos compétences ; parfois on vit des plongées dans le vide, et c’est une sorte de foi qui maintient le cap et nous ramène à l’essentiel, qui est qu’on est entre amis et qu’on fait ça pour s’amuser et exprimer quelque chose de vrai, sans pour autant se prendre au sérieux. Regarde l’actualité : ta vie peut s’arrêter un soir en plein concert. Il faut garder en tête que chaque seconde est importante et essayer de progresser pour vivre son rêve, et que ça ne reste pas juste une idée. De là découle une autre possibilité de vie et on se sent pris en charge par l’univers. Dave Gahan de Depeche Mode chante « I’m a missionary », il y a quelque chose qui relève de cet ordre dans notre conception de la musique : quelque part, c’est une mission et tant qu’on y croit et qu’on peut rester intègre, on la poursuit. L’intégrité, c’est la clé. Le système n’est pas important. Car lui peut nous détruire justement ; c’est le danger qui guette tous les groupes et artistes, quand les requins, les hypocrites et les vautours tournent autour pour des raisons moins nobles. C’est un milieu sans concession et on a intérêt à être forts et communiquer deux fois plus entre nous pour ne pas nous perdre et ne pas transgresser notre musique. C’est un combat de rester un homme quand on est entourés de lâches, de cyniques et de gens qui ne sont pas concernés par leur conscience. Si on ne pose pas nous-mêmes les conditions, on peut vite se laisser engloutir. J’entendais justement un jour dans un reportage à ce propos le groupe Eiffel qui disait que les artistes se plaignent souvent de ce fonctionnement des majors, mais qu’en même temps ils sont incapables d’imposer leur façon d’être et de faire respecter leur rythme de vie et de travail. On ne peut pas partir sur les routes et jouer tous les soirs en se mettant autant en danger, parce que le Rock, c’est épuisant psychiquement, et en sortir indemne. Un concert de Rock, c’est un déversement d’énergie et des orgasmes à répétitions sur chaque chanson, et on en sort toujours vidés et fragilisés. Donc si on part un jour en tournée, il faut que chacun sache se gérer et qu’on veille les uns sur les autres. Pour le moment, je suis très content du cycle naturel et lent que nous avons respecté, et qui nous a permis de savoir ce qui nous rassemble. Parce que si c’est pour faire comme certains groupes qui jouent ensemble en faisant semblant de s’entendre et se font la gueule avant et après le spectacle, ce n’est pas très intéressant. Je préférerais gagner ma vie en élevant des chèvres avec de vrais amis.

– Certains ont pu rivaliser de qualificatifs pour estampiller votre musique, du Rock alternatif au Grunge, en passant par le Rock progressif atmosphérique. Mais il est souvent réducteur et dangereux d’étiqueter la musique d’un groupe. Le plus simple n’est-il pas que vous en parliez vous-mêmes ?
– Fred : Je n’ai pas hésité à passer de la chanson française standard au Rock, parce que mon écriture propre a changé et le Rock est totalement adapté à cette quête dans l’inconscient qui m’anime avec tout ce qu’il porte d’obscurité, de noirceur et de chaos. Si je suis dans le Rock, c’est parce que l’instabilité est ma nature, tout simplement, et que j’avais besoin de Whisky autour des textes. Je n’aurais pas pu atteindre cette intensité et cette libération spirituelle sans cet excès. On traîne peut-être un fardeau pour l’industrie du disque par rapport à la durée des morceaux, qui ne sont pas au format standard. Tant que nos chansons racontent quelque chose, on les continue. Ce qui fait qu’on a des chansons courtes, et des morceaux qui peuvent durer 10, 12 ou 20 mn. Il faut respecter la musique ; quand Archive fait un « Lights» de 18mn, c’est beau et tu n’as aucune envie que ce soit écourté.
– Sam : Le Rock converge avec nos soucis d’adéquation entre l’esprit et le son. Même au niveau de l’enregistrement, avec notre matériel, on a tendu vers une sonorité plus analogique pour essayer de récupérer une certaine chaleur et un grain dans le son, qui, en plus des textes et du style, va conserver la connotation rock. Si on veut faire une musique qui ressemble à notre esprit et à nos valeurs, autant pousser la logique jusqu’au bout.

