Vendredi 30 Novembre 20h30 au DEUX PIECES CUISINE Le Blanc Mesnil
Didier BOYAUD
par Hum Toks / E.5131 / Eric SABA
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« C’est un tourbillon qui a déboulé sur la scène du Théâtre mercredi ! Nathalie Miravette, comment dire… Elle est facétieuse, talentueuse ( et comment ! ) blagueuse, froufrouteuse, élastique, électrique, éclectique, pianiste, accordéoniste, guitariste ( sur alto), fil-de-fériste, émouvante, attachante, bousculante, clair élocutionniste, sacrée voixiste, autre-époquiste … Ah bon ? Ca n’existe pas ? Rien d’étonnant à ça, cette fille, elle est d’ailleurs ! Nathalie Miravette, un talent fou ! Avec ou sans couettes, elle est très chouette ! » C.Carpentier (La Voix du Nord)
De Nathalie Miravette, Bernard Joyet dit :
« Espiègle, féroce, douce, malicieuse, diabolique, inquiétante, sensuelle, elle quitte le piano mais reste virtuose. Alchimiste, orpailleuse, tout ce qu’elle touche se transforme en pépite ou en soie. Elle réinvente les chansons. Tellement à sa manière qu’on croit qu’elle les a écrites. Capable de vous dire les pires horreurs à l’oreille… vous les percevez trop tard… déjà elle vous touche en plein coeur et vous tire une larme. Elle jaillit, esquisse un pas de danse, vous embarque, vous surprend, vous ne verrez pas le temps passer. Vous serez happés par une tornade. Nathalie Miravette accompagnée par Jennifer Quillet ou Antoine Sahler, dans son spectacle « Cucul, mais pas que.. ». Une interprète, une comédienne, une amie. Pas seulement un tour de chant débridé, un beau spectacle. Magique, riche, intelligent, touchant. C’est très fort. J’aime. »
Tarif normal : 22 € – Tarif réduit1: 17 €*- Tarif réduit 2: 12€**
*groupe à partir de 10 personnes et + de 60 ans (uniquement par téléphone)
** étudiants et demandeur d’emploi
Placement libre assis
En vente sur notre site
Pour la première fois Nathalie Miravette sera la vedette de deux soirées à l’Européen, On l’a connue pianiste plutôt sage accompagnant Allain Leprest il y a quelques années, et puis allez savoir pourquoi l’esprit de dévergondage artistique vient aux filles, la chrysalide est devenue un papillon tourbillonnant qui se serait nourri des expressivités explosives de Marie Dubas, des charmes subtils de Cora Vaucaire, et des fantaisies délurées de Betty Boop.
Un cocktail exceptionnel. Accompagnatrice devenue partenaire de scène à part entière de Bernard Joyet, elle emballe le public dans ses tours de manège et sa farandole de personnages voltigeant du burlesque malicieux à l’intense romantique, passionnel. Et ses deux acolytes de scène ne dédaignent pas d’entrer dans les jeux et les frasques musicales de ce charmant ludion.
Il y a deux spectacles prévus, et étant donné le bouche à oreille en feu d’artifice qui suit ses apparitions en scène, soyons prévoyants, il n’y en aura pas pour tout le monde, qu’on se le dise !
« Cucul, mais pas que.. »
Avec Jennifer Quillet et Antoine Sahler au piano, mais pas que !
Dimanche 25 Novembre à 17H
et lundi 26 Novembre à 20H
avec une première partie : Pierre Lebelage (Production Tacet)
Hi Cowboy c’est le projet de Syrille du groupe Catleya. Un EP sorti le 9, un rendez-vous le 22 novembre à la Maroquinerie, entre autres. Rencontre avec le grand manitou de cette French minimal pop.
Hervé Pizon : Syrille, parle-nous de Hi Cowboy : Comment passe-t-on du rock de Catleya à la pop minimaliste de Hi Cowboy ? Envie de légèreté ?
Syrille : Le rock, je lui ai consacré toute mon énergie de puis que je fais de la musique, c’est ce qui me correspond le plus comme mode d’expression. Je n’ai pas l’impression de tant changer si ce n’est que j’en explore effectivement le versant léger… Je me suis replongée dans des influences qui étaient toutes personnelles, qui appartiennent au début de mon adolescence. L’apparente simplicité, le dénuement et la légèreté sont pour moi des champs très ouverts de création. J’ai eu le sentiment d’y avoir plus de place.
