De la bio, et sans OGM….

20 Oct

L’exercice biographique en matière d’artistes du music-hall produit des livres souvent très inégaux, témoignages parfois orientés, recherches sommaires, et documents non vérifiés, tout conduit à des vérités partielles et à un brouillage plus ou moins confus de la vie de l’artiste. Sur laquelle, chaque auteur a son angle de vue. Et l’angle, comme tout angle, est réducteur, on a une partie du panorama.

En ce moment, arrive une bio du groupe Noir Désir, et avant sa sortie officielle elle génère déjà des conflits, des arguties et contestations, « Oui je l’ai dit, mais non, c’était pas une interview officielle, c’était juste un interview off… » et quand c’est off, c’est comme si on n’avait pas dit ce qu’on a dit. Bon. On peut donc étiqueter cet ouvrage « facultatif » sur le plan fiabilité.

Mais il arrive que quelques livres puissent se poser en référence, un des premiers, chronologiquement, est « Tu vois je n’ai rien oublié » par Hervé Hamon et Patrick Rotman, la vie de Montand de 1920 à 1992, un ouvrage fouillé qui ne suscite pas de critique par des manques ou des fautes professionnelles. On ne peut en dire autant d’un célèbre biographe de Brel qui a dû revoir sa copie dans les rééditions sur une affaire qui a beaucoup nui à Antoine, affaire sur laquelle ce sont les ragots qui figurent dans la première édition. Celle déposée à la BN, et qui fera peut-être « document original » dans les années à venir. Plus récemment, il faut saluer le travail exemplaire de Jean Théfaine sur Hubert-Félix Thiéfaine, une bio sans concessions avec le sujet qui ouvre les carnets de sa vie sans fausse pudeur.

La biographie dont il va être question est sortie en 2010, chez un éditeur réputé, Flammarion, néanmoins dans une certaine discrétion, voire une discrétion certaine. Il s’agit de Bernard Lavilliers, par un journaliste qui le connait bien. D’une part document extrèmement précis sur Lavilliers, d’autre part coup de projo sur l’envers de la légende, mais sans la volonté de la détruire, plutôt l’éclairer, et montrer «  la part d’ombre d’un artiste qui s’est inventé un nid pour y accoucher d’une oeuvre majeure » On pourrait paraphraser ce que dit le journaliste dans « L’homme qui tua Liberty Valance , « Quand la légende dépasse la réalité, on imprime la légende . » Ici les deux sont intimement mêlées, pour « révéler un personnage digne des plus beaux romans. »

« Les vies liées de Lavilliers » par Michel Kemper. Ce qui se voulait une biographie avec collaboration, s’est avéré enquête très fouillée, sans collaboration de l’intéressé. Enquête qui analyse le processus de la création chanson et de tous les écueils qui peuvent s’y rattacher. Les mauvaises langues pourront caricaturer en disant, quel plagiaire, ce Lavilliers, on pourrait en dire autant de La Fontaine qui s’est beaucoup servi d’Esope, et en forçant le trait, presqu’autant de Brassens, dont les lectures des poètes ont nourri l’inspiration. (Mais que les amis de Georges n’arment pas le chat à neuf queues, c’est juste un clin d’oeil à la grande érudition de Brassens reliée à celle de Lavilliers qui connait bien son sujet lui aussi)

Un auteur part rarement du néant pour s’exprimer. Le cas particulier de la chanson étant qu’elle est d’essence populaire, qu’elle s’imprime dans la mémoire souvent d’une façon subliminale, et quand ça ressort, on n’a pas toujours conscience d’avoir plagié. Ou de s’être inspiré, jusqu’à l’imprégnation. Ce qui n’est pas vraiment le cas quand on réécrit avec quelques arrangements pour faire auteur. L’exemple de la biographie d’Hemingway par un célèbre journaliste est éclairant, sur 50 ou 60 lignes copiées texto, on a inversé un adjectif par ci par là, et roulez jeunesse !