– Parlons du son justement : qui s’en occupe ?
– Sam : Pour ma part, j’ai une formation beaucoup plus technique que les autres, avec des orchestres et dans divers styles musicaux, que j’ai enseignés après y avoir été formé. Et en marge de la pratique d’instrument, j’ai une autre passion qui concerne la prise et le traitement du son. C’est donc moi dans le groupe qui m’occupe des prises de son et du traitement, non seulement car j’ai des compétences techniques dans ce domaine, mais avant tout parce que ça me plaît. L’avantage est que ça nous permet de ne pas avoir à faire appel à un ingénieur du son externe, et surtout de travailler notre son comme on l’entend et avec le temps nécessaire. On a de quoi produire un enregistrement convenable pour chercher des dates de concert dans un cadre plus professionnel, d’autant que nous avons des facilités pour utiliser du bon matériel, puisque Thom et moi travaillons dans un magasin de musique.

– Quelles sont vos influences musicales ?
– Sam : Led Zeppelin.
– Fred : Patrick Hernandez, Carlos…
– Arnaud : Moi, c’est Frankie Vincent, par ses textes, par sa démarche spirituelle. Et Gotainer ; il a sa place.
– Sam : Plus sérieusement nous pouvons écouter aussi bien de l’Electro, du Classique, ou d’autres genres. En fait toutes les musiques ont quand même une base et apportent un enrichissement qui peut nourrir nos compositions.
– Fred : De toute façon il y a une universalité dans la musique qu’on retrouve sous n’importe quelle forme ; tant que l’artiste a été sincère dans sa démarche et son interprétation, on peut aimer toute sorte de musique et y trouver du plaisir.
– Arnaud : Tu peux te prendre une claque en écoutant un chanteur seul avec sa guitare ou son piano, et inversement ne trouver aucun fond à un groupe qui en met plein la vue avec 4 guitares, une batterie, une basse, trois claviers et du gros son.
– Fred : Celui m’a scotché au chant, c’est Camaron De La Isla au flamenco, quand il chante accompagné par Tomatito ou Paco De Lucia ; c’est tellement beau. Il y a une écoute totale du public qui applaudit à chaque fois qu’il ressent quelque chose, et non à la fin parce que ce serait organisé. On ne décide pas de chanter ou de jouer d’un instrument comme on fait n’importe quel travail ; c’est un besoin. Ce n’est pas une démarche de l’ego, ni un métier alimentaire ; pour ma part, c’est viscéral. Bien sûr, on peut toujours tricher sur scène, mais le pire est de tricher avec soi-même. Quand on fait le bilan certains soirs, ça doit faire mal. Quand tu regardes le film de Wim Wenders « Buena Vista Social Club », tu vois quelque chose de beau, parce que les musiciens ont 70 ans passés, qu’ils jouent encore ensemble et que la seule chose qu’ils disent est « qu’elle est belle la musique ! ». Nos influences sont très larges ; ça ne s’arrête pas au Rock.
– Quelles sont les thématiques qui vous tiennent à cœur ?
