L’affaire Barthab ou l’engagement qui swingue, entretien avec Xavier Barthaburu

7 Oct

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L’âme d’artiste n’est pas âme mercantile, on le sait bien. Mais il tout de même parfois regrettable que de trop ne pas savoir se vendre, des poètes au propos utile, doublés de musiciens créatifs restent méconnus du grand public. Xavier Barthaburu, chanteur -et plus encore- de l’Affaire Barthab, bien qu’ayant depuis de nombreuses années exercé ses talents dans diverses formations de renommée plus que décente, est de ceux là, dont, la musique ne m’a été accessible qu’indirectement et tardivement, presque par hasard (et je remercie le hasard). Mieux vaut tard que jamais! Et un café en terrasse me donne l’occasion de rencontrer cet artiste aux multiples rôles, auteur, compositeur, musicien et chanteur charismatique, qui avec son groupe, fait swinguer la chanson engagée.
– Xavier, bonjour et merci de nous accorder un peu de temps. On t’a connu à travers diverses formations au cours des dix dernières années. Comment est née l’idée de l’Affaire Barthab?

– On se connait depuis longtemps, moi et les autres membres. Nous jouions ensemble, mais parfois pas toujours en même temps au sein du groupe java-punk Laréplik [https://fr-fr.facebook.com/la.replik.pirates] : c’est là qu’on s’est rencontrés. Ceci dit Laréplik n’était pas mon groupe principal, même si j’y ai officié avec des aller-retours pendant 10 ans, et participé aux 3 disques. Je jouais avant tout dans Les Pellos [https://myspace.com/lespellos], et puis dans la fanfare rock Les Touffes Krétiennes [www.lestouffeskretiennes.com]. Avec Les Pellos, qui était mon groupe de lycée en fait, ça a duré plus de dix ans. Et puis les membres du groupes se sont un peu dispersés, enfin chacun a avancé dans sa vie, et comme j’ai vraiment commencé à écrire des chansons à partir de 2007, on a commencé à jouer avec les copains quelques concerts à l’année pour se tester pendant deux-trois ans, mais sans que l’Affaire Barthab n’existe vraiment sous sa forme définitive.
Lorsque je jouais dans les Touffes Kretiennes, nous étions plusieurs groupes de potes, avec Les Hurlements de Léo [www.hurlements.com], Laréplik bien sur, Turbo Billy [http://myspace.com/turbobilly] à partager le local « Rastaquouère », rue de Tauzia, près de la gare. Les réunions prenaient parfois une tournure incroyable, tant on était en désaccord, mais c’était une époque géniale. Et puis le fait de posséder un local à soi, où on peut jouer et faire jouer les amis quand on veut, c’est quand même la garantie d’indépendance. C’est quand on a plus son « chez soi » qu’on se rend compte que c’est important. J’aime les endroits avec une identité, quelle que soit leur position.
Le groupe s’est finalement formé, et comme nous sommes tous des musiciens capables de nous adapter à différents genres musicaux, même si chacun a ses propres goûts, on a pu développer un double set : un set de standards de Jazz et Swing des années 30-40 qu’on peut jouer toute la nuit, façon « balloche », et un set de compositions originales à nous. Par exemple à La Rochefoulcault (16), nous animons toute la soirée, d’abord avec une première partie consacrée aux standards de Jazz et ensuite en présentant nos compositions propres. Le fait de jouer des standards et de la création est assez enrichissant, car l’un nourrit l’autre. Peut-être de moins en moins, car nos jeux commencent à être autonomes. En outre assumer toute une soirée de spectacle, c’est ce qui nous permet d’être payés normalement. Alors c’est sur, jouer des reprises est moins passionnant que jouer nos chansons, mais ainsi on peut vivre de notre musique sans être obligés faire un métier alimentaire à côté. C’est souvent malheureusement ce qui met en question la survie d’un groupe, quand certains membres sont contraints d’abandonner la musique pour travailler par nécessité. Nous sommes tous adultes : nous avons des loyers à payer, des frigos à remplir, des enfants à nourrir parfois. Alors comme jouer de la musique prend beaucoup de temps, si on veut s’y consacrer, la seule façon c’est de pouvoir gagner sa vie avec.

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– Le nom du groupe évoque quand même ton patronyme. Est-ce un vrai groupe ou une équipe de musiciens autour d’un leader?