HP : On sent évidemment ces influences – je pense à Taxi Girl notamment – complètement assumées, assimilées, digérées et pourtant ça sonne comme un truc nouveau dans le paysage musical. Alors qui est ce cowboy, comment le définirais-tu musicalement
S : Le temps a fait son œuvre, quand je me réfère à Taxi Girl, c’est à ce lui que j’écoutais à l’époque, avec les oreilles de l’époque, je ne réécoute presque plus aujourd’hui ou de façon très ponctuelle. C’est donc avec le souvenir que j’en ai et les émotions qu’il m’en reste que bricole maintenant. Tout comme le Cure des débuts, je m’en suis gavée ado et aujourd’hui ça fait partie de moi, d’où peut-être la distance. Mais c’est sur ce type d’émotion que je me concentre, une sorte de sécheresse, de distance qui me fait du bien. Et pour moi ça donne ce genre de musique. De plus un personnage est apparu, très bizarrement un cowboy, son éloignement de moi m’a plu.
HP : Alors, un cowboy armé, pour un brin de fille, c’est un plan à la Calamity Jane ?
Oui pourquoi pas, Calamity Jane était une fille qui allait là où on ne l’attendait pas… il lui fallait forcément quelque carabine… Cela m’a fait m’interroger sur la puissance, la force traditionnellement attribuée à un sexe et qui fait toujours peur quand elle change de camp. Tout ça a donné matière à une chanson qui s’appelle Carabine. Donc les armes sont présentes sur les images juste pour le symbole. Sur scène je dégaine concrètement un micro.
HP : Alors toujours dans l’iconographie west et son attirail, Cheval est un titre qui se joue aussi de ces codes ?
Oui, les codes sont tellement forts qu’ils sont intéressants si on joue avec. C’est le titre de travail de Cheval (cowboy song) qui m’a amenée à l’idée du Cowboy, par la graphie du mot que je trouve très belle. Dans la chanson c’est l’attribut cheval qui fait le personnage, qui lui donne sa puissance. Sans ça il n’est rien… mettez le cowboy sur un âne…
HP : Alors, puissance oui et fragilité : c’est bien connu (cow)Boys don’t cry, alors pourquoi pleurent les filles ?
S : Ben voilà, j’avance sur la ligne de faille… Tout garder, ne rien lâcher, surtout pas ses contradictions. C’est quand même spécial : le premier morceau que je fais quand je me mets à la légèreté, il s’appelle Pourquoi pleurent les filles. Au début j’ai failli jeter le texte mais il a trouvé sa place. Parce que le chant est distancié.
HP : Hi Cowboy égraine les concerts à Paris depuis 6 mois, un EP vient de sortir cet automne. En passer prioritairement par la scène, ça signifie vouloir en découdre avec le public ? Ou encore parce que la musique est d’abord là pour Hi Cowboy ?
S : Elle est là sur scène comme dans toutes les étapes mais je veux être sûre que ce qui passe bien dans mon salon ou en studio quand je travaille les chansons passe aussi bien sur une scène. Pas de mauvaise surprise au moment de passer la rampe. Mais non, pas question d’en découdre, ces chansons je les ai faites pour moi, le public est cordialement invité à venir faire un tour dans cet espace, à y prendre du plaisir, mais je ne me roulerai pas parterre pour capter son intérêt.
Concerts:
22 novembre : La Maroquinerie
30 novembre : Le Truskel
21 décembre : Festival Les Aventuriers
Contact : http://www.facebook.com/pages/HI-COWBOY/126159134125182
Qui sait pourquoi la France, qui se targue d’être la patrie de la chanson réaliste, des belles lettres et des textes à sens, a pris depuis plusieurs années l’habitude de réserver un accueil massivement admiratif aux variétés commerciales venues du Québec tout en passant souvent à côté (ou pas loin) d’artistes québécois aux démarches artistiques plus intrigantes ou aux discours plus profonds?
Ne citons en exemple que les survoltés et très engagés Cowboys Fringants ou encore le très doué et féerique Pierre Lapointe, qui, bien qu’ils soient venus jouer sur les scènes de France et que certaines Radios (France Inter, Europe N°1) aient pris le parti de diffuser leurs titres, ne jouissent pas encore d’une reconnaissance populaire à la hauteur de leur travail.
