Dix ans d’existence accomplis, voilà un anniversaire qui semble-t-il a apporté, l’an dernier, sérénité et confiance au groupe bordelais GUAKA.
Formation dont la géométrie a varié depuis les début à 11 musiciens jusqu’au trio actuel composé du batteur et percussionniste originel Mauro Ceballos, du chanteur et guitariste Igor Quezada et du bassiste récemment intégré Miguel Jubes, Guaka tient debout et maintient le cap artistique fixé : créer sa musique propre, influencée de rock, mais aussi de rythmiques folkloriques sud-américaines, et la jouer en s’inscrivant dans une démarche alternative et non commerciale, fondée sur les valeurs de solidarité, d’entre aide, d’échanges culturels et de liberté.
Restant volontairement en marge de l’industrie du disque, dont il court-circuite le système habituel d’intermédiaire entre
artiste et public, le groupe fonde en 2008 son propre label associatif, Guakismo Prod, chargé de soutenir les projets d’artistes indépendants, notamment des pays d’Amérique latine, dont sont originaires les membres de Guaka, et de permettre leur diffusion via un réseau solidaire international qui ne cesse de croître depuis.
Riches de plus de 700 dates de concerts aux 4 coins du globe (Chili, Mexique, Japon, Scandinavie, Espagne…), les liens d’amitié et les convictions des musiciens semblent s’être resserrés et solidifiés à l’épreuve des galères vécues ensemble, et de l’expérience acquise. Pour élaborer et produire son troisième album, Guaka a choisi d’en appeler à l’aide du public via le site de financement participatif européen Ulule.
C’est à la veille d’un concert acoustique au bar alternatif l’Antidote, que les 3 amis ont interrompu leur répétition pour accepter de répondre à quelques questions.
Guaka, bonjour et merci de nous recevoir. Cela fait dix ans que poursuivez vos activités artistiques de manière indépendante. C’est un réel engagement de se battre pour vivre de sa musique. Comment fonctionnez-vous ?
– Mauro : On a créé notre propre label Guakismo Prod, pour être autonomes. On avait démarché avant et cherché partout des possibilités de présenter nos projets, à Paris et ailleurs, mais comme à l’époque, nous ne chantions pas du tout en Français –maintenant, si-, personne ne s’y intéressait.
– Igor : On aura de plus en plus de chansons en Français. Ce n’est pas pour un but commercial de vendre plus ou autre ; c’est juste une question de logique : maintenant on maîtrise mieux le Français et on commence à vouloir exprimer des choses dans cette langue. Moi, je suis né ici, mais j’ai grandi au Chili. Donc j’ai du réapprendre le Français quand je suis revenu à Bordeaux pour faire des études d’art, il y a 15 ans. Et Mauro vit ici depuis 10 ans.
– Miguel : Moi, ça fait juste 6 mois que je suis à Bordeaux. Avant j’ai étudié à Barcelone où vit ma famille, et puis à Avignon.
Et comment as-tu intégré Guaka ?
– Miguel : J’avais déjà joué avec le groupe il y a 4 ans ; et l’an dernier Mauro m’a appelé et demandé si je voulais venir ici les rejoindre.
– Mauro : Nous avions rencontré Miguel alors qu’il jouait dans un groupe assez connu au Venezuela, et pour lequel nous nous sommes chargés de trouver des dates de concert en France. Et puis il y a 4 ans, nous avons eu notre première grosse tournée au Chili, et notre bassiste ne pouvait pas venir, car il allait avoir un enfant. Nous avons donc pris Miguel pour le remplacer durant cette tournée.
Maintenant on n’est plus que 3 ; c’est beaucoup plus pratique pour partir jouer et se faire héberger. Et puis aussi pour se supporter et travailler ensemble. Nous fonctionnons collectivement pour la création ; on compose et écrit ensemble, ou parfois moi ou Igor arrivons avec un texte. Miguel, pas encore, car il parle moins bien le Français que nous, mais il participe à l’écriture des textes en espagnol- ou un riff de musique et on travaille le reste ensemble. On n’a pas vraiment de formule. Un groupe, c’est pire qu’un couple, car il y a, en plus, la cohérence d’un projet artistique à avoir.Bien sur nous avons des contacts dans certains pays, grâce à notre réseau d’entre aide, mais pas partout. Parfois on galère à trouver des dates ; il faut s’y prendre un an à l’avance. Et puis certains lieux de concerts ont peur de nous faire jouer, car ce sont des petites salles, et lorsqu’ils regardent les vidéos de spectacle que nous avons fait au Zénith ou au Bataclan, ils imaginent qu’on a un public énorme et ont peur de ne pas pouvoir nous accueillir. C’est pour cela que demain, on va faire un enregistrement du concert acoustique à l’Antidote, pour montrer qu’on peut aussi joue dans des petites salles. A Bordeaux il n’y a pas beaucoup de lieux comme ce bar où on peut voir jouer tous les groupes de tous les genres. Parfois bons, parfois mauvais, mais c’est ça la diversité.