– Fred : Notre musique est un bouillon, et chacun met dedans ce qu’il a envie d’y amener. J’écris les textes. Autant je reconnais ma médiocrité en ce qui concerne les instruments de musique, autant je ne peux pas imaginer continuer, si on touche à mon écriture. C’est tout ce que j’ai depuis que je suis tout petit. On peut la trouver déchirée ; mais le monde est assez déchiré. J’essaye juste d’écrire ce qu’il se passe. Mon écriture est un voyage dans l’inconscient, j’essaye de remonter à la surface et de décrire ce que j’y ai trouvé. Avant ce groupe, c’était principalement mes relations amoureuses qui m’inspiraient, principalement mes muses. Et quand les autres membres du groupe sont arrivés dans ma vie, j’ai vécu une plongée dans l’inconscient. S’il y fait noir en permanence et qu’il n’y a plus qu’un maigre rayon de soleil qui transperce cela, tu n’es plus que l’esclave de tes textes à un moment donné. Ta vie s’en ressent aussi. Et donc les thèmes du sacré de la vie, de ce qui est invisible, la femme sacrée, la mort, la seconde naissance, des coups de gueule parfois aussi, sont venus d’eux-mêmes. Pour ce qui regarde le processus créatif, je n’ai pas de règle. Il se peut que je ne fasse rien pendant 6 mois à part m’inspirer et voyager, et à un moment donné ça va sortir peut-être en dix minutes. Mais ce qui me satisfait quand je regarde le texte fini, c’est que cela ne provient pas juste de ma pensée : c’est inspiré par quelque chose qui est absorbé par l’énergie de mon âme, remonte jusqu’au cerveau et qui en ressort. Je suis « Bob l’éponge » si tu veux : je sers juste à ça. Et comme mes compagnons sentent aussi les choses, s’ils se retrouvent dans le texte, ils arrivent à exprimer la même chose avec leurs instruments. Il faut bien comprendre que si nous n’avions pas la même sensibilité, on ne pourrait pas jouer ensemble, parce que chacun aurait son discours propre. On arrive à cette poésie collective car c’est une écriture de l’invisible ressenti. Et si elle est écorchée, c’est parce que l’âme de la France va mal. Il n’est pas question de l’actualité, de critique ou de contestation, mais de ressenti. Je ne suis pas opposé à accepter un texte qui tôt ou tard viendra peut-être d’un de mes amis. Mais si un autre intervient dans mon écriture, je n’ai plus rien à faire sur scène. On m’a déjà proposé des textes, et même d’écrire moi-même pour d’autres artistes. Pour l’instant je ne peux pas faire cela. C’est un voyage que je réserve à notre capsule. Et je veux être sûr que si notre chemin mène quelque part, je pourrais m’appuyer sur mon écriture, comme chacun de mes camardes a envie de l’être avec son instrument. Bien sûr, chacun sait jouer de plusieurs instruments mais nous avons fait un choix à un moment donné et le groupe s’est structuré ainsi, de manière que chacun décide de l’instrument avec lequel il peut donner le plus d’intensité. Dans mon ancien groupe, je jouais de la guitare et je chantais l’écriture. Quand j’ai rencontré Arnaud, j’ai décidé de poser la guitare et de me centrer sur ce que je savais faire : écrire. Ce que j’exprime par l’écriture, c’est aussi ma souffrance ; c’est pourquoi je peux la chanter avec mes tripes.
– Sam : En fait dans le ressenti des textes et de la musique qui s’exprime, on a toujours su dire la même chose. Les riffs, les atmosphères, l’univers, les ambiances racontent la même chose que le texte. Et c’est ce qui est intéressant dans nos compositions : c’est une même âme et chaque membre du groupe apporte sa pierre à l’édifice. On ne cherche pas à tout prix à jouer en concert ou à être connus ; on fait quelque chose de vrai qui respecte notre pensée et dans lequel on avance. D’ailleurs les textes ne précèdent pas toujours la composition instrumentale.

– Vous êtes parmi les rares groupes de Rock qui osent la langue française. Pourquoi ?
– Arnaud : La première raison, c’est qu’on est en France, et qu’on a un message à faire passer, parce que nos chansons racontent une histoire ; c’est de la poésie avec de la musique rock, et on a besoin de toucher les gens et que notre histoire soit comprise. N’y vois pas de ma part une critique à l’encontre des groupes français qui chantent en anglais ; mais c’est pour nous une démarche et il serait un peu hypocrite de la livrer dans une langue qui n’est pas la nôtre. Certes, le Rock est moins facile à faire sonner en français ; la langue ne se prête pas bien à ce style musical. Mais c’est justement notre pari. Se cacher derrière l’anglais serait trop facile.