– Le nom du groupe est venu à partir de mon nom de famille Barthaburu, car je jouais avec mon frère. Même si ce sont mes textes que je porte en tant que leader, je voulais conserver l’idée que c’est quand même un groupe, et pas un individu seul. Maintenant il m’arrive de jouer juste en duo avec un musicien, pas toujours le même d’ailleurs, et dans ces cas là, ce n’est plus l’Affaire Barthab, mais « Barthab » tout court. J’assume aussi de plus en plus le fait d’être auteur compositeur!
Pour ce qui est de la partie création au sein de l’Affaire Barthab, en général j’arrive avec un texte, une grille d’accords, des thèmes principaux et des structures, et puis nous les testons ensemble. La semaine prochaine par exemple, nous serons en résidence, et je vais ramener 5 ou 6 morceaux que nous allons « éclater », c’est à dire, les déstructurer, les essayer en Rock, en Bossa, ou dans d’autres genres pour voir ce que ça donne. J’ai besoin de sentir le travail de groupe, parce que parfois je fais un peu tout, et ça ressemble trop à ce que je produis seul dans ma chambre. Désormais je voudrais qu’on travaille autrement, que je puisse arriver juste avec un texte par exemple et que la composition soit le fruit d’une imagination collective, que le batteur arrive avec son rythme de batterie, le guitariste avec son riff, et que chacun mette sa patte et sa pâte!
La formule duo Barthab, en guitare-voix ou piano-voix, présente un avantage: il est moins compliqué de déplacer deux personnes que sept. D’autant que nous faisons aussi des concerts chez l’habitant. C’est toujours plus simple pour des gens d’organiser chez eux un concert acoustique de deux musiciens qu’un concert amplifié de groupe. Du coup je travaille sur deux fronts : le groupe et la formule réduite, qui ne fonctionne pas toujours avec le même complice -j’ai deux équipes différentes-. Les deux ont des chansons communes, mais évidemment pas orchestrées pareillement. L’Affaire Barthab swingue avec les cuivres, et propose un univers festif, alors que Barthab est bien plus intimiste, et va toucher plutôt des gens qui écoutent de la chanson française.

 

– Peux-tu nous présenter les autres membres du groupe?

– L’Affaire Barthab compte sept membres : Antoine Gisclong à la batterie, qui a joué au sein de Narvalo [NDLR groupe de rock balkanique énergique, site : my.zikinf.com] et de Laréplik , Christophe Ganter à la contrebasse, ancien de Laréplik également, Frédéric Cassiau aux claviers, qui, lui, a joué beaucoup de Reggae et de Ska, Grégory Schultz à la guitare, qui vient du Rock et de la musique Manouche, et est toujours membre de Narvalo, Pierre Gosselin au saxophone et Adrien De Burosse à la trompette, qui eux viennent du Jazz, et que j’ai rencontrés en jouant dans un groupe de Jazz Manouche. barthab2

Donc les diverses influences qui nourrissent notre musique nous sont communes à tous, mais chacun a ses préférences et ses goûts propres. Par exemple j’ai une formation classique (violoncelle), mais je viens surtout du Punk Rock, de l’alternatif, et de la chanson à texte, que j’ai beaucoup écouté à l’adolescence. Pour moi quel que soit le style de musique, il faut qu’il y ait un sens, quelque chose à exprimer. J’ai surtout écouté les Sherrifs, la Ruda Salska, Les Béruriers Noirs, Les Garçons Bouchers, Pigalle, les Têtes Raides, la Mano Negra… enfin toute cette vague de musiques alternatives qui s’étaient positionnées politiquement, pas tant de chanson française que ça, même si évidemment je connais Brassens, et écoute Souchon et Renaud. Bien sur pas mal de gens m’étiquettent dans la famille des groupes comme La Rue Kétanou, les Ogres de Barback, mais je ne m’y sens pas à ma place. C’est juste que comme je compose à la guitare, seul dans ma chambre, la chanson est souvent le format de départ dans lequel les compositions tombent par défaut.

 

 

– L’engagement humaniste, sinon politique, est très présent dans tes textes. Est-il parfois sujet de discorde au sein du groupe ou partagez-vous les mêmes opinions?