– Igor : La restructuration du centre-ville a opéré des déplacements de population, comme par exemple celui des étudiants vers la périphérie, et les banlieues, et du coup le centre-ville se veut plus calme et sans bruit. Donc les lieux de concerts disparaissent.
– Mauro : Même le Bootleg, qui était le lieu cool où voir des groupes jouer a dû fermer provisoirement. Il reste les grandes salles, et pour moi, la plus correcte est le Krakatoa de Mérignac, au niveau de tout : du son, de l’accueil fait aux artistes, des programmations. Notre rêve, c’est de remplir le Krakatoa. On s’est rendu compte que la vente des albums, c’est mort, sauf pour les grands groupes. On a eu 5 000 pressages de Cd, et en 4 ans, on a du en vendre 1 000. Tout le reste est parti en cadeau aux amis, aux radios, aux organisateurs de festival…Par contre depuis deux ans et demi que nous avons débuté le téléchargement gratuit de nos albums sur notre site, on a comptabilisé 17 000 téléchargements d’album.
On ne peut pas vivre de la vente des Cd. D’autant que les jeunes générations n’ont plus du tout la culture de l’achat de Cd : tout se télécharge. Donc nous, on veut jouer pour toucher les publics. Pour revenir aux gros concerts que nous avons fait, c’était sur des coups de chance, comme par exemple quand les Shaka Ponk nous ont invités à faire la première partie de leur tournée pour une dizaine de dates en 2012-2013. C’est à cette occasion que nous nous sommes liés d’amitié avec eux, et cela nous a aussi permis de mettre un pied dans l’industrie française du disque. Mais on continue avec l’autre pied dans l’underground, à fond !
On aime jouer dans les petits lieux, les petits bars, où on peut prendre le temps de discuter avec les gens et d’avoir des rapports humains. Souvent dans les gros festivals, on subit une dynamique stressée, et l’ambiance est assez impersonnelle et hypocrite. Alors que quand on part jouer, par exemple à la campagne dans un petit bar-tabac, c’est plus sympa et authentique. La campagne, c’est là que se trouvent les vraies « tribus » françaises. Une fois nous avons joué dans un bled paumé dans la montagne, pas loin de la frontière italienne, en pensant que personne ne viendrait, et c’était noir de monde. Parce que dans ces coins, où il ne se passe rien, dès qu’un événement a lieu, tout le monde se prévient, communique, s’invite, s’entre-aide. Les gens sont très solidaires. On fait aussi des concerts chez l’habitant. C’est important pour nous. J’aime beaucoup me rapprocher des gens, parce que ce sont eux qui rendent possible un projet artistique. Ce sont les gens qui t’écoutent, achètent tes disques et parlent de toi. On ne gagne pas beaucoup d’argent, mais on connaît presque toute la France, et cela créé un cercle et un réseau de gens qui nous suivent. Pour nous, l’objectif de fêter dix ans d’existence est atteint, et désormais tout ce qui peut nous arriver, c’est que du bonheur ! D’ailleurs, dix ans, c’est souvent le cap qui valide un groupe aux yeux de l’industrie du disque, parce que les dirigeants de labels savent que quand un groupe a 10 ans, cela signifie que les membres peuvent se supporter, et que la formation ne va pas splitter à la première galère. Cela les met en confiance. C’est souvent pour cela que les groupes qui débutent perdent espoir et se découragent, parce qu’ils ne parviennent pas à trouver de dates de concert, ni s’imposer dans les festivals. Notre optique, c’est de tisser des liens d’amitié avec d’autres groupes qui ont la même démarche que nous, et de s’entre-aider pour trouver des lieux où jouer.
– Igor : On a tous des formations musicales, pas forcément très pointues, mais on joue des instruments depuis qu’on est petits. Il faut dire qu’on a commencé dans la rue : on avait 20 ans, on parlait mal français, et on jouait ensemble pour gagner un peu de tune. Et puis nous sommes des étudiants d’art, donc on s’exprime via plusieurs disciplines artistiques, ce qui fait qu’on ne se consacre pas toujours à la musique. Cela prend beaucoup de temps de faire les choses par soi même, mais on y prend beaucoup de plaisir.