– Sam : On a un amour de la poésie française, et comme on ne comprend ni le bulgare ni le chinois, on a dû faire un choix. On ne s’est pas posé d’autre question que « Pourquoi ne le ferait-on pas en français ? ». Le français nous parle, tout simplement. Oui, la langue française est très difficile à poser sur du Rock phonétiquement. Mais paradoxalement, ça coïncide bien avec notre univers, qui installe des ambiances sonores progressivement et n’exige pas de basculer immédiatement dans la chose. Nos compositions font naître et croître un état d’esprit pour mettre en valeur la poésie qui s’y pose, et le français colle parfaitement à ça.
– Fred : Et puis la France, d’un point de vue culturel, possède, avec sa langue très riche, le matériau et les moyens pour explorer tout ce qui relève de la métaphore poétique. J’ai grandi et appris à dire « je t’aime » en français, et c’est dans cette langue que je le sens. Notre culture est la chanson française, de Piaf à Barbara et Ferré, en passant par Brel, Brassens et les autres, et puis son prolongement avec Renaud, Noir Désir, maintenant Detroit, et Damien Saez.
– Thom : En fait nous créons plus de la chanson française rock que du rock’n’roll en Français. Il y a dans notre musique une base de chanson française relativement présente, qu’on pose avec des riffs qui essayent de garder l’esprit simple du Rock. La démarche vient plus du fait de vouloir porter un texte en Français qui prenne la forme rock plutôt que de faire de la musique à tout prix et de cacher l’absence de fond et de message derrière l’anglais.
-Quelle allure prend votre processus créatif ?
– Sam : On a un travail de composition qui n’est pas du tout basé sur la technique. Chacun compose sur le moment même, sans trop structurer et sans vraiment travailler de partie à part des autres. L’avantage d’un tel processus, c’est que les morceaux prennent vraiment du fond et sont le reflet de ce que nous sommes. En revanche, cela prend du temps ; nous ne cherchons pas à créer de chansons vite pour s’assurer des propositions de grosse scène.
– Fred : Jouer en concert est plus formateur que de s’enfermer en studio. Jusqu’à maintenant, nous n’avons pas joué dans de gros festivals, ni sur des grandes scènes. Mais il faut dire que nous n’avons rien fait pour avoir du piston et que nous n’avons ni manager ni tourneur pour le moment. C’est un peu comme un jardin où on a planté une vingtaine de semences qu’on regarde grandir depuis 8 ans, tout en nous regardant grandir avec. Maintenant qu’on possède une quinzaine de titres qui tournent vraiment très bien, parce qu’on les a rôdés dans tous nos concerts, et qu’on se les est bien appropriés, on a l’énergie et la densité qu’on cherchait à avoir pour enregistrer un album. Nos premières chansons les ont acquises ; mais le groupe ayant mûri, nos nouvelles compositions les portent directement et s’en imprègnent plus rapidement que les précédentes chansons qui ont dû prendre le temps de grandir. On connaît le terreau qu’il faut et désormais, dès qu’on compose une chanson, elle porte la griffe du groupe. C’est un peu comme si on avait mis 8 ans à trouver notre griffe. Et même les anciennes chansons ont évolué. C’est ce qui est magique : ce sont les mêmes compositions, avec les mêmes textes, les mêmes accords, pour la plupart mais elles n’ont absolument rien à voir avec leur début. La différence provient de toute l’énergie qui les investit à présent, et c’est en ça qu’on croit.
– Arnaud : Pour les compositions, je propose des riffs de guitare, des choses qui me viennent et qui me touchent. Et on les utilise suivant les textes de Fred. Cela n’empêche pas que, de temps en temps, l’un peut prendre l’instrument de l’autre et lui faire part d’une idée. Mais la composition globale est le résultat d’un accord des initiatives de tous. Il n’y a pas de membre qui va composer seul pour les autres.