– Bien sur il arrive que l’on soit en désaccord, que certains membres n’aiment pas tel ou tel texte. Comme il arrive qu’on soit en désaccord pour la musique, que certains membres n’aiment pas une suite d’accords ou une ligne mélodique. Déjà politiquement, nous n’avons pas forcément les mêmes opinions, même si grosso modo, un socle commun de valeurs humanistes nous relie. Mais il nous est déjà arrivé de refuser de jouer certaines chansons, car nous n’étions pas d’accord dessus. Par exemple il y a une chanson dans laquelle je me posais la question de savoir ce que les politiciens feraient s’il n’y avait plus d’état, ni d’assemblée, et j’y nommais quelques représentants politiques : le fait de nommer des gens gênait Christophe, le contrebassiste. Donc nous avons écarté la chanson.
Les prochaines chansons qu’on va écrire sur le sujet religieux risquent d’être difficiles, car on ne veut pas blâmer les humains qui croient en un Dieu ou pratiquent une religion, mais dénoncer ceux qui s’en servent pour exploiter et écraser les autres, pour diviser les gens dans le but d’asseoir une domination. On n’a aucune envie d’offenser les simples croyants, même si aucun membre du groupe n’est religieux. Nous croyons plus aux mécaniques cellulaires ; si on devait avoir un côté spirituel, ce serait de croire en la nature. Nous appartenons tous à la nature ; nous en somme des cellules qui se rencontrent et créent quelque chose.
Pour ce qui regarde le militantisme, il y aura toujours des causes ou des lieux pour lesquels nous jouerons gratuitement. Déjà, nous avons établis une règle entre nous sept : dans l’année, chacun a le droit de choisir une date où nous allons tous jouer ensemble bénévolement, quelle que soit la cause, que ce soit pour soutenir un lieu autogéré, une cause qui nous semble juste, ou simplement animer le mariage d’un membre de la famille d’un des musiciens. Parce qu’on ne conçoit pas de s’investir dans un groupe, sans pouvoir l’offrir à qui on veut! Donc ça nous fait déjà 7 concerts gratuits par an. L’an dernier, nous avons joué à ma demande dans un squat à Annecy ; Pierrot peut nous faire jouer dans des festivals de baba-cool tout au fond de la montagne…
Mon rêve, c’est d’assumer un vrai groupe de « balloche » qui joue de la Salsa, du Jazz, du Ska, du Reggae, mais en y posant de la création de chanson pour dire quelque chose, pas pour raconter qu’on va bouffer des pizzas devant la télé… Bon, je n’ai rien contre monsieur Benabar, mais cette chanson là, je la trouve vraiment naze. Il aurait mieux fait d’écrire: « Viens, on va se prendre la gueule en famille avec ton père et ton oncle, mais au moins, on discutera ». Parce que le premier rempart, le premier cercle social, la fabrication de ce qu’on est, et en même temps le premier mur à franchir, c’est la famille. Chercher qui on est dans sa famille, c’est un point de départ.
Le mois dernier, Myriam d’O.P.A. [NDLR Orchestre Poétique d’Avant-guerre –voire l’entretien publié le 13 septembre dernier par notre revue-, site : www.opa33.org] m’a invité à jouer avec elle ; elle me permet de jouer dans des lieux où je n’irais pas forcément avec l’Affaire, car les autres membres du groupe n’adhèrent pas au soutien de la cause pour laquelle nous jouons. L’engagement, Myriam ne connaît que ça! D’un autre côté, l’Affaire me permet de toucher aussi des publics qui ne sont pas déjà acquis à mes idées : quand nous avons joué à St Emillion, devant un public de gens plutôt marqués à droite politiquement, certains sont venus discuter avec moi ensuite et me dire: « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais c’est bien fait ». barthab cover_live_au_tnt

Finalement prêcher les convaincus, c’est relativement facile. Mais tenter de propager sa parole face à des gens d’un autre bord, et arriver à progresser dans l’écriture pour faire passer un message sans être frontal, c’est une autre affaire. San Severino, qui est pourtant classé parmi les chanteurs de variété à grand public, possède, selon moi, cette qualité d’arriver à faire passer certaines vérités de manière fine, drôle et bien amenée. En ce moment la tendance est à enfermer les gens dans une case, les artistes sous une étiquette.

 

 

– Réduire l’être humain à un qualificatif ?