– Mauro : Et c’est aussi cette pluridisciplinarité qui nous rend autonomes : on n’a pas besoin de faire appel à l’aide de personnes extérieures au groupe, pour réaliser nos affiches, pochettes d’album, etc…
On arrive à tout faire, et du coup ça livre un univers assez particulier. On crée aussi nos instruments parfois, comme ce que tu vois là : c’est un tambour que tu portes comme un sac à dos, avec cymbale, tombasse et caisse claire, et une corde reliée à ton pied pour mouvoir les instruments et danser en jouant. On l’a fabriqué. Là, on a aussi créé l’affiche de notre tournée, avec en photo tous les souvenirs qu’on a ramenés de nos voyages.
– Igor : Le drapeau que tu vois derrière, c’est le drapeau unifié de tous les peuples indigènes des Andes. Bon, on vient juste de prendre contact avec un tourneur qui nous a trouvé une date. Parce qu’au bout d’un moment, c’est fatiguant de devoir te vendre. Y a des gens, dont c’est le métier : ils ont les structures, le réseau de contacts, et les organisateurs de festivals ont confiance en eux. Pour un groupe, c’est toujours problématique de se vendre soi-même. Cela fait un peu vaniteux, et en plus ça ne fait pas du tout pro, voire charlatan. On se demande « qui c’est ce mec qui vante son propre groupe ? ».
– Mauro : Quand j’appelle pour le groupe, je suis obligé de me faire passer pour quelqu’un d’extérieur. Je me présente comme chargé du département des groupes d’Amérique latine du label.
C’est pour cela qu’avec Guakismo Prod, nous avons opté pour l’édification d’un réseau solidaire d’artistes. Par exemple à Paris, nous avons un groupe « frère », Inti [site : http://intiska.com/], qui nous fait jouer quand on va là bas, et nous les accueillons de même ici. C’est un groupe de Ska Inca, dont le chanteur est franco-péruvien, qui créé une musique fusionnelle très intéressante. Nous sommes très amis. Nous fonctionnons ainsi avec d’autres groupes, comme les Shaka Ponk. A Tokyo, les programmateurs ont mis leurs studios à notre disposition pour une somme dérisoire. C’est un réseau qui fonctionne sur des valeurs de solidarité et d’échange. Ma famille au Chili ne comprend pas comment cela se fait que je vis en France depuis 10 ans et joue dans un groupe qui marche, et que je n’ai pas d’argent. Mais c’est parce que mon fond de commerce, ce n’est pas un compte en banque. C’est de savoir que je peux arriver à l’aéroport dans n’importe quel pays et qu’il y aura toujours quelqu’un pour m’attendre et m’amener dans un endroit pour jouer. Y a des gens riches qui payent pour ça. Nous, non.Et tout ce qu’on a gagne, nous l’investissons dans les projets du groupe ou du label pour moitié, et l’autre moitié va au soutien des familles de prisonniers politiques Mapuche au Chili. Nous avons décidé d’aider cette cause, car ce sont nos origines, et puis il y a beaucoup d’injustices liées au conflit Mapuche.
Vos engagements, justement. Parlons, en ! Etes-vous vous-mêmes de culture Mapuche ?
– Igor : On a des origines Mapuche, mais nous sommes métissés, super métissés, à fond ! On est des super bâtards !
– Mauro : Oui, on est des méga bâtards ! C’est aussi peut-être pour cela que notre musique marche, parce que c’est un métissage un peu inédit, entre rock et rythmiques sud-américaines.
Mano Negra a été le premier groupe à réussir à avoir un spectre planétaire avec ce genre de musique. Manu Chao a pu aller partout ; il est connu aussi bien en Amérique latine, qu’en Afrique, en Asie et en Europe. Evidemment, nous aussi, on tourne pas mal. Mais on n’a pas la même ampleur. On fait les tournées à la machette ; eux les font aux 5 étoiles ! Ceci dit, y a des gens qui ne nous aiment pas, parce qu’ils nous disent trop engagés. Mais on ne peut pas rester neutre, avec notre histoire politique : Igor est né ici, parce que ses parents ont été exilés par Pinochet, Miguel ne vit plus au Venezuela, car le pays est quasiment en guerre civile. Je n’aime pas les politiciens, mais ça ne veut pas dire qu’on est apolitiques. Au contraire ! C’est notre génération qui dans 20 ans aura le pouvoir sur la planète ; donc c’est aujourd’hui qu’il faut changer les mentalités.