Dans un autre registre (quoi que pas si éloigné), c’est avec l’album « Une lumière allumée », sorti en 2010, que j’ai découvert le jeune auteur compositeur interprète Alexandre Poulin, à l’accent délicieusement chantant. L’homme s’inscrit dans la tradition des raconteurs d’histoires, dont les longs textes nous embarquent dans des récits d’aventures, imaginés pour la plupart, mais tellement réalistes et humains, à l’exemple de sa chanson « Martin », légende urbaine rocambolesque qui raconte l’itinéraire d’un jeune truand mafieux plutôt sympathique, devenu par un concours de circonstances en quelque sorte « calife à la place du calife ». Mais on trouve aussi sur cet album des chansons plus intimes et confidentielles, dans lesquelles s’exprime une justesse de psychanalyse et de description des sentiments humains et des situations faisant immédiatement penser à Lynda Lemay. Et non sans raisons, puisque la chanteuse, elle-même émue par les chansons d’Alexandre Poulin a repris son titre « L’écrivain », et lui a proposé de faire sa première partie lors de plusieurs concerts (notamment en Belgique et en France)
Sur le plan musical, même s’il est souvent restrictif et idiot de cloisonner un artiste dans un genre musical unique, on peut considérer l’ensemble des chansons comme appartenant au monde de la chanson folk, inspiré des Leonard Cohen, Bob Dylan, Joan Baez et autres chanteurs protestataires nord-américains des années 60-70, sans que pour autant les textes s’enfoncent dans la mise en avant d’un discours purement politique, même si des idées humanistes les traversent. Aussi le choix instrumental des arrangements se porte avec habileté sur le travail des cordes (guitare, bouzouki, violons, violoncelle, basse), soutenues par des percussions et batteries, et agrémentées de sons xylophoniques et de clavier, de chœurs et d’instruments à vents (harmonica), comme sur le morceau apocalyptico-prophétique « Quand le soleil s’éteindra » ou encore l’étrange « Bipolaire », porteur d’un texte politico-psychiatrique, qui semble se rapprocher de l’univers de Pierre Lapointe. En somme Poulin présente une sorte de synthèse simple, mais efficace et utile des folk songs américaines et des chansons réalistes françaises.
Par ailleurs s’il est un morceau qui a retenu particulièrement mon attention c’est « La misère de Paris », récit à peine romancé de l’histoire réelle d’un ascendant d’Alexandre Poulin arrivé sur les terres du Canada au XVIème siècle, à bord du premier navire qui quitta la France, chargé de miséreux, partis quérir tout simplement l’espoir d’un avenir dans un pays qui leur ferait une place.
Outre l’amusement que peut susciter le fait que cinq siècles plus tard, un homme prenne sa guitare pour chanter la mémoire de son aïeul, cette chanson a au moins le mérite de nous remettre en place, nous Français, qui n’accueillons pas toujours comme il se doit l’étranger venu chercher refuge, et qui nous libérons trop facilement de notre mauvaise conscience d’un banal « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Alexandre Poulin nous rappelle qu’en des temps pas si lointains, la misère de France était bien contente d’être accueillie par le monde.
http://www.alexandrepoulin.com/
Miren Funke
On l’a connue pianiste plutôt sage accompagnant Leprest il y a quelques années, et puis allez savoir pourquoi l’esprit de dévergondage artistique vient aux filles, mais la chrysalide est devenue un papillon flamboyant qui se serait nourri des expressivités explosives de Marie Dubas, des charmes subtils de Cora Vaucaire, et des fantaisies délurées de Betty Boop. Un cocktail exceptionnel, il y a deux spectacles prévus, et étant donné le bouche à oreille en feu d’artifice qui suit ses apparitions en scène, soyons prévoyants, il n’y en aura pas pour tout le monde, qu’on se le dise !
« Cucul, mais pas que.. »
Avec Jennifer Quillet et Antoine Sahler au piano, mais pas que !