– En quelques sortes. Les gens ne se parlent plus au delà de la catégorie, du milieu, du parti pris politique auxquels ils croient appartenir. Rien qu’au niveau de la musique : les reggaemen restent entre reggaemen, les rockers en rockers, les «chansonneux» entre «chansonneux»… On se met tout seul dans des cases et des cloisonnements, alors que l’art devrait au contraire exploser tous ces murs. Avec La Réplique par exemple, on jouait dans un milieu alternatif très précis, en touchant un public précis, et au bout d’un moment, cela m’oppressait ; j’ai voulu sortir de ça. Changer la musique, la manière de dire les choses. C’est pour pouvoir exprimer cela que j’ai fondé l’Affaire. Bien sur j’ai des positions fermes et radicales et je dis ce que je pense, mais je suis capable de discuter avec une personne de l’UMP ou du FN. S’enfermer dans un microcosme d’intellectuels de gauche, qui possède ses codes et ses façons de parler, son vocabulaire propre à lui même, ne sert en aucune façon à aller vers les autres pour créer l’échange. C’est peut-être en partie pour cela que la politique s’est éloignée des masses populaires. Et vice versa : les gens en ont eu marre des militants et des professionnels de la rhétorique qui tenaient des discours élitistes. xavier4

A la fête de l’humanité, j’ai fait une mauvaise blague : je suis descendu dans le public, et j’ai dit: « Je vous avais dit, les gars, qu’on aurait du jouer à la fête du FN« . C’était une grosse provocation, mais elle a permis de lancer un débat, parce qu’après on s’est assis, et on a passé 3 heures à discuter la question de savoir pourquoi les militants et les électeurs désertent les utopies d’extrême gauche pour basculer dans l’autre camp. Il faut aussi se remettre en question parfois. Certaines élites de gauche font montre d’une arrogance pas possible à ce sujet, en renvoyant la faute sur le manque d’intelligence ou d’instruction des gens, leur incapacité à réfléchir. C’est quelque part un mépris du peuple. De toute manière aucune révolution ne s’est jamais faite sans le peuple, ni sans la police et l’armée. C’est souvent ce qui a fait basculer la donne, quand les forces militaires rejoignent l’insurrection populaire.
Et puis le repli identitaire a un rapport à la mondialisation, qui uniformise nos cultures et prive les gens de certains repères. On reprochait au stalinisme l’uniformisation, mais finalement le capitalisme mondialiste nous impose les mêmes villes, les mêmes banlieues, les mêmes façons de s’habiller, les mêmes musiques à écouter en masse… On défonce les cultures européennes, alors les gens ont besoin de se sentir protégés et sécurisés au sein d’une communauté. Ce système est quand même insensé : on n’a jamais autant eu la possibilité d’échanger et de croiser avec les autres cultures de n’importe quel endroit de la planète, et c’est le contraire qui s’opère : au lieu du métissage et de l’échange, l’uniformisation.
Pour moi l’extrême gauche et l’extrême droite se touchent de près : je vois l’éventail des opinions politiques comme un cercle ou un serpent qui se mord la queue, en partant de la gauche radicale jusqu’à l’extrême droite. On n’est pas loin de partager certains discours sur le malaise économique actuel par exemple, la défense des productions locales, le refus de brader nos usines à des capitaux étrangers. Qu’est-ce que c’est qu’être d’extrême droite? Est-ce avoir des idées réactionnaires? Être rétrograde sur la sexualité et les principes moraux? Défendre un repli identitaire ou économique? Le communisme en parle aussi, à travers la réapparition de monnaies locales, le patriotisme économique.
C’est pour cela que je trouve aussi important d’aller écouter Soral ou Dieudonné, pour comprendre comment ce qu’ils disent touche autant de gens et a un écho favorable auprès d’une certaine catégorie de la population, que d’écouter Franck Lepage et les vérités qu’ils énonce au sujet de l’éducation populaire, et qui avance des idées dans lesquelles je crois. Quand on se rend compte à quel point la gauche a trahi son électorat, et l’extrême gauche déserté le terrain, on peut comprendre que les travailleurs basculent de l’autre côté : ils n’ont pas été défendu par les syndicats censés les défendre, et maintenant ils vont voir là où il n’aurait jamais fallu aller. Cela fait trente ans qu’on répète aux gens que le FN ne peut pas rentrer dans l’arc républicain, et trente ans que l’arc républicain ne fonctionne pas pour protéger les citoyens. Comment ne pas comprendre la perdition des idées et l’apparition des colères? D’autant que les élites continuent de travailler à la division de gens. Elles nous regardent nous entretuer, en pensant sans doute que ça fera toujours quelques opposants de moins à combattre. Mano Solo est les Frères Misère avaient une belle chanson, « La Révolution », qui disait « La révolution, c’est plus comme avant. Avant y avait du noir et du blanc, et maintenant plus que du gris partout ». On fuit tous les sujets compliqués à discuter, car on n’a pas le temps d’écouter, réfléchir et échanger. Les prochaines années vont être très tendues ; ce ne sera pas facile de rester solide, serein et patient avec son cœur. Et de savoir discuter avec tous. Un des derniers lieux jouissif à cet égard à Bordeaux, est le bar l »Antidote », où tout le monde peut rentrer, y compris les clochards et les zonards du coin qui eux sont refusés partout ailleurs. Je n’y vais pas si souvent que ça, parce que moi, je peux rentrer partout, mais la porte n’est fermée à personne. Tu peux encore y passer des soirées improbables à discuter avec des gens de n’importe quel milieu, des artistes comme des clodos, car le lieu est ouvert d’esprit et accueille aussi les exclus qu’on laisse de plus en plus traîner dans la rue, à la vue de tous, comme des épouvantails.
– Pour que tu puisses, une fois dans la rue, épouvantail aux mains tendues, effrayer le salarié, fermer ta gueule et pas bouger » chantait Mano Solo dans « Du vent ». Mano Solo justement : ton chant évoque souvent sa voix. Est-ce une grosse influence?