– Fred : Parfois, ils composent à partir d’un riff et je me rends compte que ça va coller à un texte écrit auparavant et laissé de côté. Je dois en avoir 40 ou 50 qui attendent et il arrive parfois qu’une composition puisse en recevoir un sans que je l’aie proposé avant. Il faut que je ressente ce que le musicien a voulu dire avec sa guitare par exemple, et l’ambiance qui s’en dégage. Un texte « coup de gueule » guerrier n’est pas à aborder comme un texte introspectif et romantique ; et ce que mes amis amènent comme univers ou idée décide du sens des paroles. Donc il n’y a pas d’ordre dans le processus : une musique peut inspirer un texte, un texte un musique ou ça peut être la rencontre des deux déjà existants qui crée une alchimie. C’est pour ça que je peux être sur scène. Se mettre en transe est épuisant et a un coût psychique important ; je ne pourrais pas le faire si leur musique ne me portait pas et n’était pas chargée de la même atmosphère qui me propulse et me rend fou. Si le groupe jouait de la Pop, je pourrais chanter, m’appliquer à le faire, mais je ne pourrais pas rentrer dans cette transe qui m’anime, et qui nous anime tous. Car nous sommes tous les 4 dedans, et c’est ce qui donne sa force au groupe, car l’unité est la clé de tout succès.

– Pouvez-vous nous parler de l’album en préparation ?
– Fred : Il y a plein de choses qu’on peut acheter sur terre. Mais faire un album, créer, c’est une trace de ta vie qui restera. Tu ne peux rien emporter de ton parcours sur terre, mais quand tu y poses quelque chose qui est ton œuvre, c’est la seule chose que tu peux être fier d’avoir laissé : des enfants et des enfants spirituels. Tout le reste part en fumée. C’est pourquoi il est important de prendre son temps pour faire les choses, car il faut qu’elles soient abouties quand elles sortent. Une œuvre n’est pas un accouchement prématuré. Lors de notre concert en juin pour la Fête de la Musique, on vécu comme un déclic, un passage à un niveau d’énergie supérieure alors qu’on jouait comme d’habitude ; même notre public s’en est aperçu. C’est qu’il y a parfois des moments où on galère, puis d’un coup, on franchit un cap supérieur et ça se fait naturellement, alchimiquement…
– Sam : On n’a réalisé pour l’instant que des démos à proposer aux bars et aux lieux susceptibles de nous accueillir pour jouer dans un cadre amateur ; rien d’officiel n’est sorti. On a un peu préféré rester dans un délire entre amis, pour créer la musique qui nous convient. Maintenant qu’on arrive au bout de ce travail avec entre 15 et 20 morceaux composés qui tiennent la route et qui sont aptes à être fignolés pour pouvoir être enregistrés, on a décidé de se doter d’un studio « maison » pour poursuivre l’aventure, tout en continuant à prendre le temps de faire les choses comme on les sent. On s’est donné jusqu’à la fin de l’année pour enregistrer un album, en prenant en considération toutes les idées qui peuvent encore arriver. Contrairement à nos débuts où nous avons construit les morceaux peu à peu, nous pouvons nous servir de notre expérience et du matériel pour enregistrer en l’état des morceaux à peine nés, même sans les avoir structurés, et les travailler à partir de cette trace sonore. Certains nouveaux titres sont plus mélodieux que les anciens et nous voulons expérimenter cette manière de faire. Bien sûr, on n’a pas beaucoup d’argent, pas beaucoup d’expérience, mais on a du temps. Et grâce au temps, on peut faire ce qu’on veut avec de la patience et de la motivation. Je crois que, quoi qu’il advienne, on sera fier de ce qu’on a fait.

– Qui vous soutient ?
– Sam : Déjà, notre public. Pour le moment, nous ne sommes pas soutenus par des structures ou des médias. Mais nous n’avons pas cherché cela. Notre priorité est l’enregistrement. Et par la suite, nous pourrons envisager de nous mettre en quête d’un tourneur et de distributeurs et surtout, de personnes qui vont nous aider, car ce n’est jamais aisé pour un groupe de devoir démarcher et s’occuper des problèmes logistiques tout seul. L’étape suivante à la sortie de l’album sera donc probablement de trouver des gens prêts à s’investir pour nous et qui pourrons nous libérer de ces tâches pour qu’on se consacre à la musique.