– Igor : la vie nous a donné la chance de pouvoir monter sur scène, donc ce n’est pas pour raconter des histoires de cul. Il faut en profiter pour transmettre un message. Y a des artistes qui savent écrire des chansons d’amour triste ; ce n’est pas notre créneau. On n’est pas en déchéance affective : à la maison, ça va. Alors on regarde ce qui se passe autour.
Au sujet de nos origines, c’est moins une question de préoccupation communautariste que de justice. Les gens ne se rendent pas compte à quel point nous sommes tous, en Amérique latine, des descendants d’Indiens ; nous sommes des Créoles en fait. Les Mapuche du Sud nous appellent « winkas » (ou « houincas »), ce qui signifie « étranger », car nous ne sommes pas pur sang. Mais il faut savoir que les Chiliens ont très mal traité les Mapuche, qui sont pourtant leur sang. Toute l’Amérique latine renie ses origines. Pour nous, il s’agit de rappeler que notre culture vient aussi de là. Le continent est en proie à une américanisation culturelle. Au Chili, plus tu es blanc, plus tu réussis.
– Mauro : à l’école, j’étais le plus black de tous, le « negro ». Je suis allé dans une école très bourgeoise, où tous les autres étaient blonds et blancs. C’est l’élite politique et économique du pays. Regarde dans les sénats et les assemblées de n’importe quel pays d’Amérique latine : y a pas un mec mat de peau. On comprend mieux comment le pays est vendu aux businessmen étrangers.
– Igor : pour ces gens là, on est des inutiles. Il faut faire disparaître les indigènes qui ne servent à rien. Il faut faire fructifier le pays économiquement, même si ça pollue la nature, peu leur importe ! On impose un modèle économique et un mode de vie aux populations indigènes, sans leur demander leur avis. C’est très violent. De quel droit ?
Les Chiliens sont d’une ignorance pas pensable avec leur histoire. Ils ne savent pas comment les Indiens ont été spoliés de leur terre. C’est la même chose que ce qui s’est passé au Canada, où on a donné des hectares de terrain à des propriétaires pour les exploiter, sans se soucier de savoir si des gens vivaient déjà dessus. Et quand les indiens arrivent à récupérer des terres, qu’elles soient polluées et inutilisables ou même encore fertiles, et qu’ils ne les exploitent pas, les Chiliens réagissent en traitant les indiens de fainéants, incapables de travailler leurs terres.
Mais l’exploitation, ce n’est pas dans notre culture. Dans notre vision des choses, on ne pille pas la terre. On la laisse vivre et donner ses fruits elle-même. On la respecte et vit en communauté avec. « Mapuche » signifie « homme de la terre ». « Mapu » signifie « terre » et « che » homme. C’est de là que vient le nom de « Che Guevara » : ça veut dire « le mec Guevara », car il était argentin, et l’Argentine, comme le Chili, est située en territoire Mapuche. Les Chiliens ne comprennent pas qu’on puisse avoir des forets d’arbre et ne pas en profiter pour les couper et les vendre, car dans leur mentalité, il faut tout le temps tirer profit de tout et faire du fric. Mais ces arbres, on veut les protéger ; on ne veut pas les couper.Pour le peu qu’il en reste, car toute la foret native a été exterminée.
Ils avaient un arbre, une sorte de pin, qui donnait un fruit, à partir duquel on fabriquait la farine. Cela servait de base alimentaire. Tu comprends ? Une façon d’exterminer un peuple, c’est aussi exterminer ce qu’il mange. Ensuite ne pouvant plus recueillir ce fruit, les Mapuche ont du acheter des farines étrangères auxquelles leur système intestinal n’était pas adapté, et les maladies inédites ont commencé à se répandre dans la population.