– Ah! On me l’a parfois dit. Mais de moins en moins. Au fur et à mesure, je trouve un peu plus ma manière de placer mes mots et de chanter. Forcément il y a toujours des artistes qui nous influencent au début, et même inconsciemment on peut prendre leurs manières. En fait j’ai beaucoup écouté les Frères Misère, le groupe de son 3ème album, plus que Mano tout seul. xavier3Quand on est musicien, on repique parfois des plans qu’on écoute chez ceux qu’on aime. Pour la voix, c’est strictement pareil que pour n’importe quel instrument. Pour moi, ce n’est pas du tout une mauvaise référence ; j’adore ce qu’il chante, qui il est, la façon dont il réfléchie et arrive à avoir des positions au delà des camps, la manière dont il regarde et écoute ce qui se passe autour. C’est ce qui fait les grands artistes : des gens qui défendent des positions, mais sont capables de dire qu’ils peuvent avoir tort, des mecs qui se la pètent mais sont capables de dire qu’ils se la pètent et ont malgré tout une certaines humilité.

 

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– Entendre parler de Mano Solo au présent, ça, ça fait plaisir! Et entendre un peu de lui dans ta voix aussi. Et Bernard Lavilliers?

– Non, on ne me l’a jamais cité. Mais j’aime bien! Tant mieux!

 

– Toi qui es d’origine basque justement, tu sais que la question régionaliste est un bon exemple de sujet mis en avant autant par des idéologies réactionnaires que par des utopies progressistes. Fait-elle partie de tes préoccupations?

– Ma famille est basque, de Basse Navarre, mais pas du tout indépendantiste. Ceci dit la question de la défense des cultures régionale me touche quand même. Comment faire vivre une culture locale, la maintenir, la partager, mais sans s’enfermer dedans? Voilà un vrai sujet. Certains arrivent à le faire, à défendre et promouvoir leur culture, en étant ouverts au monde.
Pour moi, le problème survient à partir du moment où on commence à penser que sa propre civilisation est supérieure à celle des autres. Mais il me semble que cette inclinaison à se penser supérieur arrive plus volontiers aux nationalistes d’états déjà constitués qu’aux autonomistes régionaux.
Ce que j’envie aux régionalistes, c’est que, eux ont le « prétexte » de la culture, et même de la langue locale, pour mettre en place des fonctionnements économiques alternatifs et réinvestir le combat de la politique en tant que participation à la vie de cité. Le Pays Basque français est en train de promouvoir une monnaie locale, l’Eusko, qui fonctionne dans le milieu associatif depuis plus d’un an. Le local est très important, car on vit à des endroits précis, sur des terres et avec des gens précis -nos proches et voisins directs- et c’est dans ces circonstances que le rapport humain et la démocratie sont les plus directs. C’est avec son voisin qu’on paye dans la même caisse pour profiter de l’urbanité de la même commune.

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– Où en sont les projets du groupe?