Dimanche 25 Novembre à 17H
et lundi 26 Novembre à 20H
Résa : 01 43 87 29 89
« C’est un tourbillon qui déboule sur la scène ! Nathalie Miravette, comment dire… Elle est facétieuse, coquine, irrévérencieuse, talentueuse ( et comment ! ) blagueuse, froufrouteuse, élastique, électrique, éclectique, pianiste, accordéoniste, guitariste ( sur alto), fil-de-fériste, émouvante, attachante, bousculante, clair élocutionniste, sacréee voixiste, autre-époquiste… Ah bon ? Ça n’existe pas ? Rien d’étonnant à ça, cette fille, elle est d’ailleurs ! Nathalie Miravette, un talent fou ! Avec ou sans couettes, elle est très chouette ! » ( La voix du Nord)
« Espiègle, féroce, douce, malicieuse, diabolique, inquiétante, sensuelle, elle quitte le piano mais reste virtuose. Alchimiste, orpailleuse, tout ce qu’elle touche se transforme en pépite ou en soie. Elle réinvente les chansons. Tellement à sa manière qu’on croit qu’elle les a écrites. Capable de vous dire les pires horreurs à l’oreille… Vous les percevez trop tard… déjà elle vous touche en plein coeur et vous tire une larme. Elle jaillit, esquisse un pas de danse, vous embarque, vous surprend, vous ne verrez pas le temps passer. Vous serez happés par une tornade (…) Une interprète, une comédienne, une amie. Pas seulement un tour de chant débridé, un beau spectacle. Magique, riche, intelligent, touchant. C’est très fort. J’aime. »(B.Joyet)
Et si vous ne pouvez pas être présent, parlez-en aux amis que vous aimez, ils vous en seront reconnaissants.
Norbert Gabriel
Que vive maintenant celui qui mourut deux fois.
Tous les hommes meurent. C’est une loi physique à laquelle échappent certains écrivains, dont l’œuvre grave son empreinte dans un patrimoine national ou universel, permettant à un peu de leur pensée de survivre. Serait-ce là le pouvoir suprême des mots? Redonner vie à ce qui n’est plus, et à ceux qui ne sont plus ; et les garder, d’une certaine façon, présents dans le monde des vivants.
D’autres tombent dans l’oubli, ou y sont délibérément plongés par la volonté politique d’un pouvoir qui a grand intérêt à faire disparaître toute trace de leur existence et de ce qu’ils ont à léguer.
Isaac Babel, victime des purges staliniennes, officiellement fusillé en 1940, après avoir avoué, probablement sous la torture, les crimes de « troskisme » et d’espionnage au profit de la France, dont il était accusé (il aurait livré des informations sur l’aviation soviétique à son ami André Malraux), fut de ces hommes de lettres ou d’art condamnés à mourir deux fois. Arrêté sur dénonciation d’un ex-dirigeant du NKVD (police politique de l’URSS), dont la femme avait été sa maîtresse, l’écrivain, considéré dans les années 1920 comme un auteur majeur de la jeune littérature soviétique, vit son œuvre interdite par la censure, et ses écrits confisqués; certains manuscrits n’ont jamais été retrouvés, bien que l’homme fut réhabilité officiellement en 1954 sous le gouvernement Khrouchtchev.
Les antagonismes et les tiraillements internes à sa personne et à son œuvre, et son écriture particulièrement imagée, font pourtant une figure riche et très humaine de cet écrivain voyageur, à la fois témoin et acteur des bouleversements d’une époque en train de détruire un monde ancien et s’apprêtant à en enfanter un nouveau.
Issu d’une famille juive aisée d’Odessa (Ukraine), de laquelle il reçu une éducation religieuse rigoureuse et le goût de l’érudition et des langues (russophone et yiddishophone, il connaissait également l’Ukrainien et maîtrisait le Français), Isaac Babel naquit à l’aube du XX ème siècle dans une région géographique et une période historique mises à feu et à sang par la multiplication des pogroms ; il échappa de peu à celui de Nikolaev (Ukraine) auquel il assista en 1905. Une enfance traumatisée par les crimes anti-sémites et marquée par le sentiment d’être témoin d’un monde en déclin et l’un des derniers porteurs d’un héritage en train de se perdre.