– Arnaud : Et surtout des gens qui collent à l’esprit du groupe, ce qui est plus dur à trouver. Des pseudo-tourneurs et managers intéressés par le groupe, on en a vus. Mais ils désiraient nous amener ailleurs ou étaient plus sensibilisés à la rentabilité qu’à notre musique. Comme nous ne mettons de pression à personne, les gens font avec leur cœur. Et c’est tout ce qu’on leur demande s’ils sont touchés par notre musique. On a croisé des gens plus ou moins sérieux et corrects, qui ne sont pas restés à nos côtés. Mais nous avons confiance en la vie pour qu’elle nous apporte la bonne personne, les bonnes rencontres.
– Thom : Certains nous ont approchés, mais on sentait qu’ils n’étaient pas vraiment intéressés par le fond du message et qu’ils faisaient plus cela pour leur ego, pour profiter du fait qu’un groupe, ça passe dans les bars, c’est connu, qu’on peut en tirer bénéfice. Cela ne colle pas avec notre démarche humaine et artistique. Nos chemins se sont séparés et éloignés de façon assez naturelle. Pour l’instant, nous ne vivons pas de notre musique, mais de métiers alimentaires qu’on exerce à côté. Et en un sens, c’est une garantie pour ne pas être obligés de vendre notre musique et de brader nos âmes. D’autant que ce sont des métiers pas uniquement alimentaires, puisqu’on travaille tous plus ou moins en lien avec la musique, c’est-à-dire qu’on a un pied dans un univers en adéquation avec notre passion. Le magasin de musique où nous tavaillons avec Sam nous donne des coups de pouce bienvenus en prêtant du matériel, ou en permettant des contacts. On n’est pas scindés en deux dans notre tête, déchirés entre boulot alimentaire et passion artistique. Bien sûr, ça nous est arrivé, mais nous nous sommes toujours raccrochés à la musique pour supporter des situations difficiles. Maintenant, on vit un peu plus en harmonie psychologique vis-à-vis de cette question. D’un point de vue personnel, la musique est pour moi une thérapie, un exutoire ; elle me permet de me libérer psychologiquement et de m’exprimer. On ne vit pas de la musique, mais la musique nous fait vivre.
– Sam : En revanche nous avons lié des amitiés avec d’autres groupes comme Radio Moscow (USA) entre autres, et nous commençons à avoir un petit réseau d’amis prêts à partager des scènes. On regarde autour de nous quels sont les groupes susceptibles de partager des valeurs avec nous, même si nous jouons dans des styles musicaux différents. Si les rencontres se font naturellement et que le feeling passe bien, nous les invitons et tentons de créer des liens pour multiplier les échanges, et, au fil du temps, une certaine solidarité grandit.
– Arnaud : Cela fait plaisir de croiser des groupes qui partagent nos valeurs, comme Radio Moscow (USA), d’autant que c’est un groupe qui voyage, se produit partout dans le monde et vit de sa musique. Et ça fait du bien de passer du temps avec eux, de jouer ensemble, de se dire que c’est possible et que la musique est une affaire de simplicité, d’unité, de jeu, de sincérité ; ça m’a conforté dans l’idée que nous sommes sur la bonne voie. On reprend confiance quand on rencontre des gens qui vivent ça. Récemment, nous avons croisé un autre groupe de rock français, Lost Respublica. Nous allons sûrement rejouer ensemble.

-Le Groupe : On tient à remercier toutes les personnes qui nous soutiennent et nous aident dans notre quête. En particulier David Guionie, sans qui cette interview n’aurait jamais eu lieu.
Miren Funke
Nous remercions également David Guionie pour nous avoir fait découvrir Le Rêve de Shadrak et mis en contact avec. Et Aline Schick-Rodriguez pour son aide.
Liens :
Facebook : https://www.facebook.com/LeReveDeShadrak/?fref=ts
Site : http://lerevedeshadrak.wix.com/lerevedeshadrak
Vidéos chansons : https://www.youtube.com/watch?v=AKlat-DxNtU « Marie »
https://www.youtube.com/watch?v=cxR_pH_NwNA « L’Ether aux étoiles »
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