– Il faut savoir que tout ce qu’on gagne, on le partage et le met dans nos salaires. C’est sans doute aussi pour cela qu’on a du mal à produire nos albums : on ne met rien de côté! Et produire un album avec un vrai boulot de suivit d’attaché de presse derrière, ça coûte une fortune : c’est le nerf de la guerre.
En 2010, on avait maquetté un CD de deux chansons pour pouvoir démarcher, mais il n’est pas distribué. C’était juste pour se présenter et trouver des dates de concert. cover_tuparlesdunrevolutionnaire-450x450

Il est vrai que j’ai un souci avec le démarchage : je ne sais pas me vendre. Je saurais vendre mes copains ou leur travail, mais se vendre soi même, c’est extrêmement délicat et impudique. Et puis c’est compliqué d’être chanteur, auteur, régisseur et manager à la fois. Il faut promouvoir le groupe et je ne l’ai pas assez fait. On s’est même fait engueulés par un journaliste de la radio La Clé des Ondes [http://lacledesondes.radio.fr/] qui est venu nous voir jouer, nous a beaucoup appréciés, et nous a demandé ce qu’on attendait pour lui envoyer notre disque en nous proposant un rendez-vous en urgence!
L’album de l’Affaire a des thématiques relativement sociétales. Maintenant humainement, au cours des deux dernières années, j’ai traversé des expériences personnelles, enfin amoureuses, diverses, faites de ruptures, de rencontres… Et justement puisqu’on a reproché au groupe de ne pas avoir une seule chanson d’amour à son répertoire, et que nous souhaitions en intégrer, car ça fait quand même partie de la vie, mon écriture s’aventure sur ce terrain de plus en plus. Moi, qui ai toujours rigolé des chanteurs qui ne font que des chansons d’amour, ça me tombe finalement sur le coin de la gueule aussi! Il y aura quand même quelques chansons sociétales au milieu. En revanche, avec Barthab, on se consacrera aux chansons de couple prochainement.
Nous sommes intermittents du spectacle, et il nous faudrait un tourneur qui nous défende par passion, mais que l’on puisse quand même rémunérer. Mais même si c’est compliqué, je ne changerais de vie pour rien au monde! J’ai eu jusqu’à maintenant la chance de pouvoir faire mes heures pour le statut d’intermittent sans devoir faire trop d’alimentaire, en ayant la possibilité de jouer plus ou moins dans des groupes où je pouvais dire des choses et exprimer mes convictions.

 

– Et tes convictions, quelles sont-elles?