Ses Contes d’Odessa dressent un portrait pittoresque du microcosme juif de la ville cosmopolite de son enfance -pour donner une idée de la pluralité culturelle de la cité, on parle souvent d’Odessa comme de la « Marseille ukrainienne »-. Le recueil se compose d’une série de récits et d’histoires courtes, de scènes de la vie de tous les jours dans les bas-fonds de l’Odessa juive, de légendes de brigands, et se peuple de personnages hauts en couleur, appartenants à la paysannerie, au monde des artisans ou commerçants, ou encore à la pègre locale, de hors la loi, de filles de taverne, d’enfant des rues, d’agents de la police politique… Ces récits qui semblent mêler sans qu’on devine en quelle proportions le facta (rapport des faits) et le ficta (fiction ou mensonge) nous traînent et nous sèment entre vision mystifié des fantômes de l’enfance et vérité historique. Dans les Contes d’Odessa, qui constituent une plongée courte, mais concentrée dans un monde perdu, et méconnu ou oublié, on perçoit déjà le style d’un auteur influencé par des héritages littéraires multiples : admirateur de romancier français (Flaubert, Maupassant entre autres qu’il traduisit dans sa langue), Babel se nourrit également de la littérature russe (Tolstoï), et plus particulièrement juive russophone. Il s’agissait pour lui de restituer le sens d’une époque, en s’attachant à décrire des événements, à raconter des faits divers, les plus anodins soient-ils, en dépeignant des paysages et des personnages singuliers. Il disait avoir « un million d’histoires posées sur le cœur comme un crapaud sur une pierre ».
C’est sur les conseils de Gorki, qu’il rencontra à Petrograd (St Peterbourg) durant la première guerre mondiale, qu’il décida de se frotter à la vie réelle avant de commencer à écrire. Ainsi après avoir servi comme traducteur dans la Tcheka, il s’inséra donc dans l’armée révolutionnaire, au sein de la prestigieuse 1ère armée montée de Boudienny*, dite « Cavalerie Rouge », comme correspondant de guerre. Cette épopée fut le prétexte à la naissance de son œuvre principale, Cavalerie Rouge. Bien que peu appréciée de Boudienny, parce qu’elle ne donne pas toujours de ses hommes une image avantageuse, à l’heure où la révolution a besoin de figures héroïques pour galvaniser ses troupes, et qu’elle transcrit souvent de manière assez crue les atrocités de la guerre menée sur le front polonais en 1920, cette oeuvre projette Babel au rang de principal auteur de la jeune génération littéraire soviétique.
L’ensemble d’histoires, parfois anecdotiques, dans lesquelles fusent les impressions, les états d’âme et les observations de l’auteur, passées au filtre de la perception babélienne, transcende sa vocation documentariste, en tirant la réalité vers la fiction. L’imaginaire de Babel s’attele à retranscrire, parfois en le sublimant de manière poétique, l’épisode guerrier vécu comme un parcours initiatique à la vie : c’est un voyage à travers des personnages forts et des paysages massacrés, à travers la vie et la mort, qu’il raconte. Des paysages qui deviennent objet d’étude historienne, capables de renvoyer le reflet d’un monde disparu.
L’ambivalence du personnage transpire de ses écrits : à la fois acteur horrifié et narrateur fasciné par l’obscénité des violences et de la destruction, âme nostalgique éprise d’Histoire, cherchant à ressentir le passé et intellectuel au service de la cause révolutionnaire, dont le mot d’ordre est de faire « table rase du passé » pour créer un ordre neuf, héritier du particularisme juif ukrainien et participant volontaire à la grande révolution universelle des « damnés de la Terre », correspondant de guerre désireux de saisir la réalité, et poète se plaisant à la sublimer.
Bien sûr, certains virent dans son écriture une fascination malsaine (voire pornographique) pour le macabre et la violence : Babel ne prenait pas de gants pour décrire la réalité des raids, des pillages, des viols et autres sauvageries désormais commises sous le drapeau rouge, par les mêmes Cosaques brutaux et incultes, qui, en d’autres temps, déclanchaient des pogroms et massacraient sans pitié au noms d’autres dogmes.
Cavalerie Rouge nous fait pénétrer dans la beauté des valeurs de bravoure et de solidarité des combattants, dans l’amour qu’ils vouent à leurs chevaux, compagnons d’armes et de galère, mais aussi dans la réalité de la férocité des bourreaux, de la bestialité de guerriers capables de tuer pour un idéal auquel ils adhèrent sans le comprendre vraiment. C’est finalement un portrait très charnel, à la fois sauvage et humain, de cette époque où les bouleversements politico historiques semaient le chaos dans les consciences et les agissements qui est peint.