– Mauro : J’ai retrouvé des amis d’enfance qui sont devenus fascistes… il n’y a que la prospérité qui les intéresse. Toutes les conversations tournent autour de l’argent, du profit à tirer de ceci ou cela. C’est triste. Mais il se passe aussi des trucs cool. Je vais te raconter un cas spécial d’un jeune homme, qui est mort l’an dernier. Il était le fils d’une richissime famille du Chili, propriétaire des laboratoires médicaux et de terres en territoire Mapuche. Et ce fils était punk. Il a falsifié la signature de son père pour faire des dons aux Mapuche, et il a créé des centres sociaux. Il est mort l’an dernier. Et après sa mort, sa famille, qu’il avait pourtant bien couillonée, a décidé en sa mémoire de continuer ce projet, car ils avaient compris que c’était nécessaire. Et ce type là, est l’unique « houinca » qui a eu un enterrement Mapuche avec tous les honneurs comme un vrai Mapuche, et tous les chefs des communautés ont envoyé un représentant à ses funérailles. Nous, on n’a pas la possibilité économique de faire des choses comme ça. Mais on peut monter sur des grosses scènes et informer les gens. Notre condition d’étranger nous porte aussi à réfléchir sur certaines injustices. Mon enfant va naître bientôt en France, et il ne sera pas français, parce que le droit du sol n’existe plus. Il devra attendre ses 13 ans pour demander la nationalité française, s’il la désire. C’est à ce sujet que nous avons écrit la chanson « FOC (Français d’origine Contrôlée) » qui a été enregistrée avec Bertrand Cantat. Il y a quelques temps, j’ai lu un article sur le fracas de l’éducation nationale, et l’auteur arrivait à la conclusion que c’était à cause de l’ethnicité des élèves. Mais évidemment !Comment veux-tu que des enfants se sentent intégrés, si on leur refuse la nationalité et les papiers ? Cela créé un malaise spirituel important.
–Igor : On renvoie les gamins sans cesse à leur non appartenance à la France, et on leur reproche de ne pas se sentir français. Il y a un racisme de plus en plus marqué, qui s’appuie sur des résidus de colonialisme encore gravés dans l’inconscient français. « Bamboula et banania », c’est pas si loin que ça…
Et la cause environnementale ?
– Mauro : Au Chili, on s’est retrouvés confrontés à la catastrophe. Le tremblement de terre s’est produit à la fin de notre tournée. Nous avons failli mourir : on était en train de traverser un pont en bus, et le pont s’est écroulé juste après. On a juste eu le temps de sortir. Ce n’était pas notre heure ! Durant notre tournée nous avons fait 26 concerts, et il y a eu 14 ou 15 lieux de concerts qui ont disparu lors du séisme. C’est depuis que l’engagement de nos textes est beaucoup plus réfléchi. Cela nous a conscientisés sur certains problèmes liés à la destruction de l’environnement, et les injustices faites aux populations indigènes dont on détruit le lieu de vie.
– Igor : Au Japon aussi, nous avons été confrontés au tremblement de terre. Au Mexique, c’était une éruption de volcan qui a eu lieu durant notre tournée. On porte malchance !
– Mauro : Et puis l’an dernier, un éclair n’est tombé à 20 mètres de nous.
Bon, ben je vais vous laisser… (rires). Je me souviens du concert de soutien pour récolter des fonds pour le Chili que vous aviez organisé en 2010 avec le groupe Eiffel.
– Igor : C’était pour participer à la reconstruction d’une ville qui a été l’épicentre du tremblement de terre au Chili, Cobcquecura.
– Mauro : Il faut savoir que cette ville, en plus d’être la ville la plus frappée par le séisme (elle a été détruite à 85%), est quasiment la seule commune qui se révolte contre l’acharnement industriel qui est en train de détruire la nature au Chili, et tente de défendre et préserver l’environnement. C’est un peu le « village gaulois » du Chili. Ma famille a une ferme à 1h au sud de là, donc nous connaissons bien les habitants. On a été très touchés, et on voulait faire quelque chose. On en a parlé à Didier [NDLR : Didier Estèbe, dirigeant de la salle de spectacle Le Krakatoa à Mérignac, près de Bordeaux], qui a tout de suite été d’accord, et les groupes Eiffel et Les Hyènes nous ont apporté leur soutien en venant jouer gratuitement. C’était blindé ! On a pu envoyer 14 000 euros pour la reconstruction d’un internat, et j’y suis passé il y a 3 mois : il était construit.
– Igor : Nous avions annoncé le concert lors du festival des Terres Neuves à Bègles, quelques jours auparavant, où nous jouions avec Eiffel [NDLR voir chronique du concert d’Eiffel aux Terres Neuves parues dans un numéro de la revue en 2010] . Et comme Bertrand Cantat était monté sur scène pour interpréter 3 chansons avec Eiffel, les gens avaient commencé à amalgamer un peu tout, et très vite la rumeur a circulé que Noir Désir se reformerait lors de notre concert de soutien à venir au Krakatoa. Donc pour démentir, Bertrand a été obligé de s’exprimer et a décidé qu’il viendrait participer au concert, tout en expliquant bien que cela ne concernait pas Noir Désir.