– Je ne suis pas pour l’individualisme ; je suis pour les caisses communes, le fait de cotiser pour mettre en commun des biens qui servent à la communauté entière ou à ses membres qui, à un moment donné, en ont le plus besoin. C’est très important d’avoir une caisse collective, malgré tout ce qu’on nous met dans la tête. A ce titre, le glissement sémantique qui a remplacé le mot « cotisation » par celui de « charge » n’est pas anodin. Il y a là un sens philosophique très lourd : on regarde désormais l’autre comme étant à notre charge, comme un poids, un fardeau. Les mots ont une importance qu’on sous estime : ils changent beaucoup de chose dans la conception et l’appréhension inconsciente des choses et des gens. Une cotisation n’est pas un fardeau ; ce n’est ni plus ni moins qu’une participation à une caisse commune pour se donner des filets de sécurité en cas de besoin. xavier6
Une question qui me touche beaucoup est le traitement réservé aux immigrés. La France a depuis toujours été construite avec des apports de différentes vagues d’immigration. On ne peut pas dire à un Espagnol ou un Portugais: « Rentre chez toi! », car c’est oublier que notre pays a été façonné aussi par eux. Ce qui est bien avec la musique, et l’art en général, c’est que tu peux la parler avec tout le monde, car c’est une autre langue. Cela doit être très compliqué d’être raciste et musicien. Si certains y arrivent, c’est parce qu’ils n’aiment pas vraiment la musique ; si on aime la musique, on aime toutes les musiques. On est obligés d’être curieux et avide de savoir comment les autres jouent, et d’apprendre d’eux.
Pourquoi sommes-nous musiciens? Pour créer le lien et faire sortir les gens de chez eux. Il y a de plus en plus de sites de rencontre et de réseaux sociaux, et les gens se parlent de moins en moins. On ne descend plus en bas de chez soi, au café du coin, dans la rue pour rencontrer ses voisins. C’était bien vu de prétexter d’un souci de santé publique pour interdire de fumer dans les bars, sachant que les gens déserteraient peu à peu ces lieux où les consommations sont de plus en plus chères et les espaces de liberté de plus en plus réduits. De toute façon, les Français sont alcooliques! Moi, je préfère un peuple d’alcooliques qui discutent dans les bars qu’un peuple d’alcooliques qui s’enferment, chacun chez soi, pour picoler seul devant sa télé.
Ceci dit je n’ai pas envie de tomber dans une posture moraliste de donneur de leçon ; donc nous aurons toujours des chansons autocritiques. Par exemple la chanson ironique « Tu parles d’un révolutionnaire! » où je parle de ma rebellitude, raconte que finalement ayant faim et froid, je suis rentré chez ma mère. Si nous nous prenions pour des porteurs de parole, tout cela manquerait terriblement d’humilité et de sens autocritique. Déjà que mes amis me reprochent souvent mon ego surdimensionné! Mais comme je leur dis, si je n’avais pas cet ego, je ne monterais pas sur scène pour chanter devant les gens. Nous sommes forcés d’en avoir quand on fait ce métier ; c’est pour cela aussi qu’il faut savoir garder une certaine autodérision et beaucoup d’humour, afin de ne pas se laisser envahir par la mégalomanie.
J’essaye d’amener un spectacle sur scène qui mérite d’être vu, qui va apporter quelque chose aux autres, comme le boulanger apporte du pain, l’ouvrier son travail : c’est un métier nécessaire au bien être collectif au même titre que les autres. En plus j’ai la chance de faire un métier où je peux prendre le temps d’écouter les gens, d’observer, de réfléchir. C’est un luxe que très peu de gens peuvent se permettre hélas.
Évidemment c’est un métier à plein temps quand on le vit pleinement, car pour deux heures de concert en soirée, il a fallu avant créer des chansons, répéter, faire la route jusqu’au lieu de concert, monter la scène, faire les balances, jouer, démonter la scène, tout ranger, repartir… La journée commence à 13 heures et finit à 4h du matin. Et tout ça c’est du travail, de la fatigue, des frais investis. Il est normal que ce labeur soit reconnu.
Mais il y a des situations bien plus graves et précaires que le statut d’intermittent. On a tous suivi il y a quelques années les émeutes qui ont eu lieux dans les cités : mais comment arrive-t-on à pousser les gens à un tel désespoir qu’ils finissent par brûler leur propre lieu de vie? C’est un peu une métaphore de l’immolation. Pousser les gens aussi loin que ça et les regarder faire, qu’y a-t-il de plus mesquin? Et endormir les autres avec un canapé à crédit, un écran plat et TF1. Brel disait que la bêtise, c’est la suffisance : se contenter de ce qu’on est, de ce qu’on a, et en ressentir une satisfaction.
Si l’art, chez certains, peut se contenter d’un simple rôle divertissant, il en est d’autres, pour qui, il doit remplir également et avant tout une fonction philosophique, voire politique : nous réveiller de cette suffisance auto satisfaisante, interpeller nos consciences, et remuer nos humeurs. Un cercle sans fin pour ainsi dire, puisque, si l’expression artistique nous révèle à nous même ce sentiment d’insatisfaction qui provoque curiosité culturelle, appétit spirituel et soif émotionnelle, c’est aussi de lui que naît la créativité. Et tant mieux ! Gageons que les artistes de la même veine que Xavier Barthaburu et ses complices de l’Affaire , n’ont pas fini de nous bousculer et de nous émerveiller.

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Lien :

http://laffairebarthab.com/
https://www.facebook.com/pages/Laffaire-Barthab/197697446568

 

Miren Funke

2 Réponses to “L’affaire Barthab ou l’engagement qui swingue, entretien avec Xavier Barthaburu”

  1. ALLARD octobre 9, 2014 à 17 h 44 min #

    Hé bien Mitch, beaucoup de belles choses dans ces propos. Ça me fait penser que cela fait un moment que je n’ai pas vu l’Affaire et qu’il faut que je remédie à ce manque. A bientôt donc. D’ailleurs, cela fait aussi un bail qu’on ne s’est pas croisés
    . Alors à bientôt, mec. Bises, Philou

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  1. Sortie de l’album « 30m²  de Barthab : entretien avec l’artiste | «le blog du doigt dans l'oeil - octobre 18, 2019

    […] La pièce maitresse » est le titre d’une composition de Xavier Barthaburu (Barthab) [Lire ici], qui m’ouvrit à son écoute une perspective inédite pour moi dans l’univers du chanteur. Cet […]

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