Néanmoins Babel, dont l’engagement dans le camp révolutionnaire était sincère, émettait déjà des réserves quant au bien-fondé de la façon dont on imposait le socialisme par la terreur et dans le sang, dans le Journal de 1920, paru après sa mort : « C’est l’enfer, la façon dont nous apportons la liberté ; c’est horrible ». Dans Cavalerie Rouge, il s’explique sur ses états d’âme : « Pourquoi se cafard sans fin? Parce que je suis loin de ma maison, parce que nous détruisons, parce que nous avançons comme une tornade, comme un torrent de lave, détesté de tous, la vie vole en éclat. J’assiste à un immense office des morts qui n’en finit pas». Lui qui avait vécu de près la barbarie des pogroms faisait montre d’une lucidité dramatique : « Le cimetière est envahi par l’herbe, il a vu passer Khmelnitski, maintenant c’est Boudienny, pauvre population juive, tout se répète, et maintenant cette histoire Polonais-Cosaques-Juifs qui se répète avec une précision extraordinaire, il n’y a que le communisme qui soit nouveau ». **
S’était-il trop vite écarté du régime par sa liberté d’esprit et son refus du sectarisme idéologique, que la diversité des héritages ethniques, spirituels et culturels qui étaient les siens lui avait rendus naturels? Les parutions de Babel se firent de plus en plus discrètes au cours des années 30, alors que le totalitarisme stalinien, lancé dans une campagne d’épuration idéologique, abattait son bras assassin sur tout citoyen coupable de déplaire au pouvoir. Vint le tour de Babel (sans mauvais jeu de mot), arrêté, puis fusillé, et dont l’œuvre réduite au silence devrait restée ignorée du monde et oubliée de ses compatriotes durant plusieurs décennies.
Avec une traduction en Français de ses Oeuvres complètes enfin parue en 2006, les écrits d’Isaac Babel, longtemps considérés comme intraduisibles, car utilisant un langage inventif (et inventé parfois), et se coloriant d’expressions et de tournures empruntées au Yiddish, à l’Ukrainien ou encore au Français, sont rendus accessibles aux francophones qui peuvent désormais voyager à la découverte d’une époque et d’un ressentiment. Les visions d’un monde en train de s’arracher du néant sur les ruines d’un ordre ancien, qui étaient les siennes, nous parviennent morcelées, comme autant d’éclats et de fragments de vie figés dans l’instantané.
*Semion Boudienny, célèbre maréchal de l’armée rouge et héros national
** Bogdan Khmelnitsky, chef d’une unité de mercenaires Cosaques (XVIIème siècle)
C’est Jean-François Orgogozo qui m’a fait découvrir Babel, comme tant d’autres lectures. Bouquiniste passionné et passionnant, qui faisait le bonheur des étudiants à budget modeste, Jean-François avait pour les jeunes et les gens en général, la bienveillance d’un homme riche de ses expériences de vie, l’humanité d’un ami, l’intelligence d’un féru d’échanges et de discutions, la générosité d’un érudit désireux de transmettre qui ne refuse jamais de partager son savoir, ses découvertes, ses coups de cœur. Cet article lui est dédié.
Miren
Didier Cristini – Album « Tenir debout »
Une voix s’est levée il y a plusieurs années déjà sur les terres du folk francophone, pour tenir debout, comme elle le revendique dans la chanson au titre identique à ce troisième album d’où elle est extraite. Le donc bien nommé « Tenir debout » de Didier Cristini, sorti en 2011, annonce d’entrée de jeu et sans ambiguïté que la chanson à textes engagés peut encore compter avec ce serviteur.
Tenir debout dans l’adversité, devant ses propres peurs ou faiblesses, contre les actes lâches et les lois iniques : c’est tout le sens de la musique de Didier Cristini ; c’est aussi, comme le chanteur l’expliquait il y a un an au cours d’une émission de radio, le premier acte volontaire de l’enfant, acte que ne devrait jamais oublier l’humain. Ainsi justifié, la pochette du cd, constituée d’une photo d’un bébé en station verticale symbolise clairement la philosophie du chanteur. Rien d’étonnant à ce que la quasi-totalité des textes adoptent un ton revendicatif, et que l’album se clôture sur une reprise (http://www.deezer.com/fr/track/14207989) de l’hymne des partisans italiens « Bella ciao ».
Si la musique de Didier Cristini, basée sur un quatuor guitare folk/ contrebasse/ batterie/ harmonica s’embellit perpétuellement de la présence de claviers (piano, orgue, harmonium) et de cœurs, elle sait aussi s’enrichir par endroit d’une orchestration de cuivres (trombone, trompette) intelligemment dosée.