– Mauro : L’idée était de faire un concert familial, abordable (entrée à 10 euros), avec les groupes les plus importants de Bordeaux, Eiffel et Les Hyènes, pour que ce soit sympa et que cela marque les esprits pour conscientiser les gens au sujet la catastrophe. Bien sur cette contribution n’a été qu’un grain de sable, mais c’était cool de pouvoir faire cela, en plus avec des amis qui viennent jouer gratuitement, et toute l’équipe technique derrière qui s’investit bénévolement. Ca fait chaud au coeur. Et puis l’évènement a marqué l’histoire de Guaka dans la ville, et le sud-ouest ; à partir de là, nous avons accédé à une certaine popularité. Moi, j’adore vivre ici, dans cette ville, ce pays. En plus c’est la capitale mondiale du vin, faut pas déconner ! C’est pour cela que je ne comprends pas les gens qui critiquent la France. Et ce n’est pas du fascisme de dire cela. C’est juste du bon sens : si tu n’es pas bien à un endroit, vas voir ailleurs. Notre musique n’est pas une musique amère, car il y a tellement déjà de gens malheureux, de choses tristes. Pourquoi créé en plus une musique dépressive ou mélancolique ? Il faut chercher la joie de vivre. Nous avons un message positif
Selon vous, dans quel pays avez-vous le public le plus nombreux ?
– Mauro : Je pense que c’est quand même en France. Au Chili, et au Mexique et au Japon, c’est pas mal non plus. Et puis on a fait une première tournée en Europe du Nord pour se faire connaître un peu, repérer les lieux, prendre des contacts. La seconde tournée sera pour arroser les plantes, comme on dit, et normalement la troisième pour récolter les vendanges. Ce qui est drôle, c’est qu’ici, en France, les gens viennent nous voir, pour voir un groupe chilien, et quand on tourne au Chili, les Chiliens nous voient comme un groupe français, même un groupe bordelais, ce qui nous donne un quelque chose d’attrayant, car le Chili ayant une forte production de vin, Bordeaux y jouit d’un prestige non négligeable. Parfois on part dans des pays qu’on ne connaît pas, sans contact autre que des promesses de concert et sans même avoir la garantie que le contrat sera honoré. Comme on ne connaît parfois ni la langue du pays, ni le système juridique, il est impossible de s’assurer de la validité d’un contrat à l’avance. A partir de là, on prend le risque de partir à l’aventure, ou on ne le prend pas. Nous avons décidé de le prendre.
Y a une évolution très nette de votre musique, notamment à partir du second album, « Guaktron », dont le son est bien plus travaillé. Quels changements ou rencontres vous ont poussés ?
– Mauro : Notre premier album n’était pas très bon. Pas minable, mais assez médiocre, à tous niveaux : textes, compos, enregistrement. Et puis nous avons eu des soucis avec l’ancien chanteur, qui avait mis tous les droits à son nom avec statut d’auteur, compositeur, interprète, producteur… et il est parti à Paris. C’est là que le groupe a failli se dissoudre. Cela nous a mis en difficulté, car nous ne pouvions plus jouer nos propres chansons, sous peine de devoir le déclarer et lui verser une somme. Mais on s’est dit que c’était un mal pour un bien, d’autant que nous n’adhérions pas à sa vision de ce que Guaka devait faire, qui se résumait à jouer de la musique traditionnelle pour touriste ou vieux colon, façon banania et pépito. C’est très insultant pour notre culture ; c’est montrer au monde qu’on continuent à être des indiens non civilisés. On n’était pas d’accord avec ça. On n’avait rien à faire dans ce créneau. Tout petits, on n’écoutait pas de Salsa. Déjà, ça ne vient pas d’Amérique latine ; ça vient de New York. Mais ce qu’on voulait faire, c’est du rock. Pour le second album, on a eu la chance de connaître un personnage qui a été très important pour nous : Romain Humeau du groupe Eiffel. Et beaucoup de chance, car juste à ce moment, il avait finit un projet, et était un peu en stand by, lui qui est tout le temps en train de travailler sur quelque chose. On ne le connaissait pas ; c’est notre ami commun Bertrand Cantat qui nous a présentés. Il nous a dit « ce mec, il fait un travail d’enfer. C’est avec lui qu’il faut le faire ». Par contre Romain avait prévenu que si notre musique ne lui plaisait pas, il ne le ferait pas. On a donc été le voir avec notre Cd. Il a bien kiffé, et a fait un super boulot de mixage. Et puis on l’a masterisé chez Globe Audio, qui est le plus gros studio de mastering du Sud Ouest. Donc le premier album avait été enregistré au studio Berduquet, le second à Rock et Chanson, puis mixé au studio des Romanos [NDLR studio construit par Romain et Estelle Humeau au domicile du couple] par Romain, et le troisième encore chez Berduquet, à Paris et Tokyo pour une chanson, et les masters ont été réalisés au Canada à Lennoxville. Le prochain sera enregistré chez un pote, et si tout va bien, on fera le mixage avec Chinois [NDLR « Chinois »ingénieur du son du Krakatoa, une véritable légende vivante à Bordeaux, ayant travaillé avec nombreux groupes et artistes]. Par le passé, on a souvent perdu du temps et de l’argent, car