C’est la génèse et la construction de Lavilliers qui est au centre du travail de l’auteur, donc « La  vie Lavilliers  (…) est une nébuleuse, une abstraction, un relatif mystère. Du reste, Nanar protège sa vie privée et c’est autrement plus respectable que ces people qui s’affichent à tout bout de champ dans une grande impudeur. »

(Extrait de l’interview de Michel Kemper pour signaler ce que vous ne trouverez pas dans le livre, pour les secrets d’alcove, c’est pas le propos).

« Les vies liées de Lavilliers» montrent bien l’imbrication intime de l’imagination fertile d’un gamin stéphanois qui va chanter ses rêves et qui les vivra ensuite. Si non e vero, e ben trovato, dit un proverne italien.

« Contre la réalité, l’artiste a tous les droits. Le seul mensonge est celui de la vie. Le rêve, l’imagination, ont tous les droits (…) Un mythe ça se fabrique. C’est ça la magie de l’artiste. La réalité ne fait pas rêver et emmerde tout le monde. Si Lavilliers est mythomane, tant mieux ! C’est ce qui fait voyager son imagination. Sinon, il bosserait en usine, ou pire, il serait employé de banque. » (Léo Ferré cité par Michel Kemper).

Ce sera la conclusion, à vous de voir la suite. Et c’est un livre très bien écrit, un roman vrai; ces vies de Lavilliers, Cocteau aurait pu en dire « Je suis un mensonge qui dit la vérité »

En préambule à ces travaux de dissection de la vie d’artiste de nos idoles, on devrait avoir en exergue cette phrase (citée par Lara Guirao)

« Un ami, c’est quelqu’un qui vous connait bien, et qui vous aime quand même. »

Michel Kemper connait bien Lavilliers, et il l’aime quand même.

Pour ce livre, il est peut-être disponible chez l’éditeur, mais il l’est chez l’auteur, il sera livré chez vous et dédicacé.

Pour Noël, ou pour n’importe quelle occasion. (24 € tout compris)

À cette adresse : Michel Kemper, 11 A rue Président Allende 42240 Unieux

Et ici pour boucler la boucle, http://www.lesinfluences.fr/Bernard-Lavilliers-mytho-XXL.html l’interview très complète de l’auteur qui apporte des éclairages indispensables pour bien appréhender le contexte du biographe, de la légende et des faits. Et sur la façon dont la presse en général parle, ou pas, de la chanson et ce qui s’y rapporte.

Et bien sûr, le site de l’artiste

http://bernard-lavilliers.artiste.universalmusic.fr/

Norbert Gabriel

3 Réponses to “De la bio, et sans OGM….”

  1. Danièle Sala octobre 20, 2012 à 19 h 20 min #

    Merci de rappeler cette bio, je vais la commander directement à Michel Kemper . Pour le lire chaque jour dans « Nos Enchanteurs », je sais que je ne serai pas déçue . Je ne sais pas grand chose de l’homme, mais j’apprécie le chanteur, ce sera l’occasion de faire plus ample connaissance avec lui .

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    • leblogdudoigtdansloeil octobre 21, 2012 à 6 h 56 min #

      Vous ne serez pas déçue, c’est sûr ! J’en ai lu pas pas mal des bios de chanteurs et chanteuses, et il est rare de trouver un ouvrage qui allie la forme et le fond. Je ne me suis pas étendu sur le côté reportage régional, mais j’ai beaucoup aimé revoir en filigrane ce formidable bouillon de culture associatif populaire qui mettait la poésie, le théâtre dans les rues des villes foréziennes dans ces années 60, avec Jean Dasté comme initiateur d’une vraie action culturelle pout tous. Et vue de l’intérieur si j’ose dire par un auteur qui connait vraiment ce milieu, et non par un emvoyé spécial venu de la capitale pour observer cet étrange monde provincial folklorique.
      Je crains que ces militants de la culture populaire ne se fassent très rares aujourd’hui.

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  2. leduc Mai 28, 2023 à 7 h 02 min #

    Lavilliers, ça s’écoute, point barre. Toute (tentative) d’explication ou de définition du plaisir affadit le plaisir. On ne devrait jamais savoir d’où viennent les chansons etc.

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