Des chansons comme « Mon pays de Cocagne » et « Je détourne la tête » s’attachent à remuer les consciences au sujet de la discrimination envers les émigrés et sans papiers, fardée des vertus de la légalité républicaine, et à dénoncer l’égoïsme et l’indifférence d’une France devenue oublieuse de sa propre histoire et de ses valeurs. Quant à lui, le titre « Ghjuvan », dont on peut voir depuis quelques mois la vidéo sur Internet, accuse l’inhumanité d’un système économique broyant les individus au gré des délocalisations, sous la forme d’un dialogue entre un travailleur corse et le fantôme de son père. Encore ne faut-il pas y voir de la part du chanteur, un appel anti-mondialiste au repli identitaire. Il me revient à ce sujet en mémoire les propos de Jean-François Bernardini (chanteur d’I Muvrini) expliquant en quoi chanter le particularisme régional coïncide avec une pensée internationaliste et comment sa démarche se résumait à parler d’une histoire privée et d’un monde proche pour aller vers l’universel et les autres cultures. Et c’est exactement ce que l’on comprend à travers l’histoire de ce « Ghjuvan », dans laquelle il n’est question de rien d’autre que de dignité humaine.
D’ailleurs l’amour d’une culture régionale n’a jamais empêché les nantais Tri Yann de jouer leur musique à l’étranger, ni le Breton Gilles Servat de chanter pour les prisonniers politiques basques, ni les maquisards auvergnats ou cévenols de sauver des enfants et des familles juives entre 1940 et 45. Bien au contraire, c’est sans doute souvent l’existence d’une identité locale forte, et par là même d’un esprit d’autonomie et d’une culture de défiance vis-à-vis du gouvernement national, qui a conditionné la capacité des consciences provinciales à résister. A ce titre, et pour revenir à Didier Cristini, on peut ressentir la chanson « Contrebande » comme une ode à la liberté et une métaphore sur la vie de Bohème.
Ceci dit, si l’indignation et la colère semblent être les moteurs des chansons de Didier Cristini, hormis « Du temps à tuer » qui évoque la réclusion carcérale, l’horreur de la privation de liberté, et la souffrance d’être éloigné de sa famille, ses amis et son pays –et en l’écoutant, on ne peut s’empêcher de penser à certaines personnes condamnées injustement ou non à des durées d’emprisonnement trop longues pour espérer revivre un jour et accablées de la peine supplémentaire d’être détenues trop loin de leurs proches- , on retrouve sur cet album un esprit revendicatif prêt à en découdre, combatif et pas du tout dépressif, qui fait du bien en ces temps où la morosité et la résignation s’emparent un peu trop souvent des consciences.
Miren
Damien Saez, un « connard »* qui a un tricycle jaune dans la tête? (Rappel pour mémoire, l’actu suit ..)
Contestataire, révolté, insolent, énervant, parfois obscur jusqu’au morbide, triste à sangloter dans la solitude d’une grotte humide… la liste serait encore longue des qualificatifs, plus ou moins proches de la réalité ou du cliché qu’on a pu lire sur Saez. Si le chanteur n’a jamais trouvé grâce aux yeux de ceux qui croient à l’impératif d’être laid, et anonyme ou méconnu pour faire une musique rebelle et intéressante, il a su, très tôt, en concerner bien d’autres par son univers musical dense et multidimensionnel, et surtout sa poésie, dont les mots touchent droit dans l’âme, comme flèches venues gratter les plaies, réveiller les blessures, cristalliser les doutes et les angoisses, et raviver quelques espoirs et colères.
En marge de la médiocrité formatée dégoulinant des espaces radiophoniques et de l’industrie du disque -il quitte sa maison de disque en 2005 pour passer en auto production-, l’artiste trace son chemin depuis 11 ans, s’écartant des sentiers rebattus du commerce musical, et dégageant un coin d’horizon différent. Avec 8 albums, qui s’aventurent dans des compositions classiques, cisèlent des mélodies acoustiques chargées d’émotions ou se déchainent sur le territoire du rock indépendant, Damien Saez a souvent offert des textes à fleur de nerf et de sensibilité, envoûtants ou exorcistes, mais toujours justes.