on se payait des endroits chers pour enregistrer, et on n’avait pas forcément l’expérience de faire les choses vite et bien. Là on va essayer de s’en tirer avec le minimum de frais possible. Et on a lancé une souscription publique via Ulule. C’est par le groupe Datcha Mandala, avec qui nous avons partagé des scènes, qu’on a connu Ulule. Ils se sont servit de ce fonctionnement pour financer leur production, et nous nous y sommes intéressés. La démarche est intelligente, car interactive, et en plus cela fonctionne. Maintenant la vraie question, c’est : où peut-on amener notre musique, en la faisant évoluer ? Est-ce qu’on serait capable, par exemple de faire une chanson comme Pink Floyd ? Hier on a composé une musique surf pour notre prochain album. On a fait aussi un rock mélangé au Guawanco, une musique cubaine, un heavy metal pour rigoler, un bon vieux rock…et ça continue en recherche
– Igor : C’est une recherche perpétuelle. Il faut être curieux, écouter les autres, voir si on peut s’approprier certaines de leurs techniques par exemple et les intégrer à notre musique. On a une identité, mais pas de style défini. Certains groupes se mettent des étiquettes. Nous, on fait de la musique. On ne s’enferme pas dans un genre.
– Mauro : Pour notre prochain album, on va collaborer avec des musiciens internationaux qu’on aime beaucoup. Là on attend un ami chilien qui joue de plusieurs instruments, notamment de la harpe et de la guitare chilienne qui a un son très typique, différent de celui des guitares qu’on trouve en Europe. On est content de pouvoir travailler avec des personnages comme lui, car c’est ce qui va nourrir notre avancée artistique. On va inviter des artistes internationaux connus dans leurs pays, car ce sont des musiciens qu’on aime et qui vont pouvoir apporter quelque chose de fort à notre musique, et aussi peut-être par leur popularité donné un coup de pouce pour faire connaître Guaka dans leur pays. Ici, les collaborations qu’on a faites avec Bertrand Cantat et Shaka Ponk ne nous ont pas forcément donné plus de lisibilité, car nous n’avons pas pu en informer le public au niveau national, donc les gens ne sont pas forcément au courant.
– Igor : Aujourd’hui tout est pareil : t’allumes la radio, y a pas un truc qui ne ressemble pas à un autre. Nous on croise plein de super groupes en tournée ; on s’échange des disques, on achète leurs albums. Et ce sont d’excellents groupes, très créatifs, mais tu ne les entends jamais à la radio. Maintenant on arrive à dix ans d’existence, et on voudrait commencer à gagner notre vie avec notre musique, sans être obligés de trimer à côté. Il y a beaucoup de travail invisible derrière un groupe, beaucoup de temps passé à composer, répéter, travailler la musique.
– Mauro : L’idée c’est de pouvoir produire au moins un salaire minimum pour chacun. C’est très dur, parce qu’on a choisi de ne pas dealer avec les gros labels. Bien sûr on a eu des propositions, mais pourquoi les labels veulent-ils qu’on signe avec eux ? Pour nous acheter ! Pour gagner 85% du fruit de notre création, et nous 5%, le reste partant en taxes diverses, et nous posséder. Pour que toutes nos journées leur appartiennent et qu’ils décident avec qui on doit jouer, où on doit jouer, combien de temps on doit y rester et ce qu’on doit exprimer ou pas. On veut rester libres. Si on veut faire un concert pour une cause humanitaire, des collaborations avec des amis, se poser à un endroit quelques temps pour connaître les habitants, on le fait. Les Shaka Ponk nous disent envier notre liberté. Il faut défendre la liberté. On ne gagne rien. Par contre, on a déjà traversé 25 pays. Je n’aurais pas pu faire ça avec n’importe quel autre travail. Notre but est de mener notre projet artistique où on veut, pour le plaisir des gens, et aussi pouvoir stabiliser notre vie. Donc Ulule est un gros coup de pouce moral, car pour une fois l’argent pour financer nos albums ne sort pas de notre poche (on a déjà investi 21 000 euros pour 3 albums), et c’est très gratifiant que les gens puisse être eux-mêmes en quelque sorte les producteurs de notre album. Cela montre que le public te soutient et te fait confiance. On squeeze les intermédiaires ! Et il y a des contreparties : des cadeaux pour les gens qui nous aident. J’ai écouté l’histoire d’une chanteuse américaine que son label a jeté bien qu’elle ait vendu 25 000 exemplaires de son album, car pour le label, ce n’était pas suffisant. Elle a lancé une souscription via Kisskissbankbank, qui est un autre site fonctionnant comme Ulule, et a récolté les fonds nécessaires pour financer son album. Il y avait eu 25 000 donateurs pour l’aider : en gros cela signifie que les 25 000 personnes qui avaient acheté son premier album ont voulu financer le second ! Nous prévoyons d’enregistrer un album, et peut-être deux sur juillet/août, le mixer en septembre et le sortir en téléchargement gratuit en novembre. Mais les gens qui auront participé au financement sur Ulule l’auront eu en cadeau au préalable. Parce que ce sont quand même eux les producteurs !
– Igor : Il y a des groupes comme Radiohead qui se sont joué de leur label. Lorsqu’ils sont arrivés à terme de leur contrat avec le label, ils ne l’ont pas renouvelé, et maintenant leurs albums sont en vente directe à prix libre via un store sur leur site internet. Et les gens donnent en moyenne 15 ou 20 euros par album. Evidemment leur label leur a permis au début de se faire connaître et de sortir du lot, mais ils s’en sont servis intelligemment. C’est pour cela que je ne crache pas non plus sur l’idée de travailler avec un label. Mais ce sera à nos conditions, et selon notre contrat. Quand on a dix ans d’existence, on est plantés avec nos convictions. Je pense qu’aujourd’hui, on ne se ferait plus avoir. On serait capables de leur dire « non ».
[NDLR retour de Miguel, parti cherché une basse des années 50 qu’il avait laissé à réparer]
– Miguel : C’est une basse que j’ai achetée à New York à des amis pour l’équivalent de 20 euros. Pour cela aussi c’est cool d’avoir ce réseau de connaissances grâce à la musique : on se passe le mot quand on veut acheter ou vendre un instrument entre amis d’amis d’amis …y a toujours quelqu’un qui connaît quelqu’un.
C’est ça, le réseau humain de Guaka. Formation s’étant forgé au fil des ans et au grès des scènes internationales écumées, une réputation de groupe scénique sanguin et explosif, Guaka a donc pris le parti de s’impliquer dans l’élaboration de nouvelles créations de manière plus réfléchie. Un désir d’évolution et de peaufinage guidé par le goût de l’échange et la curiosité qui ont toujours constitué le fil conducteur de sa démarche singulière.
Singulier également le choix professionnel des 3 garçons de privilégier la liberté d’expression par rapport au confort matériel que pourrait leur apporter l’assujettissement aux gros labels de l’industrie du disque. On comprend parfaitement en quoi le fonctionnement interactif de Ulule qui permet aux artistes d’être directement subventionnés par leur public, sans intermédiaire traditionnels, coïncident avec les intérêts et les valeurs du groupe. On peut participer à la souscription en cours pour soutenir financièrement la réalisation du prochain projet de Guaka jusqu’au 10 mai. C’est là : http://fr.ulule.com/guaka-album/
Site du groupe : http://www.guaka.fr/
Facebook : https://www.facebook.com/guaka.chile
Miren
Ouf ! ils ont des choses à dire ! J’aime bien leur démarche et les causes qu’ils défendent , ils méritent d’être aidés, . .
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Je les ai vu en concert hier soir à Créon (33), et j’en suis revenue avec un grand soleil au coeur! c’est un groupe très humain, avec un propos utile et nécessaire et une démarche qui ne l’est pas moins. la souscription Ulule est en cours jusqu’au 8 mai : n’hésitez pas à les soutenir!
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C’est fait !
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Merci Danièle! Merci pour eux.
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Des nouvelles : la souscription Ulule a permis de récolter 5243 euros, soit 174% de l’objectif, pour aider Guaka a financer son projet artistique. Le groupe est actuellement sur les routes pour une tournée qui les conduit en Slovénie, Autriche, Allemagne, Pays Bas, France et plus. Rendez-vous sur leur site ou facebook pour connaitre les dates. Parallèlement il y a une autre souscription en cours pour financer un documentaire sur le groupe ; si on veut les aider : http://fr.ulule.com/guakas-documentary/
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