Dans un esprit étranger au très mélancolique et impudique triple album acoustique « Varsovie/Alhambra/Paris » sorti en 2008, son 9ème album « J’accuse » ramène un rock décapé et décapant, parfois simple, mais toujours efficace, gorgé de références rock alternatif et punk-rock (Trust, The Clash, Noir Désir, …), sur lequel sa verve engagée et abrasive se lâche et tombe dans nos oreilles « comme une bombe dans un dépôt de munitions » (pour reprendre une expression zweigienne). Il rappelle ces années odorante où la musique sentait bon la subversion. Autant l’avouer: dans le contexte social, politique, économique et humain actuel, c’est exactement l’album que j’attendais, en ne me doutant qu’à moitié qu’il viendrait de lui. Comme s’il était besoin d’une preuve supplémentaire que la chanson a encore quelque chose à dire (et sans doute maintenant plus que jamais), Damien Saez, un poète qui a bien plus qu’un tricycle jaune dans la tête…
*clin d’œil à celui qui déteste susciter la tiédeur, au point de préférer être traiter de « connard » que de « mec sympa ».
Discographie :
-Jours étranges (1999)
-God blesse/Katagena (2001-2002)
-Debbie (2004)
-Varsovie/Alambra/Paris (2008)
-Yellow tricycle : A lover’s prayer (2009)
-J’accuse (2010)
Saez en concert à Bordeaux (03/06/2010)
20h30, sans un fragment de seconde de retard, le concert débute a capella par la chanson « Les anarchitectures », qui ouvre l’album « J’accuse ». Il faut dire que nous avons failli attendre Saez : le concert initialement prévu le 22 mai a été reporté d’une dizaine de jours pour raison médicale.
Ce qui frappe immédiatement, c’est l’humanité naturelle qui transpire de cette voix, humanité qui ne se laisse jamais reléguer à l’arrière plan par un magnétisme pourtant certain. Damien Saez ne joue pas la comédie. Il ne calcule pas, ne cabotine pas, et ne s’extasie pas d’admiration devant son nombril. A l’opposé de certains pervers narcissiques auxquels l’adulation du public et les flatteries de quelques média ont fini par donner le sentiment d’être des mythes vivants, c’est un artiste sincère, vrai, humble, qui donne et se donne, tantôt avec fougue, tantôt avec une sérénité ténébreuse, mais sans jamais mentir. Il me rappelle Édith Piaf, Brel, Barbara, et, derrière eux, l’ombre de tous ceux qui oubliaient, le temps d’un spectacle, d’une tournée, de s’économiser, pour se vider entièrement et offrir leur poésie et leur force endémique en partage à une communauté d’individus venus rêver ensemble, en nous donnant l’impression de n’être que l’un ou l’une d’entre nous monté(e) sur scène pour miroiter la violence de l’émotion, l’intensité de la tristesse, la torpeur de l’angoisse, et le goût de la vie qui sont en nous. A défaut de ressasser l’éternel et convenu sentiment de communion entre l’artiste et son public, on peut aisément évoquer une certaine symbiose.
Les textes pénètrent sans peine l’épiderme, humidifient même la rétine, quand ils ne donnent pas des envies de meurtre -dois-je préciser que j’ai failli concrétiser les miennes sur une blonde avant la fin du concert?- .
Quant aux musiciens, même si l’on peut déplorer que certains soient en retrait (notamment Franck Phan, le copain guitariste qui l’accompagne loyalement depuis les débuts), c’est, comme toujours, une formation valeureuse et efficace, groupée autour d’un Damien Saez, doué de suffisamment d’humilité et de recul pour comprendre la nécessité de laisser s’exprimer la mégalomanie du lead-guitariste (qui, soit dit en passant, peut amplement se le permettre), et n’hésitant pas à insérer avec dextérité et humour un passage de « Que je t’aime » de Johnny dans une de ses chansons. Précisons, pour les non-initiés, qu’un étrange rituel veut que Saez nous inflige, lors de ses concerts, des reprises aussi endiablées que comiques de tubes commerciaux : nous avions ainsi déjà eu droit à des reprises de Céline Dion, Kylie Minogue ou encore Beyonce (chorégraphie comprise!).
Au final, pas loin de 3 heures survoltées (généreuses en rappels) d’émotion, de beauté, de rage et d’humour qui m’ont permis de convertir ma meilleure copine à la saezophilie (n’ayez crainte : ça ne fait mal qu’au début ; après, c’est que du bonheur). Le concert s’achève dans une très bonne humeur, et la chanson « Perfect day » de Lou Reed, balancée dans la sono, vient conclure la soirée. C’était exactement ça : juste un jour parfait.
Miren Funke
*Plusieurs concerts pirates de la tournée sont téléchargeable gratuitement sur http://www.saezlive.net/
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